sur le mystère qui l’entoure et même les meilleurs détectives engagés à découvrir les secrets de son être seraient obligés de jeter l’éponge.»
C’est en ces termes que Patrizia Cattaneo, écrivain et journaliste parle du moine libanais, Charbel Makhlouf (1828-1898), membre de l’Eglise maronite, mort il y a plus d’un siècle, proclamé saint par Paul VI en 1977, et dont c’est la fête liturgique ce 24 juillet.
« L’existence de saint Charbel sur terre est constellée de faits et phénomènes inexplicables, de phénomènes extraordinaires qui se sont manifestés et se manifestent encore autour de sa tombe », ajoute Patrizia Cattaneo. « Et on dirait que saint Charbel, durant cette période historique, très douloureuse pour le Moyen Orient, troublée par les guerres, attentats, haines, a intensifié son activité thaumaturgique, comme s’il avait voulu attirer l’attention des gens sur les valeurs spirituelles, sur les réalités surnaturelles que les événements des guerres auraient voulu effacer ».
Patrizia Cattaneoa a écrit divers ouvrages sur saint Charbel. Elle a aussi fondé une association culturelle liée à son nom, dont l’objectif est de « promouvoir tout ce qui touche au saint libanais ». Elle a ouvert un site Internet sur le sujet: www.charbelcenter.com
Brièvement, qui est saint Charbel?
Patrizia Cattaneoa – C’est un grand saint libanais, membre de l’église catholique maronite. Il a vécu dans le plus grand secret et n’a rien laissé d’écrit, ni lettres, ni réflexions et encore moins de journal spirituel, qui nous permette de lever le moindre voile sur ses relations intimes avec Dieu. Mais les « signes » de sa grandeur spirituelle abondent. Sa « biographie céleste » est en perpétuel croissance. Le saint vit et œuvre activement en Dieu. On peut dire que, mort, il vit et parle à travers tant de miracles, et qu’il le fait surtout aujourd’hui, à notre époque.
Que sait-on de la famille de saint Charbel et de son existence avant son entrée au monastère ?
Il est le fils cadet de cinq enfants nés d’Antoun Makhlouf et Brigitta Al-Chidiac. Il est né le 8 mai 1828, sous le nom de Youssef, dans un village du Liban, Bqaakafra, qui se trouve à 1800 mètres au-dessus de la « Sainte Vallée », appelée ainsi en raison de toutes les implantations monastiques qui la peuplent et sont les plus anciennes de la région. De nombreux ermites vivaient dans ses grottes et l’esprit ascétique qui s’en dégageait imprégnait toute la vallée.
Les parents de Youssef étaient très pieux, en particulier sa mère. Son père travaillait la terre et élevait des bêtes. En 1831, l’armée ottomane réquisitionna son âne, pour transporter les récoltes de l’émir jusqu’au port de Byblos. Une fièvre pernicieuse l’emporta sur le chemin du retour et Youssef n’avait que trois ans lorsqu’il devint orphelin de son père.
Deux ans plus tard, sa mère se remaria avec un petit propriétaire terrien qui devint prêtre sous le nom religieux d’Abdel Ahad. Chez les maronites, à l’instar d’autres communautés de rite oriental, les hommes mariés peuvent eux aussi devenir prêtres et exercer leur ministère. Abdel Ahad devint le curé de Bqaakafra, et était aussi de maître d’école du village. Youssef devint un élève de son « beau-père » prêtre, qui était une personne très cultivée et très pieuse et fut son plus grand guide spirituel.
Quand Youssef décida-t-il de quitter le monde pour se consacrer à la vie d’ermite ?
A 23 ans. Tout jeune enfant déjà, sa nature le portait à la contemplation et à la solitude. Il se confessait et communiait souvent. Il priait continuellement et avait toujours avec lui son livre de prières. Sa tâche quotidienne était de conduire la vache au pré, mais il aimait se tenir à l’écart de ses camarades qui faisaient paître leur troupeaux comme lui, pour consacrer son temps à la prière. Ses camarades l’appelaient « le saint ». Il disait à sa vache : « Attends que j’ai fini de prier, car je ne peux pas te parler et parler avec Dieu en même temps, Il a la priorité ! ». Deux oncles maternels, ermites dans la Sainte vallée, favorisèrent chez lui cette vocation. Mais sa mère, par grande affection peut-être, entravait cette inclination qu’il avait. Ainsi, une nuit, à l’âge de 23 ans, Youssef suivit ce que lui disait son cœur et quitta la maison familiale pour entrer au couvent de Maifouq comme novice. Sa mère le chercha et le supplia de rentrer à la maison mais le jeune homme fut inébranlable.
Quelles furent les grandes étapes de sa vie au monastère ?
Après s’être enfui de chez lui, Youssef affronta l’année de son noviciat, « une année d’essai », et pour sa nouvelle vie religieuse prit le nom de Charbel, en l’honneur d’un martyr d’Antioche, mort en 121 et vénéré par l’Eglise orientale. Charbel, en syriaque, signifie « histoire de Dieu ».
