Dans un premier temps, les habitants de Nazareth, réunis à la synagogue, paraissent enthousiasmés par Jésus. Saint Luc écrit, en effet : « Tous lui rendaient témoignage ; ils étaient étonnés des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche ». Les Nazaréens, qui l’observaient et l’écoutaient parler, voyant avec quelle délicate fermeté, avec quelle autorité originaire il s’adressait à eux restaient profondément touchés par les ‘’’paroles de grâce qui sortaient de sa bouche’’, ne font que parler du Christ, lui rendant ainsi témoignage. Mais – ajoute l’évangéliste – « ils disaient :’’N’est-ce pas le fils de Joseph ?’’ ».
Face à la ’’nouveauté’’ sans équivoque que représente le Christ et à un émerveillement que l’on ne pourrait supprimer et qui en dérive, les habitants de Nazareth semblent ’’désamorcer’’ la grâce de cette rencontre avec le Christ, d’une manière tristement célèbre aujourd’hui encore : ils minimisent la réalité qui se présente à eux. Tandis que Jésus leur annonce qu’il est envoyé par le Père, qu’il est l’Oint du Seigneur qu’Israël invoque, celui que tout le peuple attendait ardemment, les Nazaréens opposent à cette réalité leur idée, une idée préconçue : étant donné que nous connaissons le nom de son père, Joseph, le charpentier qui travaille dans notre petite ville, étant donné que nous pouvons tracer les coordonnées du temps et de l’espace, Jésus ne peut être celui qu’il affirme être.
Quelle absurdité ! Il est là devant eux, ils sont touchés par ses paroles, le Christ se manifeste à eux comme il ne l’avait jamais fait pendant les trente ans qu’il avait vécu caché à Nazareth, toute la réalité leur suggère qu’il y a quelque chose d’absolument nouveau, quelque chose qu’on ne peut ne pas prendre au sérieux et voici qu’ils s’enferment, totalement obtus et irraisonnables, excluant a priori toute ’’révélation’’. : « N’est-ce pas le fils de Joseph ? ». C’est ainsi que l’homme fuit devant la responsabilité du réel. Oui, car plus la réalité qui est sous nos yeux est vraie, grande et gratuite, plus nous sommes appelés à répondre par l’effort salutaire d’un engagement personnel. Et, étant donné qu’il serait clairement erroné de ne pas s’engager face à une telle réalité, il arrive que l’hypocrisie humaine préfère la nier : cela se produit dans le rapport direct avec le Christ, mais également – aujourd’hui – face à l’enfant conçu dans le sein de sa mère, face à la sacralité absolue d’une vie dont on ne peut disposer jusqu’à son terme naturel, cela se produit face à la famille originaire fondée sur le mariage, cellule constitutive et indissoluble de la société et cela se produit aussi face au besoin de religion des hommes vivant dans certains régimes politiques. Et puisque la réalité, nous dit Saint Paul, est ,en fait, le Christ (cf. Col 2,17), c’est toujours lui qui est nié.
« En vérité je vous le dis aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie » (Lc 4,24). Dans le Evangiles apparaissent toujours, avec une évidence absolue, la divine patience du Christ, sa pédagogie envers ses interlocuteurs, parvenant à changer en bien même l’hypocrisie des pharisiens qui tentent de l’induire en erreur par les questions les plus subtiles. Il affronte avec patience jusqu’à la trahison de Judas, un procès ignominieux et une condamnation injuste. Mais il y a deux circonstances où il réagit toujours avec fermeté : quand la bouche des démons cherche à en révéler l’identité et quand les hommes tentent de le confiner dans le cercle de sa parenté. Quand, alors qu’il prêchait, une femme se lève et s’exclame : « Heureux le sein qui t’a porté et les mamelles qui t’ont allaité ! » (Lc 11,27), il répond : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent » (Lc 11,28). Et à ceux qui lui annoncent que sa mère, ses frères et ses sœurs le cherchent, il regarde ceux qui l’entourent et dit : « Voici ma mère et mes frères ! Car celui qui observe la volonté de Dieu est pour moi un frère, une sœur et une mère » (Lc 8,20).
Etant donné que la conception du Christ, sa venue au monde se produit par l’adhésion de la volonté humaine, par l’adhésion de Marie au projet du Père, ainsi, l’appartenance au Christ se produit par l’accueil de sa divine identité, révélée par le Père sur les rives du Jourdain : « Tu es mon Fils bien-aimé ». En adhérant au Christ, en adhérant à la vérité qui est en lui, nous devenons ainsi nous aussi une seule chair avec lui, le sang de son sang. Et s’il n’existe aucune patrie à laquelle le Christ appartienne et dans laquelle il soit possible de s’habituer à lui, car il est toujours nouveau, toujours fécond de vie, puisqu’il est lui-même la vérité et la vie, il est tout aussi vrai que l’homme ne peut, au fond, avoir une patrie sur cette terre, car il ne peut se ’’reposer’’ de lui-même, de l’inévitable question de la signification, du sens et de la plénitude qui le représente.
Il n’est qu’un lieu qui embrasse et dépasse tous les lieux où cela est possible. C’est seulement dans l’Eglise, seulement dans cette portion d’humanité que Dieu a prise et transformée afin d’en faire le lieu de sa présence dans le monde, c’est ici seulement que l’homme peut vraiment se découvrir lui-même, l’abîme de profondeur qu’est son cœur, son ultime destin, tandis qu’il contemple le fils né de Marie, l’amour crucifié et ressuscité qui s’offre chaque jour pour nous sur l’autel et nous attire en lui, vers une pleine communion avec lui.
Demandons donc à la Très Sainte Vierge Marie un cœur ’’allergique’’ à toute réduction du réel et pauvre de ’’patries’’, parce qu’entièrement enraciné en Dieu le Christ, qui, sur la terre n’a pas où reposer sa tête (cf. Lc 9,58), mais qui ouvre dès à présent les portes du Paradis à ceux qui l’accueillent. Amen !
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