En visite, le mois dernier, dans l’île d’Imbros – l’une des rares îles turques de la mer Égée –, le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomeos a récemment annoncé que la préparation du grand concile panorthodoxe « touchait à sa fin ».
De fait, ce fameux concile, que certains désignent ironiquement comme l’« Arlésienne de l’orthodoxie » pour railler sa lenteur, n’a jamais semblé si proche. On avance même la date de 2012. Pour autant, la prudence reste de mise. Car l’histoire a maintes fois prouvé que la mécanique conciliaire demeurait fragile et incertaine.
Le dialogue s'était crispé dans les années 1990
« Aux yeux des Orientaux, il n’y a pas eu de concile œcuménique depuis Nicée en 787 », rappelle le P. Bernard Le Léannec, assomptionniste, fin connaisseur de l’orthodoxie, qui fut pendant quinze ans curé de la paroisse Saint-Louis-des-Français à Moscou. Le projet d’un concile panorthodoxe, c’est-à-dire d’une « réunion officielle de toutes les familles issues du grand schisme d'Orient de 1054 », fut lancé au début des années 1960 par le patriarche œcuménique Athénagoras.
Les Églises orthodoxes se sont alors engagées à travailler ensemble et à s’accorder sur une série de sujets qui pouvaient être source de tensions entre elles – statut canonique de la diaspora, primauté du Patriarcat de Constantinople, critères d’indépendance et d’autonomie des Églises, hiérarchie entre les patriarcats. Ce dialogue avait fini par se crisper, sans pour autant s’interrompre, au cours des années 1990, conséquence de l’éclatement de l’URSS, de la difficulté des Églises de l’Est à tourner la page soviétique et de leur redéploiement sur la scène internationale.
En 1996, une violente querelle entre Moscou et Constantinople au sujet de l’Église en Estonie (1) a encore plus gravement compromis les préparatifs du concile, à tel point que les deux Églises ont rompu pendant un certain temps la communion qui les unit…
Moscou et Constantinople sont prêts à dépasser leurs rivalités
« Ces tensions sont aujourd’hui pratiquement digérées », assure Carol Saba, porte-parole de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, qui observe depuis quelque temps « un climat d’entente très favorable entre les Églises », dû, selon lui, en grande partie au dynamisme pan orthodoxe instauré par le sommet des primats des Églises orthodoxes à Istanbul, en 2008.
En effet, les discussions préconciliaires ont repris depuis à un rythme soutenu – trois réunions en dix-huit mois ! Rien, depuis, ne semble entamer cet élan. Ce « miracle de l’unité », comme le nomme le P. Le Léannec, est selon lui le signe « de vents favorables tant sur les bords du Bosphore que sur les rives de la Moskova ».
En clair : Moscou et Constantinople sont prêts à dépasser leurs rivalités pour faire avancer la cause commune. Fin mai, le patriarche œcuménique Bartholomeos s’était ainsi rendu à Moscou pour y rencontrer longuement son homologue russe Kirill.
Difficile de prévoir l'issue de ce concile
Plus fondamentalement, c’est tout l’échiquier orthodoxe qui a été renouvelé en l’espace de quelques années, avec l’élection d’une cascade de « jeunes » primats, souvent présentés comme des personnalités déterminées et ouvertes : Chrysostomos à Chypre (2006), Daniel en Roumanie (2007), Hieronymos à Athènes (2008), Kirill à Moscou (2009) et Irinej en Serbie (2010).
« Aujourd’hui, la conjoncture orthodoxe est clairement favorable à une meilleure coopération, analyse Carol Saba. Les Églises ont compris que la stratégie de confrontation était nuisible à tout le monde. Dans ce contexte de globalisation, de crise morale et financière, l’orthodoxie a une voix et un témoignage à faire entendre. C’est un moment béni à ne pas rater. »
Reste à savoir si ce concile ne risque pas d’être un concile « de fermeture » face au monde actuel, sous l’influence des courants antimodernistes qui traversent ces Églises, comme le craignent certains analystes interrogés… Difficile, à vrai dire, d’en prévoir l’issue.
Un impact sur le dialogue catholique-orthodoxe
Une chose est sûre : ce concile ne sera ni pastoral ni dogmatique. Un de ses principaux enjeux concerne plutôt l’organisation de l’Église, notamment l’organisation des diasporas – en Europe et aux États-Unis – qui aboutissent à des juxtapositions ecclésiales et administratives invraisemblables. Rien qu’à Paris coexistent six évêques orthodoxes, relevant de six juridictions différentes !
Autre inconnue : jusqu’où l’Église russe est-elle prête à accepter la primauté d’honneur du Patriarcat de Constantinople, qui, du fait de sa position, serait l’organisateur du concile ? À en croire le P. Le Léannec, « Moscou reprendrait de fait le leadership de l’orthodoxie, quel que soit le rang que lui reconnaîtraient les décisions du concile ». Selon lui, elle « ne peut négliger cette opportunité ».
« Le patriarche Kirill, en fin diplomate, plus jeune que ses interlocuteurs de Rome ou de Constantinople, ne ménage par ailleurs pas ses efforts de rapprochement avec Rome et la perspective éventuelle d’une rencontre avec Benoît XVI », fait-il valoir. Autrement dit, l’issue du concile aura également un impact sur l’évolution du dialogue entre catholiques et orthodoxes.
François-Xavier MAIGRE
(1) Deux Églises orthodoxes sont en concurrence en Estonie : l’une sous juridiction de Constantinople et l’autre – plus importante numériquement – sous celle de Moscou.