La petite communauté syrienne-catholique qui s’apprête à célébrer Noël est encore traumatisée, raconte le P. Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient, qui revenait mercredi matin de Bagdad, où il a rencontré les autorités chrétiennes. Dans l’église d’Al-Najat, rien n’a été bougé : les soutanes des deux prêtres tués avec leurs fidèles ont été suspendues au mur, sur lequel on n’a pas effacé les traces de sang. Les photos des victimes ont été accrochées.
Pour célébrer Noël, la communauté syrienne-catholique reviendra dans l’église. Mais « avec la peur au ventre », précise le P. Gollnisch. D’ailleurs, cette année, pas de messe à minuit, mais une célébration dans l’après-midi du 24 décembre, assez tôt pour pouvoir assurer la sécurité, et une autre le lendemain, jour de Noël.
Pas de messe de la nuit, pas de visite chez les familles
« Avant, nous célébrions la messe à minuit, puis les clubs de jeunes organisaient une grande fête », se souvient avec tristesse Mgr Athanase Matti Matouka, archevêque syrien-catholique de la ville. Cette année, ajoute-t-il, « pas de manifestations extérieures, pas de visites, pas de boissons. Rien. »
Aujourd’hui, l’église est entourée de deux gros blocs de béton, de plus de trois mètres de haut. Les soldats montent la garde, dans une ville où le dispositif de sécurité est omniprésent. Les inquiétudes, exprimées aussi bien par Amnesty International que les pays occidentaux pour la sécurité des chrétiens en cette période de fête semblent avoir été entendues par les autorités, constate encore le directeur de l’Œuvre d’Orient, qui ajoute, amer : « Pourquoi cela n’a-t-il pas été demandé plus tôt ? Pourquoi a-t-il fallu attendre le massacre de la Toussaint ? »
Tous les édifices chrétiens de la capitale irakienne sont en effet cerclés de ces blocs de béton en prévision des fêtes. Les évêques ont d’ailleurs donné des consignes strictes pour Bagdad : pas de messe de la nuit, pas de visite chez les familles durant ces journées, qui, d’ordinaire, se prolongent sur une semaine.
«Nous avons peur»
De toute façon, le cœur n’est guère à la fête. Les communautés chrétiennes ont convenu de célébrer ce Noël sobrement, pour marquer le deuil des victimes syriennes-catholiques de novembre.
Pas de rires, pas de fêtes non plus à Kirkouk, à l’exception des messes, qui n’auront pas lieu le soir, mais le matin : Mgr Louis Sako, archevêque chaldéen, n’a pas voulu prendre de risque, après avoir reçu, lui et dix autres personnalités chrétiennes de la ville, par courriel, des menaces des mouvements islamistes. « J’ai peur que les chrétiens soient une cible », a-t-il confié.
À Mossoul, non plus, « ce n’est plus comme avant », affirme Petrus (1), 40 ans, qui habite entre Mossoul et Qaraqosh. Trois églises seulement sont ouvertes, mais, souligne ce chrétien, elles resteront vides : « Nous avons peur. Le 25, rares sont ceux qui oseront aller à la célébration de l’évêque. » Petrus lui aussi regrette le Noël d’autrefois, celui où « on faisait la tournée des familles pour se souhaiter un joyeux Noël, et où on mangeait le beriani (NDLR : riz mélangé avec des raisins secs, du poulet et des amandes) ».
Au Nord, la situation est plus sereine
« Nous n’avons plus le goût à fêter Noël », ajoute Giwargis, un syrien-orthodoxe de Bartella, une ville de la plaine de Ninive : il raconte les Noël d’avant 2003, « quand on distribuait des chocolats à la sortie de la messe ». Maintenant, « il n’y a plus de joie, plus d’envie ».
Au Nord, où la situation est plus sereine pour les chrétiens, le massacre de Bagdad sera aussi dans tous les esprits. Ablahat, 50 ans, qui prépare un concours pour devenir professeur, a quitté la capitale en 2006, pour revenir dans son village natal de Bebad (Kurdistan irakien), « à cause de la situation dangereuse ». À Bedad, « nous continuons à célébrer Noël comme avant 2003, témoigne-t-il, alors qu’à Bagdad, ce n’est plus possible ». Ablahat pensera cependant à ses amis de la capitale, qui « ne peuvent pas sortir, et vont rester cloîtrés dans leurs maisons ».
À Shaqlawa, dans la même région, Jawhar, 50 ans, se rendra lui aussi à la messe de minuit. Pour sa famille, la situation est plutôt meilleure qu’avant 2003 : « Il y a moins de pauvres, car les salaires sont plus hauts ».
«Le cœur n’y est plus»
« Ici on peut être chrétien sans problème », renchérit un jeune étudiant, Salam. Lui aussi a quitté Bagdad il y a quatre ans. Comme tous les jeunes de 25 ans d’Ankawa, le jour de Noël, Salam ira à la fête, suivie d’un barbecue. « Ici, les chrétiens sont appréciés, on peut vivre librement, affirme-t-il, touché d’ailleurs par la solidarité manifestée par ses voisins kurdes musulmans au moment de l’attentat.
« À Bagdad, c’était très dangereux de se rendre à l’église, le soir. Le cœur n’y est plus. » Le jeune marié n’oublie pas pour autant ses compatriotes chrétiens. « Ce que je demande à Dieu, pour Noël, c’est tout simplement la paix pour mon pays. Et aussi, qu’il fasse en sorte que nous ne partions pas de notre pays, ajoute Salam, car nous ne souhaitons pas partir. »
Sémiramis IDE et Isabelle de GAULMYN
La Croix