Au monastère de Maifouq, Fra Charbel apprit les règles de la vie religieuse. Son obéissance exemplaire le distinguait des autres novices. Mais ce monastère ne correspondait pas à ses attentes de solitude et de silence. Il demanda alors à ses supérieurs d’être transféré dans un monastère plus isolé et fut envoyé au couvent Saint-Maron d’Annaya, de l’Ordre libanais maronite.
En 1853, après ses vœux solennels, Charbel fut envoyé à l’institut théologique de Kfifane, pour se préparer au sacerdoce. Là, pendant cinq ans, il fut l’élève d’un grand théologien, Nimatullah Al-Hardini, qui fut aussi un grand saint, élevé à la gloire des autels en 2004. Ce personnage extraordinaire, qui avait une culture théologique démesurée, transmit au jeune homme non seulement son amour profond pour la théologie, mais surtout son amour de Dieu et pour la vie ascétique.
A la fin de ses études et après son ordination sacerdotale en 1859, Charbel rentra au monastère d’Annaya, où il passa seize années d’une vie monastique exemplaire, se gagnant une réputation de saint grâce à ses excellentes vertus et son obéissance légendaire « plus angélique qu’humaine ». En 1875 il obtint l’autorisation de retirer à l’ermitage des Saints Pierre et Paul, juste à côté du monastère d’Annaya, où il passa les années les plus intenses de sa communion avec Dieu et mourut le 24 décembre 1898.
Dans les différentes biographies de ce saint, on parle le beaucoup de phénomènes charismatiques, de prodiges, de miracles…
Les prodiges commencèrent quand le saint était moine à Annaya. Un de ses confrères déclara: « Tout ce qu’on lit dans les biographies des saints est inférieur à ce que, de mes yeux, j’ai vu accomplir par le père Charbel ». Les gens de toute confession religieuse couraient lui demander de bénir les champs, les maisons, leur bétail, les malades et les prodiges pleuvaient, abondamment. Le saint connaissait les faits à distance et il avait le don de scruter les consciences. Son supérieur un jour lui ordonna de bénir le garde-manger où les provisions étaient maigres, et les jarres se remplirent aussitôt de blé et d’huile. Durant les fréquentes invasions de criquets, cause de famine et de mort, seuls les champs bénis par le saint échappaient aux ravages. Sa bénédiction conjura la mort d’élevages entiers de vers à soie qui étaient pour le couvent et la population leur ressource première. Il faudrait des pages et des pages pour énumérer tous les prodiges attribués à saint Charbel quand il était encore en vie.
Quelles étaient les vertus les plus caractéristiques de saint Charbel ?
Difficile de choisir. Son engagement dans l’ascèse était total et continu. Il s’infligeait tout le temps des mortifications, comme le jeûne permanent, les veillées incessantes, le travail durant la maladie, le refus de médicaments. Il se nourrissait et dormait très peu, mais travaillait vaillamment dans les champs comme un condamné aux travaux forcés. Il ne parlait que si on le lui ordonnait et ou par nécessité, à voix basse, sans regarder son interlocuteur, tenait toujours son capuchon sur les yeux et les yeux baissés. Il sortait du monastère seulement quand son supérieur lui ordonnait de rendre visite aux malades ou de célébrer des baptêmes et des funérailles. Quand le supérieur était absent, il obéissait à quiconque lui donnait un ordre. Même un indigent n’aurait jamais accepté sa nourriture, son lit et ses vêtements. Mais sa pauvreté la plus grande était de masquer sa richesse spirituelle. La messe constituait le cœur de sa journée, il s’y préparait longtemps et très soigneusement. Il priait tout le temps et restait à genoux pendant des heures au pied du tabernacle. Un jour, un éclair frappa l’ermite, incendia la nappe de l’autel et brula l’ourlet de son habit, mais le saint était si absorbé dans sa prière qu’il ne s’aperçut de rien.
Que se passa-t-il après sa mort ?
Il expira la veille de Noël en 1898. On l’enterra le lendemain dans la fosse commune du monastère. Pendant quelques mois une lumière brillante et mystérieuse, visible dans toute la vallée, sortit chaque nuit de sa tombe. Il n’y avait pas encore le courant électrique dans ces endroits-là et le spectacle était impressionnant. La réputation de sainteté de Charbel attirait beaucoup de gens, ainsi, quelques mois après la sépulture ils décidèrent de transférer le corps à l’intérieur du couvent.
En ouvrant le sépulcre, ils découvrirent que ce corps était encore intact et flexible, comme celui d’une personne en train de dormir. Un liquide visqueux sortait de ses pores, semblable au plasma qui sort des plaies d’une personne vivante, et l’on découvrit que ce liquide avait d’extraordinaires propriétés thaumaturgiques. Ce phénomène, absolument inexplicable dura 79 ans, autrement dit jusqu’en 1977, l’année de sa canonisation. « Je n’ai jamais vu ni rien lu sur un tel cas dans aucun livre de médecine », déclara le docteur Georges Chokrallah, qui fut un témoin au procès de béatification de Charbel. « Poussé par la curiosité scientifique, j’ai cherché à découvrir le secret de ce corps et de ce liquide. Après les avoir examinés pendant environ 17 ans, deux ou trois fois par an, mon opinion personnelle, basée sur l’étude et l’expérience, c’est qu’ils étaient imbibés d’une force surnaturelle mystérieuse ».
