Aujourd’hui, la junte militaire et les élus du nouveau Parlement ont le choix entre poursuivre une politique répressive ou engager un processus d’ouverture favorable aux libertés fondamentales. Les autorités birmanes doivent saisir l’occasion de répondre aux différents appels de ces Etats voisins et du secrétaire général de l’ASEAN en faveur d’une plus grande liberté d’expression.
La communauté internationale doit inciter les autorités à plus de tolérance, et soutenir les médias qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, tentent de repousser les limites de la censure.
Reporters sans frontières, avec l’aide de son organisation partenaire Burma Media Association, a suivi le travail de la presse birmane et celui des reporters étrangers lors de ce mois de novembre historique. Un représentant de l’organisation s’est rendu sur place en avant les élections pour évaluer la situation. Malgré la censure, la surveillance et les entraves, les médias birmans ont réussi à offrir à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs une variété d’informations et d’analyses sans précédent depuis les élections de 1990. L’organisation a également voulu en savoir plus sur l’impact en Birmanie des médias dits exilés, notamment la Democratic Voice of Burma. Un sondage et une enquête, récemment menés dans le pays, confirment la très grande popularité des radios et des chaînes de télévision qui informent en birman depuis l’étranger. Plus de 2950 personnes de huit provinces différentes ont été interrogées sur leurs habitudes en matière d’information.
Les principaux enseignements de ce sondage sont encourageants. Ils démontrent qu’il est important que la communauté internationale continue à soutenir les médias birmans basés à l’étranger.
1. Les Birmans, gros consommateurs de médias
Le sondage confirme avec force que les Birmans, notamment en zones urbaines, sont de gros consommateurs de médias. Le pourcentage d’interviewés qui lisent la presse écrite (36%) est élevé pour un pays en développement. De même, les médias officiels, notamment audiovisuels, et malgré leur piètre qualité, sont bien suivis. Ainsi, la chaîne la plus officielle MRTV est suivie ’chaque jour’ ou ’souvent’ par une majorité des sondés. Sur les 2 950 interviewés, 2 188 regardent donc fréquemment la télévision d’Etat. Ses résultats se retrouvent pour Myawaddy TV et MRTV 4, respectivement la chaîne de l’armée et celle dédiée à un public international.
2. Les radios internationales, sources incontournables d’informations
66,5% des personnes interrogées écoutent ’chaque jour’ ou ’souvent’ une radio internationale, ce qui confirme que la BBC, VOA, RFA et DVB jouent un rôle fondamental dans l’accès de la population birmane à l’information. Certes, Internet fournit aujourd’hui une nouvelle fenêtre vers l’étranger et un nouvel espace d’expression, notamment avec l’explosion de la jeune blogosphère birmane. La radio reste néanmoins fortement enracinée et très populaire.
3. La télévision satellitaire s’impose dans le paysage médiatique
66% des sondés (sur l’échantillon de 2 950 personnes) est le pourcentage de sondés qui DVB TV regardent ’chaque jour’ ou ’souvent’, ce qui traduit la bonne pénétration de la chaîne. Seuls 351 ne l’ont jamais regardé, et 528 (20,2%) ne la regardent que rarement. De fait, la DVB TV est pratiquement aussi regardée que les chaînes hertziennes nationales financées par l’Etat. Le satellite s’est imposé comme un vecteur stratégique et incontournable d’informations. Même si la vente de paraboles est officiellement interdite, les vendeurs clandestins sont nombreux, et les autorités semblent fermer les yeux. Il est maintenant clair que la chaîne DVB TV s’est imposée comme un média leader. Son contenu et son style sont appréciés. La chaîne est implantée dans tout le pays. Par ailleurs, les médias internationaux plébiscitent le professionnalisme de la DVB et reposent sur son réseau pour couvrir la situation en Birmanie.
Le renforcement des capacités des médias birmans basés à l’étranger, comme la DVB TV qui a réussi à diffuser des programmes électoraux en direct, est concomitant de celui des médias en Birmanie. Plusieurs groupes de presse privés renforcent leurs activités, notamment sur Internet, améliorent la forme et le fond de leurs publications, et repoussent les limites de la censure. Ainsi les groupes Myanmar Times ou Eleven Media Group ont débloqué de nouveaux moyens pour la couverture des élections.
