sur "un approfondissement des relations entre l’Église catholique et le Peuple juif" et sur l'engagement du pape contre l'antisémitisme.
Le rabbin David Rosen, directeur interreligieux du Comité juif américain (American Jewish Committee, AJC), grande figure du dialogue entre le judaïsme et l’Église catholique, a participé à l’audience du pape François, mercredi matin, 20 mars, en la salle Clémentine du Vatican.
Il y a participé aux côtés d’une délégation italienne conduite par le Grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, d’Oded Wiener, secrétaire général du Grand rabbinat d’Israël, de représentants du Comité juif international pour les consultations interreligieuses (IJCIC) dont le président, le rabbin Lawrence Schiffman, de représentants du Congrès juif mondial (WJC). dont le président, Ronald S. Lauder, mais aussi de la Ligue anti-Diffamation (ADL) dont le président, Abraham Foxman, et de l’organisation juive internationale B’nai B’rith, représentée par David Michaels. En tout, la communauté juive internationale était représentée par 16 personnes et 8 organisations.
Lors de la même audience, le pape a reçu des représentants de différentes confessions chrétiennes et de différentes religions. Le pape a ensuite salué une à une les personnes présentes. Le rabbin Rosen confie ici ses impressions et ses réflexions aux lecteurs de Zenit.
Monsieur le rabbin Rosen, vous avez salué le pape François au terme de l’audience de mercredi, 20 mars, avec les délégations de différentes confessions chrétiennes et de différentes religions. Qu’avez-vous confié au pape ?
Quand on fait partie d’une délégation, même une audience privée avec le pape ne permet pas une conversation réelle. J’ai dit que j’espérais qu’il aiderait à approfondir davantage encore la relation entre juifs et catholiques et que j’espérais qu’il contribuerait également aux progrès de la paix en Terre Sainte
Qu’est-ce qu’il vous a répondu ?
Il a hoché la tête et dit : « Oui ! oui ! » Et il a souri et m’a serré les mains. On n’a pas eu beaucoup le temps pour se dire grand chose.
Qu’attendez-vous pour les relations judéo-catholiques dans les prochaines années ?
Le plus important, c’est que les vaticanisti, qui ont dit que l’accent mis par le Vatican sur les relations avec les juifs allait diminuer après Benoît XVI et après Jean-Paul II, et que nous aurions un pape qui ne s’intéresse pas particulièrement à cette question, se sont tous trompés. Nous pouvons nous attendre, en toute confiance, à ce que les relations judéo-catholiques soient un objectif important de ce pontificat. Vous savez, aujourd’hui aussi, lors de l’audience privée, le pape François a souligné, dans ses paroles, l’engagement particulier dans les relations judéo-catholiques et hier, quand il a pris la parole à la messe d’inauguration, il a accueilli « les représentants juifs et les représentants des autres religions » ; nous étions donc les seuls représentants, à côté des autres groupes chrétiens, à être mentionnés par notre nom (1).
Nous pouvons donc nous attendre à un approfondissement des relations entre l’Église catholique et le Peuple juif.
Si vous me demandez à quel travail inachevé j’aimerais qu’il s’emploie, je dirais que le défi majeur est celui de l’éducation. L’enseignement de l’Église et son approche des juifs, du judaïsme et d’Israël ont connu une transformation révolutionnaire. Et lorsque vous avez des communautés juives dynamiques vivant à côté de communautés catholiques, comme aux Etats-Unis, ces changements ont été assimilés par les établissements éducatifs de l’Église et ceci jusqu’à la base. Mais il y a beaucoup d’endroits dans le monde où il n’y a pas de communautés juives et où les juifs n’apparaissent pas sur « l’écran radar » catholique et des lieux où même les évêques ne connaissent pas le contenu de Nostra aetate et où cela ne fait pas partie de l’éducation catholique. Alors, je pense que le fait que le pape François vienne d’Argentine – en Argentine, vous avez une communauté juive vivante et au Brésil aussi mais, dans la plupart des autres pays d’Amérique latine, il n’y en a pas, et c’est pourquoi je pense que c’est très important que nous recevions son soutien à travers ses conseils et ses directives dans les églises et dans les écoles catholiques, ainsi que dans la formation des prêtres dans le monde, il faut que cela fasse partie intégrante de leur formation.
Le pape Benoît disait qu’on ne peut pas être catholique et antisémite : comment évaluez-vous le pontificat de Benoît XVI sur cette question des relations entre les catholiques et les juifs ?
Le pontificat du pape Benoît XVI a été extrêmement important et je ne pense pas que beaucoup de gens, dans la communauté juive, comprennent à quel point il a été important. Parce qu’il ne s’est pas contenté de suivre les traces de Jean-Paul II mais, d’une certaine manière, il les a élargies ; il a visité, par exemple, plus de synagogues en huit ans que Jean-Paul II dans tout son pontificat. Mais aussi en marchant sur les pas de Jean-Paul II, il a fait quelque chose de très important : parce qu’on aurait pu dire que la visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome et en Terre Sainte, en Israël, étaient des actions idiosyncratiques d’un homme qui avait eu une expérience personnelle d’amitié juive, étant enfant, et liées à l’impact de la Shoah, et que c’était la raison pour laquelle il avait fait ces gestes. Mais Benoît XVI, en marchant dans ses pas et en accomplissant exactement les mêmes actions, a en fait inscrit ces actions dans le tissu du pontificat de l’Église en tant que telle.
Il serait donc naturel, maintenant, que le pape François rende visite à la synagogue de Rome, vienne en Israël, en Terre sainte et, à beaucoup d’égards, ces pas naturels ont été facilités par l’engagement du pape Benoît XVI sur le chemin tracé par Jean-Paul II.
En France, Marc Knobel vient de publier un livre important sur l’antisémitisme dans les années 2000-2013. Comment réagir à ces nouvelles formes d’antisémitisme ?
Malheureusement, l’antisémitisme redevient à la mode actuellement. Après l’impact de la seconde guerre mondiale, nous pensions que nous avions contrôlé ce virus. Mais il réapparaît dans beaucoup d’endroits sous des formes différentes.
Plus récemment, c’est en Hongrie, où l’on voit une sorte d’antisémitisme néo-fasciste, et aussi dans certains lieux comme en France et en Belgique, avec un antisémitisme qui est un exutoire aux frustrations qui se focalisent sur le conflit israélo-arabe et qui engendre des hostilités envers toute personne qui soutient Israël. Et on voit aussi un antisémitisme qui vient de certains milieux de la « nouvelle gauche » qui veulent faire d’Israël un représentant de l’Amérique.
Toutes ces nouvelles formes d’antisémitisme apparaissent à droite comme à gauche, elles requièrent une réponse importante et j’ai tout à fait confiance dans le pape François, et j’attends de lui qu’il soit très ferme sur ce problème parce qu’il le comprend. Il comprend et il a fait l’expérience de l’attentat d’un centre juif de Buenos Aires, le AMIA Center, où 85 juifs ont été tués (2) ; il a été l’un des premiers à se rendre sur place, pour manifester sa solidarité et aussi à publier une déclaration appelant les autorités argentines à arrêter les coupables ; il a participé aux cérémonies commémoratives et l’année dernière, il a organisé une cérémonie commémorative de la Nuit de Cristal.
Nous avons toutes les raisons de croire que le pape François sera tout aussi engagé que Benoît XVI et Jean-Paul II dans la lutte contre l’antisémitisme.
Traduction d'Hélène Ginabat
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