premier dimanche de carême. Avec une clef sponsale, dimension essentielle du baptême et de la communion dans l'Eglise, dont la vie consacrée a la vocation de témoigner. Et une lecture patristique pour enrichir la méditation.
Ier dimanche de carême – Année C – 17 février 2013
Rite romain :
Dt 26,4-10 ; Rm 10,8-13 ; Lc 4,1-13
Rite ambrosien :
Jl 2,12b-8 ; Ps 50 ; 1 Co 9,24-27 ; Mt 4,1-11
1) Pourquoi le carême ?
En ce dimanche de carême, l’Evangile nous conduit avec Jésus dans le désert, lieu de la rencontre et de l’intimité avec Dieu, mais aussi lieu de la lutte suprême avec le Tentateur. L’objectif de ces quarante jours est celui-ci : à l’exemple de Jésus-Christ, qui s’est retiré dans le désert pour jeûner pendant quarante jours, l’Eglise nous fait vivre la même période de temps afin de nous préparer « à célébrer l’événement de la Croix et de la Résurrection, dans lequel l'Amour de Dieu a racheté le monde et illuminé l’histoire » (Benoît XVI, Message pour le carême 2013). Le but du carême n’est pas la mortification, mais la rencontre avec le Christ à Pâques. Certes ce chemin vers le Crucifié ressuscité nécessite une purification des yeux, du cœur et de l’esprit, pour regarder, aimer et comprendre soi-même et les autres à la manière de Dieu. Dans cet exode vers la « terre » de Dieu, la prière qui est « l’effusion de notre cœur dans celui de Dieu » (Padre Pio de Pietrelcina) est nécessaire. « Il est nécessaire que nous priions, parce que la prière nous donne un cœur pur et un cœur pur sait aimer » (Mère Teresa de Calcutta), et un cœur pur a un regard pur pour voir Dieu.
S’il est utile de connaître le but du nombre quarante, attaché aux jours, il est utile aussi d’en connaître l’origine, qui n’est pas dans l’évangile, mais que l’on trouve dans l’Ancien Testament.
Dans le livre de la Genèse, nous lisons qu’à cause du déluge, Noé, l’homme juste, passa quarante jours et quarante nuits dans l’arche, avec sa famille et avec les animaux que Dieu lui avait dit d’emporter avec lui. Et il attendit encore quarante jours, après le déluge, avant de toucher la terre ferme, sauvée de la destruction (cf. Gn 7,4.12; 8,6).
Le livre de l’Exode nous parle de Moïse qui resta quarante jours et quarante nuits en présence du Seigneur, sur le mont Sinaï où il reçut la Loi. Pendant tout ce temps, il jeûna (cf. Ex 24,18). Le Deutéronome aussi nous rappelle que la marche du peuple hébreu, de l’Egypte à la Terre promise, dura quarante ans et fut un temps privilégié pendant lequel le peuple élu fit l’expérience de la fidélité de Dieu. « Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t'a fait faire pendant 40 ans… Le vêtement que tu portais ne s'est pas usé et ton pied n'a pas enflé, au cours de ces 40 ans ! », dit Moïse à la fin de ces quarante années dans le désert (Dt 8,2-4).
Quarante, c’est aussi le nombre d’années de paix dont put jouir Israël au temps des Juges (cf. Jg 3 11.30). Malheureusement, une fois ce temps révolu, c’est l’absence de mémoire des bienfaits de Dieu et le manque d’observance de la Loi qui prévalurent.
Quarante, c’est le nombre de jours nécessaires au prophète Elie pour parvenir au mont Oreb, sur lequel il rencontra Dieu (1 R 19-8).
Quarante, c’est le nombre de jours de pénitence que Jonas demanda aux habitants de Ninive, et ils obtinrent le pardon de Dieu (cf. Gn 3,4).
Quarante, c’est aussi le nombre d’années des règnes de Saul (cf. Ac 13,21), de David (cf. 2 Sm 5,4-5) et de Salomon (cf. 1 R 11,41), les trois premiers rois d’Israël.