État des lieux
En Birmanie, il existe plus de 150 publications privées, toutes soumises à la censure préalable effectuée par la Division d’enregistrement et de vérification de la presse, dit Bureau de la censure, dirigée par un officier de la junte. Ce mécanisme de vérification avant publication, pratiquement unique au monde, empêche l’émergence de toute indépendance éditoriale. Les médias internationaux en birman (BBC, RFA, VOA et DVB) n’ont jamais été autorisés à travailler librement dans le pays et sont régulièrement attaqués par la junte militaire. Et les visas sont distribués au compte-gouttes aux reporters étrangers.
Le généralissime Than Shwe dirige les agents de la police spéciale en charge de la répression. Ceux-ci traquent tout particulièrement les détenteurs de caméras vidéo, accusés d’avoir envoyé à l’étranger les images de la répression des manifestations de moines en 2007, ainsi que celles témoignant de l’incurie gouvernementale pendant le cyclone Nargis en 2008. Révélé au grand public par le film "Burma VJ", le travail des reporters clandestins de la Democratic Voice of Burma et des autres médias birmans en exil, reste extrêmement périlleux. Le régime n’a toujours pas précisé comment ces médias et la presse étrangère pourront couvrir les prochaines élections. Les médias en exil jouent un rôle crucial pour informer la population car les deux chaînes de télévision, les radios et les quotidiens sont directement contrôlés par la junte militaire. Tandis que la presse privée subit la censure militaire. En moyenne, un magazine privé se voit amputé du tiers de son contenu. Dans un document adressé en 2008 par le Bureau de la censure militaire aux médias birmans, il est rappelé que "la publication de toute photo, dessin, peinture, article, roman, ou poème qui n’a pas été soumis [au préalable à la censure], sera punie". En cas de violation, les sanctions vont de la saisie aux peines de prison pour les directeurs de publication fautifs.
Élections : débat et contrôle
Les élections du 7 novembre ne réunissaient pas les conditions d’un scrutin démocratique. Le résultat était joué d’avance, et les lois qui délimitaient le cadre du scrutin étaient liberticides. Soumise à un contrôle, la presse birmane a pour autant, elle a tenté de son mieux d’informer la population sur les enjeux électoraux et les programmes des candidats. La ligne rouge était pourtant très ténue. Ainsi, le magazine privé Favorite News a été suspendu pendant deux semaines pour avoir publié un dessin de presse gentiment ironique sur les élections.
Le ton avait été donné bien avant les élections. Dès juillet, le magazine The Voice avait été suspendu deux semaines pour avoir publié un article sur la Constitution de l’analyste Aung Htut, pseudonyme de Nay Win Maung, qui avait déplu à de hauts responsables. Le texte revenait sur le statut du futur président au regard de la nouvelle Constitution. Presque au même moment, le politicien Nay Myo Wei s’était plaint que son interview donnée à l’hebdomadaire Pyithu Khit avait été supprimée par les censeurs.
Les médias officiels ont été largement utilisés pour relayer les messages des responsables de la junte, notamment du Premier ministre Thein Sein, candidat du parti au pouvoir (USDP), qui a appelé les Birmans à choisir des "patriotes", éliminer les "éléments destructifs", et favoriser les représentants du USDP. De même, plusieurs membres de l’organisation officielle Myanmar Writers and Journalists Association (MWJA) se sont portés candidats, parfois contre leur gré, au sein des partis pro-junte.
Les hebdomadaires privés ont eu ce mérite d’offrir une couverture de la campagne alors même que l’intention des autorités militaires était de verrouiller le débat médiatique. Selon le témoignage d’un directeur de publication recueilli par le magazine Irrawaddy : "Normalement, trois fonctionnaires vérifient notre journal au Bureau de la censure. Mais en vue des élections, chaque ligne est relue par une douzaine de fonctionnaires." Selon le même journaliste, des ressources humaines supplémentaires ont été assignées au Bureau de la censure dès mai 2010.
Profitant de la décision, annoncée en juillet, de rendre facultative la publication des articles de propagande préparés par des journalistes gouvernementaux, certains journaux privés en ont profité pour ouvrir leurs pages à des candidats de l’opposition légale et indépendants. De fait, ces titres s’éloignaient de la ligne de la presse gouvernementale, notamment The New Light of Myanmar (http://www.myanmar.com/newspaper/nl...), qui a vanté à longueur de pages les préparatifs de ces élections sous emprise militaire.
