(le premier volet est publié en date du 6 avril 2013).
Zenit – Comment est structuré votre livre ?
Marguerite Peeters – Le discernement passe par la formation. Après une brève exposition des facteurs rendant le phénomène du gender particulièrement complexe, le livre évoque le processus idéologique occidental qui a préparé son émergence depuis plusieurs siècles et parcourt l’histoire du développement du concept depuis les années 1950. Rappelons qu’en 1955 le psychologue et sexologue américain John Money établit pour la première fois une distinction entre « sexe » (identité sexuelle biologique) et « genre » (identité sexuelle sociale qu’un individu s’attribue à lui-même par le « dire » et le « faire »). Parmi les intellectuels, sociologues et universitaires occidentaux, l’idée fait dès lors son chemin que ces deux identités sont distinctes et peuvent s’opposer, l’identité sexuelle sociale étant l’objet d’un choix arbitraire de l’individu, une « identité sans essence » selon l’expression de David Halperin. Le livre montre aussi que le gender fait partie d’un nouveau système éthique intégré, résultat de la sécularisation et d’une série de révolutions interdépendantes dans les domaines politique, anthropologique et culturel. Il en manifeste le caractère mondialement normatif : depuis la conférence de Pékin de 1995, la perspective du genre est une norme politique et culturelle mondiale effective. L’égalité des sexes (gender equality) est même une priorité transversale de la coopération internationale. Après une analyse critique du gender en tant que processus de négation, le livre offre quelques considérations pratiques et ouvre une perspective d’espérance : celle d’un retour personnel et culturel à la structure trine de l’amour – donné, reçu et partagé – et à l’ordre du Père.
Le titre de votre livre pose la question : « Le gender, une norme mondiale ? ». L’homosexualité serait-elle mondialement normative ?
Le gender a une double origine, féministe et homosexuelle. L’on voit ces deux interprétations se développer côte à côte dès les premières émergences du concept. Les deux interprétations ont en commun une conception des données anthropologiques fondamentales (complémentarité, féminité, masculinité, maternité, paternité, sponsalité, « hétérosexualité »…) comme autant de stéréotypes discriminatoires à déconstruire par l’éducation, la culture et les lois. L’interprétation féministe, qui a percé la première en Occident et y a gain de cause depuis plusieurs décennies, progresse à une vitesse foudroyante dans les pays en voie de développement auxquels est imposée une conception laïciste de la femme comme pure « citoyenne-individu » détentrice de « droits » (contraception, avortement, éducation sexuelle laïque, « choix informé », fécondation in vitro, stérilisation volontaire…). De la déconstruction de la femme, on passe naturellement à la déconstruction de l’identité sexuelle. Il faut être myope pour ne pas voir ce processus. Il est particulièrement important pour certains pays en voie de développement de réaliser que, s’ils sont encore scandalisés par les projets occidentaux de lois favorables au mariage gay, ils sont déjà engagés dans un continuum de mort pour autant qu’ils appliquent des politiques favorables à la déconstruction de la maternité. Le gender, devenu condition de l’aide au développement, s’est déjà répandu à tous les niveaux des sociétés des pays non-occidentaux qu’il va entraîner dans le même processus révolutionnaire que l’Occident, allant d’une interprétation à l’autre. Ainsi, sans faire de bruit, des cultures traditionnellement ouvertes à la personne, à l’amour, à Dieu risquent de se laïciser rapidement. « Sortons », comme nous y invite le pape, de nos préoccupations nationales et ouvrons-nous aux souffrances que nos dérives occidentales provoquent ailleurs.
Pensez-vous que cette interprétation homosexuelle de la norme mondiale du gender puisse se renforcer dans les années à venir?
Il est difficile de le dire, mais nous observons que depuis le début des années 2000, la reconnaissance légale du « mariage » entre personnes de même sexe gagne rapidement du terrain : déjà effective dans 11 pays (Pays-Bas 2001, Belgique 2003, Espagne 2005, Canada 2005, Afrique du Sud 2006, Norvège 2009, Suède 2009, Portugal 2010, Islande 2010, Argentine 2010 et Danemark 2012) et dans plusieurs juridictions sous-nationales, elle est actuellement, dans 11 pays supplémentaires (Andorre, Colombie, Finlande, France, Allemagne, Luxembourg, Népal, Nouvelle Zélande, Taiwan, Royaume-Uni et Uruguay) ainsi que dans les législatures de juridictions sous-nationales de 4 pays, l’objet de proposition de loi, d’un débat parlementaire ou déjà d’une adoption par l’une des deux chambres législatives. La tendance totalitaire ou dictatoriale « douce » qui se manifeste dans l’imposition de politiques et de lois fabriquées par des lobbys doctrinaires à travers l’exécutif et/ou le judiciaire est à surveiller : elle semble bien en voie de se renforcer. Le gender n’est pas une mince affaire. La génération des moins de 25 ans (soit 43% de l’humanité aujourd’hui, vivant majoritairement dans les pays pauvres) est tout particulièrement soumise aux Diktats de la nouvelle culture mondiale « d’égalité des sexes » – un processus de laïcisation qui conduit inexorablement à la perte de la foi. Déjà depuis la conférence du Caire de 1994, l’ONU parle de « la famille sous toutes ses formes ». L’identité de genre et l’orientation sexuelle ont été débattues au Conseil des Droits de l’Homme en 2012. Au niveau des instances de la coopération internationale, la définition du mariage et de la famille est déjà déstabilisée dans ses fondements. Nous sommes dans un combat de nature spirituelle et devons décider sous quel étendard nous voulons combattre. Si la complexité et la technicité du phénomène du gender sont rébarbatives et pourraient nous décourager, la réponse à donner est surprenante de simplicité et lumineuse. Mais elle est aussi difficile et exigeante, en ce sens qu’elle requiert une décision de nous engager comme personnes.
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