Jean-Paul II a manifesté au monde la richesse de la spiritualité de saint Louis-Marie. Et Benoît XVI a cité deux fois le P. de Montfort dans son homélie de la béatification, le 1er mai 2011. Un patrimoine à se « ré-apprioprier » à l’intérieur même de la congrégation, souligne le P. Brembilla.
Il voit dans la « passion » pour le Christ et l’Evangile le remède à l’influence de la sécularisation qui conduirait les religieux à une vie « individualiste », « trop commode », voire « bourgeoise ».
Zenit – Il y a quelques semaines, les supérieurs généraux des congrégations religieuses se sont réunis pour partager sur la Nouvelle évangélisation, et sur la question qui a été retenue : quels changements voyons-nous pour l’avenir de la vie religieuse ?
P. Brembilla – Nous en avons parlé entre nous et j’ai eu la joie de voir la façon dont nous regardons tous l’essentiel de la vie religieuse, c’est-à-dire la conversion à l’Evangile de la vie des communautés et spécialement des personnes. Pour cela, il est nécessaire de bien présenter la formation continue pour vivre avec passion, intensité et profondeur le quotidien à la lumière de la Parole de Dieu. Une chose importante : nous devons être cohérents, avant de parler de l’évangélisation des autres. Chacun d’entre nous et chaque communauté doivent être pris par l’Evangile. Notre conviction est que l’on doit faire un travail intérieur en profondeur.
Pourquoi cette passion a-t-elle parfois diminué ?
Il y a plusieurs causes et l’une est que la culture de la sécularisation a pénétré aussi dans les congrégations. Malgré nous, nous disons que nous croyons et vivons notre vocation, notre style de vie, mais ce que nous pensons est très lié à la mentalité de la sécularisation. Autre cause, spécialement dans le nord du monde où il y a un manque de vocations, le fait de n’avoir pas de nouvelles générations porteuses d’enthousiasme et du désir de changement a pour conséquence que ceux qui vieillissent risquent de « s’asseoir », sans avoir cette passion et cette impulsion nécessaires pour un renouvellement continu de notre mission d’évangélisation.
Quelles pistes et orientations vous donnez-vous pour raviver la passion ?
Dans le chapitre général de mai 2011, nous avons donné des orientations pour suivre ce chemin qui passe « en nous, entre nous et à travers nous dans le monde ». Si nous ne faisons pas ce changement profond en nous-mêmes et en fraternité, et si nous ne nous engageons pas à faire le passage d’une ‘vie commune’ à une ‘communion de vie’, nous ne pouvons pas être témoins de la Bonne Nouvelle du Royaume dans la société d’aujourd’hui.
Dans l’assemblée des supérieurs majeurs de l’année passée, vous avez identifié différents contextes assez difficiles: indifférence, abandon, et autres causes… Quelles réponses peuvent donner les congrégations religieuses à cette situation ?
Cela exige de notre part une nouvelle façon d’entrer en relation avec ces personnes qui vivent un athéisme pratique en s’éloignant ou de la foi ou d’un chemin de vie spirituelle. Nous devons être « lumière », « témoin », en vivant en cohérence avec l’Evangile. Parce que les personnes, malgré la sécularisation et leur peu d’intérêt pour un parcours de foi, ont aujourd’hui soif de valeurs : une nouvelle stratégie c’est le lien, le dialogue, l’écoute, la compétence pour les accompagner dans un processus assez difficile comme, par exemple, la crise financière et la crise familiale. Il est très important que les religieux soient présents et attentifs, parce qu’à travers les questions des personnes nous pouvons chercher ensemble le sens de la vie.
Quelqu’un se pose la question du rôle de la Nouvelle évangélisation, différente de la mission ad gentes… Comment les Monfortains, qui se trouvent des deux côtés, vont-ils se mobiliser ?
