Zenit – Excellence, vous venez de Košice, en Slovaquie, où vous avez participé à une rencontre œcuménique: quel était l'enjeu?
Mgr Enrico dal Covolo – A Košice, j’ai eu des rencontres très intéressantes avec des représentants des Eglises catholiques et orthodoxes d’Europe. Le thème abordé était un thème crucial pour cette pleine communion que nous désirons tous : il portait sur la primauté de Pierre, sur comment celle-ci a été vécue au premier et au second millénaire. Mon intervention était centrée sur le Ier millénaire. J’ai raconté trois épisodes qui montrent comment cette primauté était exercée aux premiers siècles du christianisme.
Ici, à Cracovie, le Serviteur de Dieu Jan Tyranowski, laïc, guide spirituel du jeune Krarol Wojtyla, repose en la paroisse salésienne, et près de sa maison natale. Où en est sa "cause" ?
Une des raisons pour lesquelles je suis ici aujourd’hui est une rencontre avec l’archevêque de Cracovie, le cardinal Dziwisz, pour voir avec lui comment faire avancer au mieux la cause de béatification et de canonisation de Jan Tyranowski. Nous avons déjà présenté la Positio, c’est-à-dire le dossier qui certifie le caractère héroïque de sa vie et de ses vertus. Nous l’avons présenté à la Congrégation pour les causes des saints, au cardinal Amato, au début du mois d’octobre dernier. Il s’agit maintenant de faire avancer rapidement l’examen de cette Positio. Normalement il faut attendre des années avant que la Congrégation, puis le pape lui-même, ne proclame l’héroïcité de la vie et des vertus, déclaration qui comporte le titre de Vénérable. Nous on espère que, vu les profonds liens qui unissaient Jan Tyranowski et Jean-Paul II, tout sera plus rapide que les parcours habituels qui demandent généralement plus de temps. Nous voudrions exploiter , dans un sens positif, l’enthousiasme que les gens ont pour Jean-Paul II.
Jan Tyranowski, nous le savons, est un laïc qui a eu une influence sur la vocation sacerdotale de Karol Wojtyła. Karol Wojtyła qui le raconte lui-même dans son livre autobiographique Don et mystère. Jean-Paul II raconte dans ce livre l’histoire de sa vocation, 50 ans après son ordination sacerdotale. Il y parle de la paroisse salésienne et de l’image de Marie Auxiliatrice vénérée ici à Cracovie, dans le quartier Dębniki, aux pieds de laquelle, j’ai cru comprendre, que le jeune Lolek a pris sa décision d’entrer au séminaire clandestin.
Mais le guide spirituel du jeune Lolek, comme pour tant d’autres jeunes, était ce Jan Tyranowski, qui « inventa » l’initiative du « Rosaire vivant » pour jeunes garçons qui consistaient à réciter le chapelet de manière ininterrompue, les garçons se mettant d’accord sur les horaires de fin et de début pour chacun d’entre eux, de manière à réciter le chapelet à tour de rôle, jusqu’à une heure très avancée dans la nuit.
Les liens qui existaient entre Jan Tyranowski et la vocation sacerdotale de Karol Wojtyła ont certainement été très profonds, avec tout ce qui s’en est suivi aussi.
Je pense qu’il faudrait « chevaucher » cette vague de sainteté, qui nous est fournie providentiellement par la béatification de Jean-Paul II, et c’est pourquoi je crois qu’il faudrait demander une voie privilégiée pour le déroulement de cette cause.
Ne faudrait-il pas aussi plus de sensibilisation du Peuple de Dieu?
En misant sur la reconnaissance de l’héroïcité de la vie et des vertus de cet homme, nous espérons pouvoir promouvoir également la demande de grâces, d’intercession de la part des gens, car comme tout le monde sait, on a besoin d’un miracle pour que cette béatification soit possible.
Sans cette demande d’intercession, cette demande de grâces, il est difficile que l’objectif espéré aboutisse, c’est-à-dire la béatification… Oui, ce qu’il manque peut-être encore c’est une meilleure connaissance de la personne, car, quand j’en parle, rares sont les personnes qui savent de qui je parle.