Pourquoi dit-on que 1950 fut « l’année de Charbel » ?
Parce que cette année-là, les phénomènes surnaturels relatifs au père Charbel connurent une véritable explosion. Pour l’Eglise, 1950 était une Année Sainte. Et il fut décidé à cette occasion d’exposer la dépouille de l’ermite à la vénération des fidèles. La tombe fut ouverte en présence d’un comité officiel. A partir de ce moment-là, les miracles se multiplièrent démesurément et en quelques mois le couvent en enregistra plus de deux milles.
Cette année-là un prêtre, arrivé en pèlerinage à Annaya, fit une photo de groupe devant l’ermite. Quand il développa le négatif, il s’aperçut que sur cette photo il y avait une personne qui n’était pas là au moment de la prise: c’était l’image du saint, comme l’identifia quelqu’un qui l’avait connu. Une image précieuse car le père Charbel n’avait jamais été photographié par quiconque quand il était en vie. Et de cette image « miraculeuse » on a fait son portrait officiel aujourd’hui connu.
Vous avez connu des personnes qui ont été « miraculées » par saint Charbel ?
Plusieurs. Un des cas les plus déconcertants est celui d’une libanaise qui a maintenant 74 ans : Nohad Al-Chami. Une femme illettrée mais dont la foi était riche. Le 9 janvier 1993, elle eut une attaque cérébrale. Une double occlusion de la carotide lui entraina une paralysie de la partie gauche du corps. Elle resta neuf jours en thérapie intensive à l’hôpital de Byblos, et tout le monde était inquiet parce qu’elle ne réagissait pas aux soins. Une intervention chirurgicale avait un moment été exclue car considérée trop risquée. En attendant elle fut renvoyée chez elle. Elle avait de graves difficultés à parler, à bouger et ne pouvait se nourrir qu’à la paille. Ses enfants commencèrent à prier saint Charbel. Ils frictionnèrent le cou de leur mère avec une mixture de terre et d’huile bénite provenant de la tombe du saint.
Le 22 janvier au soir, Nohad rêva de deux moines enveloppés dans une grande lumière qui s’approchaient de son lit. L’un des deux dit : « Je suis saint Charbel et je suis ici pour t’opérer ». Nohad eut peur, mais le saint avait déjà commencé l’intervention. Tandis que ses doigts incisaient sa gorge, la femme sentit une douleur lancinante. Enfin saint Maron, l’autre moine, arrangea l’oreiller derrière son dos et l’aida à s’asseoir sur son lit, puis il lui tendit un verre d’eau, l’invitant à boire sans la paille. Nohad hésitait mais saint Marron lui dit: « Nous t’avons opérée. Maintenant tu peux te lever, boire et marcher ». La femme se réveilla en sursaut et se retrouva assise sur son lit, comme dans le rêve.
Elle se leva toute seule sans difficulté et se dirigea vers la salle de bain. En se regardant dans la glace elle vit deux coupures de douze centimètres de chaque côté du cou, fermées par des points de suture, d’où sortait encore le fil chirurgical. Sa gorge et ses vêtements étaient tout tachés de sang. Elle alla tout de suite réveiller son mari qui sauta du lit affolé. Les difficultés de langage aussi avaient disparu, ainsi Nohad put raconter ce qui s’était passé en parlant normalement. Le matin, accompagnée par son mari, elle se rendit au monastère d’Annaya pour remercier saint Charbel et rapporter les faits au supérieur. Les médecins ensuite certifièrent sa guérison inexplicable.
La nouvelle du miracle se répandit comme un éclair, et les gens commencèrent à affluer chez elle. Craignant pour sa santé, le médecin et le curé lui conseillèrent d’aller s’installer momentanément chez son fils, mais saint Charbel lui apparut en songe et la prévint : « Je t’ai laissé les cicatrices pour le bon vouloir de Dieu, pour que tout le monde puisse les voir, surtout ceux qui se sont éloignés de Dieu et de l’Eglise, afin qu’ils retrouvent la foi. Je te demande de te rendre à l’ermitage tous les 22 du mois, date anniversaire de ta guérison, pour participer à la messe. Là je suis toujours présent ». Depuis, le 22 du mois, Nohad se rendit avec son mari à l’ermitage d’Annaya, pour participer aux fonctions liturgiques. Les gens peuvent voir sur son cou les cicatrices rougies et sanguinolentes. Les pèlerins qui participent à l’événement se comptent par milliers, ils sont de toutes confessions et viennent de tous les coins du Liban et du monde, nombreuses sont aussi les conversions après ce témoignage.
Ce fait, qui est le plus éclatant, a été étudié par divers médecins. En 2002 une échographie à la carotide révéla que Nohad avait subi une véritable intervention chirurgicale bilatérale, que ses artères sont en bon état et que l’ictus n’a pas endommagé le cerveau.
Traduction d'Océane Le Gall
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