Jusqu’à ces quelques années, nous parlions seulement d’évangélisation ad gentes, mais aujourd’hui avec les sociétés d’anciens catholiques qui se sont éloignés, nous parlons d’évangélisation pour l’homme actuel. Et cela va dans toutes les directions, pas seulement du nord au sud du monde, mais avec la participation de tous. Personnellement, j’ai travaillé plusieurs années au Pérou en ayant plus de satisfaction dans le travail missionnaire que dans d’autres pays. L’Europe est définitivement un défi important auquel nous devons répondre.
Quelle peut être la contribution des missionnaires du ‘sud’ au ‘nord’?
Ce dont nous avons besoin, ce sont des personnes « de passion ». La mission d’annoncer l’Evangile ne peut se vivre que lorsque cette passion brûle dans le cœur à la manière des disciples d’Emmaüs… De là l’importance de bien former les vocations pour la vie religieuse qui viennent du sud. Notre préoccupation ne doit pas être le nombre, mais la qualité, c’est-à-dire la profondeur et la cohérence de la vie.
Comment ‘sortir’ de la sécularisation que vous percevez dans les congrégations ou les ordres religieux ?
Ce n’est pas facile, parce que « la sécularisation » a pénétré tellement en profondeur qu’on ne voit même pas son influence… Et je parle d’une vie trop commode, je dirais « bourgeoise ». Ainsi, nous parlons des trois vœux, mais souvent nous ne vivons pas la pauvreté ni l’obéissance. L’individualisme a pénétré la vie religieuse si bien que lorsque nous cherchons quelqu’un pour les services dont nous avons besoin, il est difficile de trouver la disponibilité. Il y a des choses qui doivent mourir dans les prochaines années si nous voulons un renouvellement.
Récemment, un débat a surgi en Italie, à propos des exonérations fiscales des institutions catholiques : comment réagissez-vous ?
C’est très important que l’information soit exacte et réelle. Si les instituts religieux ont des activités lucratives, elles doivent être soumises aux lois de l’Etat et payer des impôts pour le bien commun de la société. Au contraire, s’il y a des oeuvres de charité et de solidarité, celles-ci doivent être publiques et connues de telle façon que tous soient d’accord sur les exonérations. Par exemple, en Italie, dans le domaine des migrants, qui sont souvent des nouvelles pauvretés, des religieux rendent un service non mesurable. Il faut donc les aider.
La congrégation des Missionnaires montfortains a plus de 300 ans, avec une forte présence en Haïti depuis presque 150 ans et au Pérou depuis 50 ans : qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Au Pérou, où je suis allé pour les célébrations des 50 ans, beaucoup de personnes me disaient : « Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait dans le pays ; c’est un don du Seigneur à son Eglise à travers la présence de la communauté montfortaine ». Pour nous, c’est un appel à suivre et à vivre avec la même passion et la même volonté notre charisme au service de l’Evangile.
Quand on parle d’évangélisation en Amérique latine, on rencontre aussi des critiques: comment voyez-vous votre mission là-bas ?
Le manque d’une plus forte présence, ainsi que d’une action profonde et sérieuse de l’Eglise catholique est un gros problème. Quand je suis arrivé à Uchiza, dans la forêt amazonienne du Pérou, dans la région de San Martin, ils m’ont confié une paroisse avec 80 villages et une seule église dans la petite ville de Uchiza, et la participation était réduite à celle des personnes âgées.
Quand j’ai commencé le travail dans les villages avec les communautés chrétiennes, une dame m’a dit qu’elle était catholique mais que chaque fin de semaine, elle participait à un groupe évangélique différent pour écouter la Parole de Dieu et chanter, parce que les catholiques ne se réunissaient pas. Une autre dame m’a dit qu’elle n’allait pas au temple, mais qu’elle envoyait ses fils pour apprendre la Parole de Dieu . Je pense que c’est le vide de notre église qui donne l’occasion d’un éloignement progressif des gens qui sont catholiques et veulent vivre leur foi.
