En cours de journée, Laurent Fabius avait rendu visite à la rédaction pour lui témoigner sa « solidarité. J’ai dit à l’équipe de RFI qu’il fallait qu’ils continuent de faire leur travail, c’est ce qu’auraient souhaité ces journalistes aguerris qui ont été tués de façon odieuse », a-t-il déclaré. « C’est vrai que la situation des journalistes a changé. Avant, être journaliste, c’était être protégé, aujourd’hui c’est être une cible ». Mais « la liberté d’informer et le droit d’informer sont des choses intangibles », a-t-il déclaré. « Les assassins, ce sont ceux que nous combattons, c’est-à-dire les groupes terroristes qui refusent la démocratie et qui refusent les élections », a martelé M. Fabius avant d’annoncer que « la sécurisation de l’ensemble de la zone et des zones voisines » allait être « accrue », mais sans fournir de détails. De source gouvernementale, il s’agirait de rendre la présence française « plus visible » dans l’extrême nord du Mali.
Près d’un an après le début, en janvier 2013, de l’intervention française pour chasser les groupes islamistes qui occupaient le nord du pays, il reste quelque 3 000 soldats français au Mali, dont 200 militaires français à Kidal, stationnés sur l’aéroport. Le nord du Mali reste cependant très instable, et attentats et attaques islamistes se multiplient à l’approche des élections législatives, dont le premier tour est prévu le 24 novembre. La situation est particulièrement dangereuse à Kidal, qui échappe au contrôle de Bamako et est sous la coupe de groupes rivaux touareg, malgré la présence française et de la Minusma, la force de maintien de la paix de l’ONU au Mali. « Le contingent de la Minusma qui est là-bas est plus ou moins cantonné, et Serval (la force française) ne dispose pas des effectifs pour sécuriser la ville », a résumé hier sur France 24 le ministre malien de la Défense Soumeilou Boubeye Maïga.
Zones d’ombre
De nombreuses questions demeuraient sur les causes et les circonstances de l’assassinat des journalistes, deux professionnels aguerris, enlevés et assassinés en plein jour. « Ni Ghislaine ni Claude n’étaient des têtes brûlées, ils n’ont pris aucun risque inconsidéré », a assuré Marie-Christine Saragosse, PDG de France Médias Monde qui inclut RFI. En premier lieu, l’identité des ravisseurs restait inconnue. Selon le témoignage d’Ambéry Ag Rhissa, le représentant du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, rébellion touareg) que les journalistes venaient d’interviewer et qui a assisté à l’enlèvement, les agresseurs parlaient tamachek, la langue des Touareg. Kidal est le berceau de la communauté touareg et du MNLA, organisation qui a condamné les crimes et promis de « tout mettre en œuvre pour identifier les coupables ».
Mais comme tous les groupes dans la région depuis l’intervention française, le MNLA est aujourd’hui « parcellisé et divisé », note le député socialiste François Loncle, auteur d’un rapport parlementaire sur le Sahel. « Il y a notamment ceux qui acceptent le dialogue avec le Sud (du Mali), et les jusqu’aux-boutistes » qui le refusent, ajoute-t-il. La piste d’el-Qaëda au Maghreb islamique (AQMI), très présente dans la région malgré les troupes françaises, reste cependant « la plus probable », estime Pierre Boilley, directeur du Centre d’études des mondes africains (Cemaf), qui ne voit « aucun intérêt » pour le MNLA à enlever ou tuer des journalistes français.
Les meurtres de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon sont intervenus quatre jours après la libération de quatre otages français, détenus par AQMI pendant plus de trois ans dans la région. La presse française évoquait hier l’hypothèse d’un différend financier entre groupes armés autour de la rançon qui aurait été versée – 20 millions d’euros, selon certaines sources – pour obtenir la libération des quatre otages français. « Est-ce que la répartition des rançons versées a été équitable ? Il n’est pas impossible que certains au sein d’AQMI se soient sentis grugés », a déclaré l’anthropologue André Bourgeot, spécialiste des mouvements touareg dans la région.