Enfin, dans le Nouveau Testament, nous lisons que quarante jours après sa naissance, Jésus fut amené au Temple et Siméon, au soir de sa vie, put rencontrer le Fils de Dieu qui était, lui, à l’aube de sa vie parmi les hommes. Et quarante, c’est enfin le nombre de jours que Jésus passa sans manger dans le désert où il était allé, guidé par l’Esprit (cf. Lc 4,1-13). Dans la prière, Jésus se nourrit de la Parole de Dieu, en l’utilisant comme une arme pour vaincre le diable. C’est pendant ces quarante jours que le Rédempteur commença sa vie publique. Et quarante, c’est encore le nombre de jours pendant lesquels Jésus ressuscité instruisit ses disciples, avant de « conclure » son aventure humaine, de monter au ciel et d’envoyer l’Esprit-Saint (cf. Ac 1,3), pour qu’il la poursuive avec nous et en nous.
Quarante, c’est donc le chiffre symbolique par lequel l’Ecriture sainte représente les moments saillants de l’expérience de foi du peuple de Dieu. Ce chiffre ne représente pas tant un temps chronologique, rythmé par la somme des jours, mais plutôt une période suffisante pour voir les œuvres de Dieu, un temps à l’intérieur duquel il faut se décider à assumer ses responsabilités sans les remettre à plus tard.
2) Un temps providentiel
Outre la prière, pour vivre ce temps de carême comme un temps propice et providentiel, l’Eglise indique aussi le jeûne et la charité.
Pour expliquer brièvement ce qu’est le jeûne, j’utiliserai les termes de « mortification » et de « sacrifice » dans leur signification courante. Dans la langue courante, ils signifient la tempérance dans l’ardeur, dans l’instinct, la tempérance dans l’usage de l’instinct. « Temperare », en latin, veut dire « gouverner selon le but, en direction du but », et donc maintenir dans l’ordre. Nous pourrions alors traduire cette invitation au sacrifice, cette invitation à la mortification et au jeûne comme une fidélité à ce qu’il y a de « plus significatif » dans les choses. Il y a, en fait, une signification immédiate des choses : si l’on a faim, on se jette sur la nourriture ; si l’on éprouve de l’attrait, on « utilise » l’autre personne pour satisfaire son instinct. Il y a un amour de complétude, un désir d’être reconnu qui, s’il n’est pas « tempéré », devient vaine gloire, orgueil, soif de pouvoir. Il y a une « gloutonnerie » dans l’instinct, un manque de tempérance. L’Eglise nous invite à « jeûner » pour que, par la tempérance, la nourriture soit vécue comme un moyen pour la route, et pour que nous nous comportions avec les autres comme des compagnons de route dans le pèlerinage de la vie, en les regardant comme des icônes de Dieu.
Liberté par rapport au résultat, qui nous rend finalement capables d’aimer l’autre, libres par rapport à sa réponse, à sa façon de correspondre : c’est vraiment la liberté, c’est vraiment l’amour et cela suffit : c’est l’amour, enfin, sans mentir. Et ensuite, liberté par rapport à soi-même, c’est-à-dire par rapport à ses propres goûts.
3) L’aumône est-elle la charité ?
Si l’on veut être rigoureux, la réponse est non. L’aumône n’est pas synonyme de charité, c’est une œuvre de charité. Mais il y a quelque chose de vrai dans cette assimilation fréquente, parce que l’aumône (qui vient du grec et qui veut dire avoir pitié, comme Dieu a toujours pitié de nous, surtout quand nous prions : « Seigneur, prends pitié », Kyrie Eleison) est un geste de charité, de compassion envers le pauvre.
Pourtant, il ne faut pas réduire la « charité » à la solidarité ou à une simple aide humanitaire. Un missionnaire combonien (le père Tiboni, 88 ans), qui a passé sa vie en Ouganda, disait souvent : « La plus grande charité que nous puissions manifester envers les Africains est de leur annoncer que le Christ est ressuscité ». Il n’y a pas de geste plus charitable envers le prochain que de « rompre le pain de la Parole de Dieu, le faire participer de la Bonne Nouvelle de l’Évangile, l’introduire dans la relation avec Dieu: l’évangélisation est la promotion la plus élevée et la plus complète de la personne humaine» (Benoît XVI, Message pour le carême 2013).