De leur côté, les médias basés à l’étranger ont démultiplié leurs efforts pour couvrir les élections. Émissions spéciales et sites Internet dédiés, tous ont profité du scrutin pour enrichir le débat politique. La DVB TV a même organisé des débats entre candidats, aux yeux et à la barbe des autorités, qui ont bien tenté d’identifier les organisateurs de cet exercice nécessaire lors d’une élection démocratique. Ces face-à-face entre candidats contournaient les règles très restrictives imposées par la Commission électorale en septembre. Selon elle, les partis disposaient de 15 minutes chacun pour présenter leurs programmes sur les médias audiovisuels d’État, mais il leur était interdit de formuler tout propos qui nuirait à l’honneur du gouvernement et de l’armée. Les retransmissions en direct de programmes politiques étaient également interdites et les textes devaient être soumis sept jours en avance à la commission. En cas de violation des règles, les partis étaient tout simplement menacés de dissolution.
Dans la foulée, le Bureau de la censure a obligé les journaux à publier des articles informant sur les risques encourus en cas d’appel au boycott : entre 5 et 20 ans de prison. Les voix de la LND, principal parti d’opposition, étaient de fait interdites dans la presse locale. Pour être sûr de définitivement avantager le parti du pouvoir, le USDP, des articles de presse sur l’utilisation des ressources de l’Etat en sa faveur, avaient été censurés.
Le climat sécuritaire a donc été fatal à la couverture libre de l’événement. Le ton a été donné avec l’interdiction par la Commission électorale de la présence de journalistes et de tout appareil photo dans les bureaux de vote. Plusieurs journalistes birmans et étrangers ont été interpellés pour avoir tenté de prendre des clichés ou recueillir des témoignages devant ou dans les bureaux de vote.
Un diplomate européen résume : "Ces élections étaient courues d’avance, mais elles ont servi de grand galop d’essai pour tous, les associations de la société civile, mais également les médias de l’intérieur et l’extérieur. Chacun a fait de son mieux."
Libération d’Aung San Suu Kyi : de l’euphorie à la sanction
La dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie, Aung San Suu Kyi, a exprimé sa surprise au crépitement des flashs et aux dizaines de téléphones portables et autres caméras, tendus vers elle lors de sa libération de résidence surveillée, le 13 novembre dernier.
Sa libération, après plus de sept ans d’isolement, a été un événement planétaire, qui malgré les contraintes imposées à la presse étrangère par la junte birmane, a été couvert pratiquement en direct.
Pour la presse birmane de l’intérieur, l’enjeu était de taille. Le Bureau de la censure a dans un premier temps accepté que les médias privés publient une photo et un article sur Aung San Suu Kyi, à condition qu’elle soit seule et que le texte court relate seulement sa libération. Malgré ces contraintes, toutes les publications qui ont couvert cet événement se sont vendues extrêmement rapidement. D’autres ont tenté de contourner la censure. Ainsi, First Eleven Journal a publié sa Une sur le championnat de football anglais dans laquelle on pouvait trouver le message : "SU FREE UNITE & ADVANCE TO GRAB HOPE". L’hebdomadaire a été suspendu pour deux semaines.
En effet, l’enthousiasme des médias privés a été sèchement refroidi par le Bureau de la censure, sur ordre de certains généraux de Naypyidaw. L’officier en charge de la censure, le major Tint Swe, a convoqué les directeurs de publication pour leur signifier les sanctions et avertir les autres. Au total, une dizaine de titres de la presse birmane ont été sanctionnés pour avoir accordé "trop d’importance" dans leurs pages à la libération d’Aung San Suu Kyi. Seven Days Journal, Venus Journal, Open News Journal, Messenger, Myanmar Newsweek, Voice Journal, People Age, Hot News Journal (pourtant détenu par la fille du général Khin Maung Than) et Snap Shot ont été suspendus pour des durées allant d’une à trois semaines. Un important manque à gagner pour ces médias privés.
Depuis cette réunion à Rangoon, la plupart des médias ont évité de publier des articles sur Aung San Suu Kyi. Seuls une poignée d’hebdomadaires ont imprimé une photo et un court article sur la réunion de la dirigeante de l’opposition avec son fils. Cette interdiction, voulue en haut lieu à Naypyidaw, renforce encore une fois l’importance des médias basés à l’étranger. Dans la foulée, le Bureau de la censure a contraint les médias privés à reprendre la publication d’articles écrits par des propagandistes.
RSF