De fait, c’est un hommage à la Sainte Vierge que les participants veulent exprimer. « C’est la Vierge Marie qui m’a permis de venir dans cette région que je visite pour la première fois », confie sereinement Rodine, jeune fille de Jbeil. Derrière elle, une femme entourée de ses trois enfants et transportant son quatrième dans une poussette avance lentement vers la statue nouvellement inaugurée pour l’effleurer, à l’instar de plusieurs dizaines de croyants qui n’ont cessé d’affluer vers le lieu de la cérémonie. « Nous contribuons aujourd’hui à renforcer la présence de Marie ici », estime Mario, 21 ans, venu de Aïn el-Remmaneh. Cette glorification de Marie porte un symbole particulier lié tant à la date qu’au lieu de l’événement. Retenue parce qu’elle est la plus proche du 8 septembre, fête de la Nativité de la Vierge, la date du 11 septembre inaugurera la célébration annuelle de Notre-Dame de Cana au premier dimanche après le 8 septembre. Le lieu de Cana, qui incorpore désormais son nom à celui de la Vierge, est lui-même un lieu cité par l’Évangile et cet événement vise à trancher le débat sur la localisation au Liban du Cana évangélique.
Cana, bercail du Christ
Prenant la parole, le chercheur et professeur de théologie Nasser Gemayel a écarté les hypothèses qui identifient le Cana de l’Évangile de saint Jean tantôt comme le village de Kfar Kenna, tantôt celui de Kherbet Cana, tous deux situés en terre de Palestine. Après une lecture de la déclaration du patriarche Hakim sur ce sujet, M. Gemayel a rappelé les arguments qui plaident en faveur de la localisation au Liban du village de Cana de Galilée, à savoir les témoignages concordants du premier historien de l’Église, Eusèbe de Césarée, et de saint Jérôme, l’un des pères latins. « En dépit de la controverse, la vallée de Cana continue de transmettre les échos du Christ et de ses actions », déclare M. Gemayel, rappelant que « c’est de Cana que les deux disciples Nathanaël et Simon se sont lancés » pour prêcher la parole du Christ.
Mme Joyce Gemayel a elle aussi insisté sur la sainteté de Cana, « que le pape Jean-Paul II a tenu à voir lors de sa visite au Liban en 1997, parce qu’il savait toute l’importance de ce lieu sacré dans l’histoire de notre église ». Soulignant en outre la spécificité du Liban-Sud, « dont le littoral a été le point de départ des disciples du Christ dans le monde », Mme Gemayel a tenu à s’adresser spécialement aux chrétiens du Sud, les appelant à préserver leurs terres et à « demeurer des disciples de paix avec vos frères ». Une fraternité qui ressemble à un pèlerinage quotidien en terre sainte. « Jérusalem n’est pas, selon le christianisme, un point géographique défini, mais un état de paix avec Dieu à travers le Christ », a déclaré l’archimandrite Fadi Rabbat, représentant le patriarche grec-orthodoxe Hazim. Cette spiritualité profondément humaine se fait ressentir tout particulièrement dans le village de Cana. Divisée géographiquement en deux quartiers principaux, celui des chrétiens et celui des musulmans, cette structure ne semble pas avoir lieu d’être. « Cette place de l’église signifie pour nous beaucoup. Nous partageons au quotidien ces lieux avec nos frères chrétiens », affirme Wissam Hijazi, et son frangin, Bilal, d’ajouter : « C’est cette entente, ce partage que nous vivons, qui recèle toute la sainteté de cette terre. » Assise plus loin, dans l’ombrage d’un chêne imposant, une sexagénaire de Tebnine déclare, en levant les bras au ciel avec félicité : « C’est là, la Cana originale ! » Le journaliste Bassam Barrak, qui animait avec son éloquence littéraire l’événement retransmis sur les chaînes télévisées de la LBCI, la NBN et Télé-Liban, a d’ailleurs soulevé le fait que la Vierge Marie ne s’est exprimée que lorsqu’elle s’est trouvée à Cana, « se suffisant à écouter dans le reste du récit évangélique. Est-ce parce qu’elle savait qu’elle serait au rendez-vous avec des blessures et des sacrifices qu’elle devrait embaumer ? ».
L’histoire du village de Cana meurtri par la guerre, notamment les bombardements israéliens de 1998 et de 2006, n’a pas manqué de ressurgir dans les allocutions. Déclarant la place de l’événement « place de Notre-Dame de Cana », le président du conseil municipal du village Mohammad Attié a affirmé que « cette terre est celle de l’annonciation, du martyr et du premier miracle, où l’homme s’est uni avec Marie de l’Évangile et Marie du Coran ». Et l’évêque maronite de Tyr, Mgr Chucrallah Nabil Hajj, représentant le patriarche maronite Mgr Béchara Raï, de conclure, dans une allusion à la politique éclipsée par cette cérémonie organisée par Mme Joyce Gemayel, en collaboration avec le mouvement Amal : « Répondant à notre invitation, la Vierge a fait une tournée à l’intérieur du Liban et s’est arrêtée par hasard à Bickfaya, avant de venir chez nous (…) parce que Marie connaît les chemins du Liban, et ce sont uniquement les ruelles de la politique qui lui échappent. »