Faire l’aumône veut dire vivre la réparation du péché d’autrui, se sentir solidaire du monde pour réparer. Il s’agit aussi de mettre la main à la poche, mais ne croyons pas que nous allons tout résoudre par notre aumône, par la charité des petites pièces, parce que ceci, c’est « une charité » mais ce n’est pas « la Charité ». La Charité véritable consiste à donner Dieu aux âmes. Il ne s’agit pas de changer certaines choses, mais de changer sa vie, vécue en sacrifice de communion.
Saint Augustin, au chapitre onze du De civitate Dei dit que l’unique sacrifice est la communion. L’unique sacrifice est le passage à la communion, c’est d’arriver à dire : « mon je, c’est toi ». L’unique sacrifice est donc l’amour. C’est la grande révolution apportée dans l’histoire d’abord par les prophètes, puis par Jésus. Son amour rend possibles tous les sacrifices pour affirmer (affermare) l’autre, même le sacrifice de sa propre vie. C’est pourquoi l’Eglise identifie les vierges et les martyrs comme la forme la plus élevée de l’amour, parce que la virginité et le martyre sont le témoignage que la plus grande joie de la vie est d’affirmer (affermare) l’autre, d’affirmer (affermare) que le tout, c’est l’autre, dans « l’aumône ». Cet mot vient du grecque eleèo (=j’ai compassion), d’où à travers l’adjectif eléemon (=compatissant) arriva au mot latin (chrétien) eleemosyna et d’ici aux autre langues (p.ex. : français aumône, espagnole limosna, catalan almoina, anglais alms, alamand Almosen). Donc « faire l’aumône » dans le sens étymologique et chrétien du terme signifie donner compassion, miséricorde, en partageant le pain matériel et le Pain de Vie : Jésus Christ
Dans son Commentaire sur la parabole des vierges sages, Saint Jean Chrysostome exhorte tous, compris lui-même : « Lavons notre ame dans l’aumône » et en s’adressant au vierges il continue : « Le feu de la virginité s’éteint si l’on ne verse pas sur lui l’huile de l’aumône et cette huile est en vente chez les pauvre (Homélie III, 2-4).
Les Vierges Consacrés sont ces vierges prudentes qui ont « dépense » toute leur vie pour se donner à Dieu et servir le prochain, dans la compassion.
Elle ne font pas seulement l’aumône elles « sont » l’aumône de Dieu pour le monde.
Note:
Le carême vient du latin quadragesima (dies) : quarantième (jour). En ancien français, on écrivait quaresme. On devrait même plutôt dire : la carême, comme l'italien quaresima et l'espagnol cuaresma. Autrefois, on employait aussi le terme de (sainte) quarantaine pour désigner le carême.
C'est un calque du grec ecclésiastique : τεσσαρακοστή (tessarakostè).
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Lecture patristique
SAINT AUGUSTIN D’HYPPONE
SERMON 209.
POUR LE CARÊME.
Lien: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/sermons/sermons2/solpan/209.htm
ANALYSE. — Nous devons, en temps de Carême, pardonner les injures en triomphant des vices qui ont pu nous empêcher de pardonner jusqu'alors. Quant à l'aumône, celui qui jeûne doit verser dans le sein des pauvres ce qu'il se retranche, et celui qui ne peut jeûner doit, par compensation, donner davantage encore. L'abstinence enfin doit être sérieuse, ainsi que la continence.
1. Nous voici parvenus à l'époque solennelle où je dois avertir votre charité de penser davantage à l'âme et de châtier le corps. Nous voici en effet à ces quarante jours si sacrés dans tout l'univers, que célèbre par des exercices publics, de religion la partie du monde que Dieu se réconcilie par le Christ.