Vous allez vous rendre à Szczyrk, une ville polonaise située aux pieds des montagnes de Beskide, où se trouve un sanctuaire marial salésien. Vous y présiderez l’ordination d’un salésien. Qu'avez-vous envie de lui dire?
La Providence veut que cette ordination, qui a lieu à Szczyrk, tombe le jour de l’Ascension du Seigneur , et ce « sanctuaire sur la montagne » renvoie en quelque sorte au témoignage de sainteté et de remise qui nous vient de la solennité de l’Ascension. Je suis d‘autant plus attaché à cette solennité que j’y ai puisé la devise de mon ordination épiscopale: « Eritis mihi testes ». Ces paroles sont celles que Jésus adressa à ses disciples, avant de monter au ciel.
Quand j’ordonne un prêtre, je dois lui rappeler cette vérité selon laquelle, pour un prêtre, accompagné par Marie, la Mère du prêtre, l’ascèse vers la sainteté ne peut que passer par le plein accomplissement de sa mission de témoin. Un prêtre ne se sauve pas tout seul : il se sauve avec le troupeau qui lui est confié.
Vous êtes recteur de l’Université pontificale du Latran et en Pologne, vous avez des contacts avec l’université de Toruń…
Nous avons ouvert une convention avec l’Université de Toruń, et cette année j’ai eu à prononcer le discours d’ouverture de l’année académique à la faculté de théologie de cette université, puis celui à la faculté des sciences de la communication des rédemptoristes, toujours à Toruń. Des initiatives réussies de coopération universitaire.
C’est un moment délicat en ce moment car toute l’Europe essaie de suivre la ligne du Processus de Bologne, selon un accord global de coopération interuniversitaire. Le Saint-Siège a adhéré au mouvement. Il est important d’activer des synergies fécondes entre une université et l‘autre, pour justement favoriser ce projet jusqu’à une reconnaissance progressive des titres.
Mon université étant « l’université du Pape », je souhaite ne pas rester en arrière dans cette mission académique. Ainsi, partout où je vais, j’essaie toujours de lancer une convention, quelque synergie qui aille dans ce sens.
Que pensez-vous, en tant que salésien, du projet Européen ?
Il faut tout d’abord reconnaître que le problème est très complexe. Nous vivons à un moment de crise des valeurs de la vieille culture européenne, soit de cette culture qui, en réalité, a été jadis missionnaire par rapport au monde et qui , aujourd’hui, a perdu ses profondes racines. Une culture de plus en plus proche de la culture de la mort que de la culture de la vie. Et bien entendu les jeunes sont les premiers à pâtir de cette pseudo culture.
Nous risquons d’avoir une génération de jeunes dont personne ne s’occupera plus. Je lisais dernièrement une interview, une enquête impressionnante, où il était dit qu’en Espagne, par exemple, 52% des jeunes entre 18 et 35 ans ne trouvent aucune raison valable pour vivre: cela signifie être exposés aux pires tentations. Donc, nous disons qu’il faut avant tout prendre acte, lucidement et courageusement de la très grave crise qui nous entoure. Il faut réfléchir longtemps à cette urgence d’éducation, en étudier les causes, la phénoménologie.
Mais cela n’est qu’un premier pas. Il y a ensuite un second pas à faire, thérapeutique, face à cette urgence . A mon avis la ligne salésienne de la thérapie – mais aussi la ligne de mon université – ne peut qu’être la formation des formateurs. Cette dernière est la réponse adéquate d’une université à cette urgence d’éducation, et elle l’est aussi pour une congrégation comme la nôtre, consacrée à la mission des jeunes. Cela dit, il faut néanmoins en tirer les conséquences, voir exactement ce qu’il faut faire, et c’est ce que vise le Projet Europe, auquel la Congrégation nous appelle, et qui tient tant à cœur à notre Grand Recteur.
On ne saurait s’étonner si ce projet Europe paraît parfois suivre ce pas, qui avance assez lentement, car en réalité il n’existe pas de recettes. Il faut être patients, très courageux, ne jamais démordre et essayer d’avancer de manière ferme sur cette voie …
zenit