Par exemple, j’ai travaillé avec l’aide de plusieurs laïcs, que je réunissais chaque mois pour leur formation de telle façon qu’ils puissent accompagner eux-mêmes les communautés. C’était une façon de les trouver préparés et animés à l’occasion de mes visites. Il faut continuer et reprendre cela comme une priorité, parce qu’avec de la formation, des laïcs engagés savent prendre en main leurs responsabilités et ainsi nos communautés catholiques peuvent se fortifier.
Et comment les Montfortains peuvent-ils répondre à la Nouvelle évangélisation?
Nous venons de célébrer les 300 ans de fondation de la congrégation en 2005 et en 2016, nous allons célébrer les 300 ans de la mort de notre fondateur. Ainsi, nous avons pensé – spécialement en 2012, année du tricentenaire de l’écriture du « Traité de la vraie dévotion à Marie » du P. de Montfort – à proposer aux confrères de la congrégation une réflexion sérieuse en vue d’une réappropriation de notre spiritualité à partir aussi des autres œuvres du fondateur.
Cela va nous conduire aux 300 ans de sa mort, pas seulement avec des célébrations extérieures, mais à travers un parcours pour renouveler nos vies personnelles et celles de nos communautés. Quand nous avons rendu visite au pape en mai dernier, il nous a dit – le visage illuminé par un grand sourire – que Jean Paul II avait répandu partout dans le monde la profondeur de la spiritualité de notre fondateur. C’est pour cela que dans l’homélie de la célébration de béatification de Jean-Paul II, le pape Benoît XVI a cité deux fois Montfort, pour son influence dans la spiritualité du nouveau bienheureux.
Avez-vous d’autres perspectives que vous pouvez partager avec nos lecteurs ?
Dans la nouvelle administration de la congrégation, nous avons le désir de nous centrer sur le charisme que nous avons reçu en héritage du père de Montfort, parce que notre congrégation – pour des situations historiques – a fait un travail dans beaucoup de domaines : paroisses, écoles, et plusieurs autres ministères, avec le risque de perdre notre spécificité qui est l’évangélisation à travers les missions. Notre chapitre nous demande de faire des choix courageux et audacieux en vue de reprendre le parcours de cohérence avec le charisme que nous a laissé le fondateur.
Comment se développe la congrégation des Montfortains actuellement ?
Nous ne sommes pas nombreux, un peu moins de 900 religieux dans le monde, avec une présence dans 27 pays. Dernièrement, on a constaté une certaine stabilisation, en raison des vocations qui viennent des Philippines, de l’Indonésie, de l’Inde, comme de l’Afrique et de l’Amérique latine. Et comme en Europe la baisse est grande, nous cherchons des chemins de collaboration internationale de telle façon que dans les lieux historiques où il y a de nouveaux défis, nous puissions créer des communautés internationales en vue d’approfondir la formation et la spiritualité montfortaine . En France, notamment, où se trouvent nos origines : nous chercherons à limiter les engagements dans des paroisses en laissant cette mission au clergé diocésain.
Qu’en est-il du procès pour le « doctorat » de saint Louis-Marie ?
Ce parcours s’est un peu bloqué, mais Benoît XVI nous demande de continuer. Le P. François-Marie Léthel, carme, qui a prêché une retraite de carême au pape et à la curie, a perçu qu’en écoutant ses méditations, Benoît XVI a eu nouveau regard sur « la personnalité » de Montfort.
Que demande l’Eglise pour donner le titre de « docteur de l’Eglise » ?
Il est très important de présenter toute la globalité de la spiritualité de Montfort et pas un seul aspect comme le font quelques mouvements, parfois avec des distorsions … Nous devons réaliser plus d’études et organiser des symposiums dans différentes parties du monde pour mettre en lumière comment Montfort continue d’influencer la spiritualité dans l’Eglise.
José Antonio Varela Vidal
zenit