Les inimitiés ne devraient jamais naître ou devraient mourir à l'instant : si toutefois il en est que la négligence, l'opiniâtreté ou une (199) honte plus superbe que modeste ait entretenues entre nos frères jusqu'à ce jour, Ah ! que maintenant au moins on sache y mettre fin. Le soleil ne devait pas se coucher sur elles (1) ; après que tant de fois le soleil s'est couché et levé sur elles, qu'elles s'éteignent enfin et se couchent à leur tour sans se relever jamais. La négligence oublie d'y mettre un terme; l'opiniâtreté refuse d'accorder le pardon à qui le sollicite, et la honte orgueilleuse dédaigne de le demander. Ces trois vices entretiennent ces inimitiés funestes qui tuent les âmes en qui elles ne meurent pas. A la négligence donc opposez le souvenir, la. compassion à l'opiniâtreté, et une humble prudence à la honte orgueilleuse. Se souvient-on d'avoir négligé de se réconcilier? Qu'on s'éveille et qu'on secoue cette torpeur. Veut-on exiger d'un autre tout ce qu'il doit? Qu'on se rappelle combien soi-même on doit à Dieu. Rougit-on de demander pardon à son frère? Qu'on surmonte cette honte funeste par une louable crainte. En mettant ainsi fin, en donnant ainsi la mort à ces inimitiés fatales, vous recouvrerez la vie. La charité s'acquitte de tous ces devoirs, car elle n'agit pas insolemment (2). Si donc vous avez la charité, mes frères, exercez-la par une sainte conduite; et si vous en manquez, obtenez-la par la prière.
2. Comme nous devons maintenant rendre nos prières plus ferventes ; afin de leur donner de solides appuis, faisons l'aumône avec plus de ferveur aussi; ajoutons à nos largesses ce que nous nous retranchons, par le jeûne et par l'abstinence, de nos aliments ordinaires. Et toutefois ceux qui par besoin ou par habitude contractée ne peuvent pratiquer l'abstinence ni conséquemment donner aux pauvres ce qu'ils se retranchent, doivent donner plus abondamment encore, donner avec piété précisément parce qu'ils ne se retranchent rien, s'ils ne peuvent donner quelque valeur à leurs supplications en châtiant leurs corps, ils doivent enfermer dans le coeur du pauvre une
1. Eph. IV, 26. — 2. I Cor. XIII, 4.
aumône plus abondante, car elle saura prier pour eux. Voici en effet le conseil éminemment salutaire et digne de toute confiance que donnent les saintes Ecritures : « Enferme ton aumône dans le coeur de l'indigent, et elle priera pour toi (1) ».
3. Nous invitons aussi ceux qui s'abstiennent de viandes à ne pas rejeter comme impurs les vases où elles ont cuit. « Tout est pur, dit l'Apôtre, pour ceux qui sont purs (2)». Aux yeux de la vraie science, ces sortes d'observances n'ont point pour but l'éloignement de ce qui est impur, mais la répression de la concupiscence. Combien donc s'égarent ceux qui se privent de chairs pour se procurer d'autres aliments plus difficiles à préparer et de plus haut prix ! Ce n'est point pratiquer l'abstinence, c'est modifier ses jouissances. Comment inviter ces hommes à donner aux pauvres ce qu'ils se retranchent, puisqu'ils ne renoncent à leurs aliments ordinaires que pour dépenser davantage à s'en procurer d'autres? A cette époque donc jeûnez plus fréquemment, dépensez moins pour vous-mêmes et donnez plus largement aux malheureux.
Il convient aussi de quitter maintenant le lit conjugal., « pour un temps, dit l'Apôtre, et pour s'appliquer à la prière; puis revenez comme vous étiez, de crainte que Satan ne vous tente par votre incontinence (3) ». Est-il si pénible et si difficile, quand on est marié, d'observer durant quelques jours ce que les saintes veuves ont entrepris de faire jusqu'à la fin de leur vie et les vierges consacrées durant leur vie tout entière?
Mais en accomplissant tous ces devoirs, il faut s'enflammer d'ardeur et réprimer l'orgueil. Que nul ne se réjouisse du mérite d'avoir donné, jusqu'à perdre le mérite de l'humilité. Quelles que soient les autres grâces que l'on ait reçues de Dieu, il n'en est aucune pour nous faire mériter en rien, si elles ne sont unies par le lien de la charité.
zenit