Messe pour la France, homélie du patriarche Béchara Raï
Monsieur l’Ambassadeur,
Chers frères et amis,
1. C’est avec une grande joie que je vous souhaite la bienvenue, Monsieur l’Ambassadeur, avec mes confrères les Evêques et les prêtres de ce Patriarcat ici présents. Je salue aussi vos collaborateurs dans cette Sainte Messe que nous célébrons, comme chaque année aux intentions de la France, de l’Etat et du peuple français, à qui nous souhaitons joie, paix et prospérité. Nous Vous prions de transmettre au Président de la République Monsieur François Hollande nos meilleurs vœux pour la Fête de Pâques, lui souhaitant tout succès pour le bien de la France et de l’humanité.
2. À la lumière de l’Evangile d’aujourd’hui, nous ressemblons en quelque sorte aux Disciples de Jésus qui ne crurent pas les témoins de vue de Sa résurrection : Marie de Magdala, et les deux d’entre eux. Car ils étaient encore tellement bouleversés par le choc de Sa crucifixion. C’est pourquoi « Jésus leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leurs cœurs » (Mc16 : 14).
Quant à nous chrétiens, nous croyons le témoignage des Evangiles et de la tradition vivante de l’Eglise qui nous transmettent que le Christ fut livré à mort pour nos péchés et est ressuscité pour notre justification (Rm 4 : 25). Nous nous demandons : est-ce que nous vivons selon l’exigence de notre foi ? Reconnaissons-nous que nous sommes pécheurs et que nous avons besoin de recourir aux sacrements pour être sanctifiés par la grâce du Christ Rédempteur qui renouvelle la face du monde par l’action de Son Esprit – Saint ?
La foi chrétienne subit aujourd’hui une crise de croyance et de pratique. Elle est secouée par tant de phénomènes : la perte ou l’oubli de Dieu et sa mise à la marge de notre vie et en dehors de toutes nos occupations ; l’athéisme idéologique prôné par Nitche, Marx, Sartre, Freud, Camus… ; l’athéisme pratique qualifié par certains penseurs comme « mort de Dieu dans la conscience humaine » ; le sécularisme, l’intellectualisme, la mentalité de capitalisme et de consumérisme, le radicalisme et le laïcisme qui affirme de manière réductrice que la religion relève exclusivement de la sphère privée comme si elle n’était qu’un culte individuel et domestique situé hors de la vie, de l’éthique et l’altérité (Cf. Ecclesia in Medio Oriente, 29 ; ma Lettre Pastorale : Foi et Temoignage, pp. 18-25).
En cette année de foi, nous sommes tous appelés à approfondir notre foi et à la proclamer en action et parole.
3. Les événements inquiétants et douloureux qui nous menacent nous invitent, Français et Libanais, à multiplier nos efforts au service de la Paix, de la dignité des hommes et des femmes et du bien-être de l’Humanité. Le rôle de la France au sein de la FINUL en est l’illustration. Vos troupes s’évertuent, depuis 1978, au maintien d’une paix, fragile, certes, mais nécessaire. Maintes fois, la France a démontré, par l’action, son engagement réel. Nos pensées et nos prières vont à tous ceux et celles qui ont payé, par le sang et la douleur, le prix de ce combat humain.
A ce moment précis où cette région du monde, jadis berceau des civilisations, souffre de divisions, de conflits, de malheurs, de sang et de larmes, nous faisons appel à la raison et à la paix entre les hommes. La France des valeurs n’est pas loin de comprendre la misère des innocents et l’espérance de ceux qui souffrent. La France des lumières ne sera pas indifférente, non plus, face à la montée du radicalisme et du fondamentalisme et à la prolifération d’un obscurantisme fort des contradictions politiques et des pesanteurs régionales et internationales.
4. Les Chrétiens d’Orient se sentent de plus en plus délaissés dans leur passion de rester sur leurs terres ancestrales et de continuer d’y promouvoir les valeurs chrétiennes et culturelles et celles de la modernité. Etant citoyens originaires dans leurs différents pays depuis 2000 ans, ils ne peuvent pas être considérés comme des minorités chez eux. Ils ne demandent pas d’être protégés. Ils réclament plutôt leurs droits de citoyenneté, tout comme les autres concitoyens musulmans ou juifs. Ils ont d’ailleurs offert, et offrent toujours à leurs pays une précieuse contribution sur tous les plans : culturel, économique, commercial, industriel et politique. Ils ont marqué leurs sociétés par leurs valeurs.
Monsieur l’Ambassadeur,
5. Des forces obscures œuvrent à désarticuler les Etats et les institutions, et à tenter inlassablement d’allumer la ‘fitna’ entre les différentes confessions jusque-là paisiblement coexistantes, et, quelle ironie ! au nom de la démocratie et du « printemps arabe ». Nous ne pourrons conjurer leurs méfaits calamiteux que par la certitude de la foi pascale au triomphe définitif de la Vie sur la Mort, et par la clairvoyance des pays amis et des hommes de bonne volonté. Cette foi nous pousse à rencontrer le Christ Sauveur, et à le rechercher dans le visage de nos frères et sœurs, en nous mettant au service des plus faibles, des pauvres, des malades, des déplacés et des délaissés, comme les étrangers réfugiés parmi nous, les personnes âgées, les jeunes, les enfants et les opprimés de tous bords.
6. Avec vous, Monsieur l’Ambassadeur, nous honorons la mémoire de Saint Louis IX, Roi de France et initiateur de notre amitié franco-libanaise, dans sa fameuse Charte du 24 mai 1250, et renouvelée par le Roi Louis XIV dans sa Lettre du 28 avril 1649. Nous prions pour les hommes et les femmes de bonne volonté dans nos deux pays, afin qu’ils ne baissent jamais les bras devant la guerre et les injustices, mais déploient toujours au mieux leurs efforts d’artisans de paix, chez eux et à travers le monde. Car le Christ est ressuscité et a mis le monde dans un état de résurrection. A Lui toute gloire à jamais. Amen.
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