Le Caire est le théâtre depuis mercredi d'une chasse aux journalistes, molestés par la foule ou emmenés par des policiers en civils. Un des envoyés spéciaux du Figaro a été arrêté ce jeudi non loin d'Alexandrie.
Place Tahrir au Caire, il ne fait pas bon depuis mercredi avoir l'air d'un étranger. De nombreux journalistes couvrant les affrontements meurtriers au Caire entre partisans et opposants du président égyptien Hosni Moubarak ont rapporté des violences croissantes contre eux.
C'est dans ce contexte que, jeudi après-midi, l'un des envoyés spéciaux du Figaro a été arrêté par les forces de sécurité égyptiennes à Abou Hamous, une localité située à une cinquantaine de kilomètres d'Alexandrie. Cyrille Louis y effectuait un reportage en compagnie du photographe franco-libanais Paul Assaker. La police locale les a interpellés après qu'ils furent pris à partie par un groupe d'habitants. Ils ont été détenus pendant une partie de la matinée au poste de police de la ville, puis transférés en début d'après-midi aux mains de la Sûreté d'État, à une dizaine de kilomètres d'Abou Hamous. Le Figaro a alerté le Quai d'Orsay et l'ambassade de France au Caire.
Des journalistes de TF1 arrêtés par des civils armés
Au Caire, d'autres équipes, de télévision notamment, ont été violemment prises à partie. Un journaliste de la télévision publique suédoise SVT a été «grièvement blessé» à coups de couteau jeudi. Mercredi, trois journalistes qui tournaient pour BFM TV dans un marché ont ainsi été «tabassés pendant un quart d'heure, à coups de bâton, de poings, de pieds», assure Guillaume Dubois, directeur général de la chaîne d'info. «Ils ont été exfiltrés par un convoi de l'armée qui passait par là, puis ils ont passé neuf heures dans une caserne avant d'être reconduits à leur hôtel», poursuit-il. Trois journalistes de France 24 ont également été interpellés mercredi. Ils ont été libérés jeudi soir. Avant d'être arrêtés, «ils ont été pris à partie par des manifestants, l'un a été tabassé à coups de barre de fer et secouru par un passant alors qu'il était sur le point d'être lynché», explique Jean Lesieur, directeur de la rédaction.
Trois journalistes de TF1 ont également été arrêtés jeudi matin au Caire par des civils armés et conduite vers un lieu indéterminé, a annoncé Catherine Nayl, directrice de l'information de la chaîne.«Nous avons des informations parcellaires. A un moment, on a pu les joindre, et ils nous ont dit qu'il avaient été arrêtés et emmenés par des gens qui ne sont pas en uniformes, des civils, armés jusqu'aux dents, vers un endroit qu'ils n'arrivent pas trop à décrire, mais qui ne ressemble pas un commissariat et plutôt à un ancien hôtel», a expliqué Catherine Nayl.«Ils n'ont a priori pas subi de violences. Ils leur ont demandé de regarder leurs images», a-t-elle ajouté. «Ensuite tout contact a été rompu, nous n'arrivons plus à les joindre sur leur portable depuis la mi-journée».
«La foule nous aurait battus à mort»
Pour exfiltrer de la foule en colère un caméraman de la télévision publique Radio-Canada, l'armée égyptienne a même dû intervenir mercredi au coeur de la contestation. «Des dizaines de gens se sont mis à le battre devant nous», témoigne le reporter Jean-François Lépine, décrivant «une hystérie collective». «J'ai décidé de demander à l'armée, qui était devant moi, de m'aider, poursuit ce journaliste aguerri. Là ils sont intervenus militairement pour sortir le caméraman. (…) C'est ça qui nous a sauvé la vie parce que sinon, probablement la foule nous aurait battus à mort». À Bruxelles, le quotidien Le Soir s'inquiète par ailleurs de la disparition de son journaliste Serge Dumont, qui travaille également pour les journaux suisse Le Temps et français la Voix du Nord. Le reporter, de nationalité belge, a été «molesté», «tabassé», puis «emmené par des personnes non identifiées en civil» alors qu'il couvrait une manifestation pro-Moubarak au Caire.
Ces agressions de journalistes sont le fait, selon Reporters Sans Frontières (RSF), de partisans du chef de l'tat et de policiers infiltrés. «La télévision publique éqyptienne a désigné les journalistes étrangers comme responsables de ce qui se passe, c'est une sorte d'appel au lynchage, non déguisé», explique Thierry Thuillier, directeur des rédactions de France Télévisions. «Ils sont des témoins gênants, on assiste à un tabassage systématique des journalistes étrangers», poursuit-il. Alors que les tats-Unis dénoncent une «campagne concertée» contre les médias étrangers, les rédactions ont demandé à leurs équipes de redoubler de vigilance.
Le Figaro