En fermant la Future TV, le Hezbollah a transformé les journalistes et les employés de la chaîne en résistants. Trois jours après sa fermeture à Kantari, la Future News s’est remise à émettre, lundi soir, à partir du Beirut Hall, à Sin el-Fil, où se trouvaient déjà plusieurs studios de la chaîne.
La Future News fonctionne à 15 % de ses capacités et craignant pour leur sécurité, nombre de ses employés logent temporairement à Beyrouth-Est. En soirée, le président du conseil exécutif des Forces libanaises, Samir Geagea, a rendu visite aux nouveaux locaux de la Future TV où il a rencontré les journalistes, techniciens et employés de la chaîne télévisée. Dans une déclaration à l’issue de sa visite, M. Geagea a rendu hommage à l’esprit de résistance dont ont fait preuve les journalistes et le personnel de la chaîne télévisée à la suite des agressions perpétrées par le Hezbollah contre les médias du Courant du futur.
Depuis lundi soir donc, le Beirut Hall s’est transformé en ruche d’abeilles. En plus des studios de divers programmes, un nouvel espace a été aménagé pour accueillir la Future News, notamment une salle de rédaction et un nouveau studio.
Certes, le travail ne se fait pas comme au siège de la chaîne, qui disposait d’un matériel ultrasophistiqué. Et même s’ils se sentent un peu à l’étroit, les journalistes et les techniciens de la Future travaillent avec les moyens du bord, retournant parfois à des techniques anciennes, non informatisées.
Ceci ne les décourage pas pour autant, loin de là. C’est que le Hezbollah a probablement sous-estimé l’une des principales caractéristiques d’un journaliste libre : rien ne le motive davantage à travailler que les entraves qui l’empêchent de faire son métier.
Avant même de parler de leurs locaux temporaires, en espérant un retour proche à Kantari, nombre de journalistes et de techniciens de la Future, qui vivent à Beyrouth-Ouest, parlent de la situation dans leur quartier, des miliciens qui n’ont pas encore quitté les rues, qui se promènent armés après minuit dans les quartiers de la capitale, dressant parfois des barrages. On évoque des réverbères que les miliciens du Hezbollah ont endommagés pour que les rues restent obscures, des personnes amenées de force à des permanences des miliciens pour interrogatoire et torture. On parle aussi de perquisitions et de maisons saccagées par les miliciens.
Nadim Mounla, coordinateur général de la Future News, effectue un tour des locaux. Il indique à L’Orient-Le Jour : « Nous n’avons certes pas actuellement les capacités techniques de nos studios à Kantari mais nous travaillons avec les moyens du bord. » Il rapporte également qu’hier même, un employé qui s’était rendu aux locaux de la Future à la rue Spears, qui abrite l’administration de la chaîne, a reçu des menaces. « C’était il y a tout juste une heure », dit-il, appelant l’armée à agir en conséquence conformément à un communiqué publié par le commandement de la troupe.
« Si nous pouvons reprendre le travail à Kantari nous le ferons dès demain, mais nous recevons toujours des menaces », dit-il, soulignant qu’il faut que l’on comprenne que l’on ne peut pas imposer une seule opinion au Liban. « Le Liban respire la liberté et celui qui brise cette règle sera lui-même brisé », martèle-t-il.
« La voix du peuple »
Imad Assi est rédacteur en chef des nouvelles de la Future News. Assis devant un ordinateur de la nouvelle salle de rédaction, il souligne que « malgré les pressions et les menaces, notre principal but était de recommencer à émettre ». Il s’est dit étonné qu’une partie au Liban « procède à la fermeture d’un média libanais qui a défendu depuis son ouverture les dossiers libanais, surtout la Résistance et la lutte contre Israël. C’est simple, cette partie avait un but bien précis ; faire taire la voix de l’autre ». « Le Liban est le pays de la liberté et du pluralisme, pourquoi y a-t-il une partie qui œuvre à faire taire l’autre ? » s’insurge-t-il.
Le rédacteur en chef des nouvelles de la Future News défie les pressions, les menaces et la peur. « Pourquoi voulez-vous que j’aie peur ? À l’antenne, nous rapportons ce qui se passe à Beyrouth. Nous sommes la voix du peuple. Et nous tenons à dire notre opinion. »
Il explique que « la Future News compte 250 employés. Actuellement nous travaillons dans l’urgence ».
Imad Assi tient à préciser : « Nous sommes la voix de tous les Libanais. Les employés de la Future appartiennent à toutes les communautés religieuses. C’est une entreprise qui ne connaît pas la division, mais qui œuvre pour l’unité du Liban. » « Personne ne peut changer le visage du Liban. Ils ont voulu nous faire taire, ils n’ont pas réussi à le faire. C’est que le Liban n’est pas un pays totalitaire », ajoute-t-il.
Mounir Safatli, secrétaire de rédaction des nouvelles en langue arabe, raconte qu’il était dans le parking de la chaîne à Kantari quand le Hezbollah est entré à la Future.
« J’étais en voiture ; je rentrais chez moi », indique cet homme qui habite toujours la partie ouest de Beyrouth. « C’est vrai que la peur existe mais le danger n’est plus aussi important qu’aux premières quarante-huit heures des événements. » Pour lui, il n’y a qu’une évidence : « Nous allons poursuivre notre travail. Nous préserverons notre objectivité bien sûr. Le journal al-Mustakbal continuera à être publié et la chaîne à émettre. »
Wajd Ramadan, rédactrice en chef du journal en langue française, habite toujours chez elle à l’ouest de Beyrouth. Elle fait en sorte de rentrer à la maison avant la nuit tombée. Même si elle sait que les miliciens de son quartier la connaissent, Wajd ne compte pas déménager, du moins par pour le moment. Pour elle, c’est une façon de résister, un défi.
Hier, même s’il fallait attendre pour les montages ou travailler sans dépêches d’agences en langue française, l’équipe du journal a monté son premier journal télé à partir de Sin el-Fil. « Il y a certes du matériel qui manque. Nous sommes en train de travailler à la main certaines choses que l’on faisait sur ordinateur à Kantari. Le plus important c’est qu’on s’est remis à émettre », dit-elle.
Elle tient à souligner : « Malgré tout ce qui s’est passé, il faut qu’il y ait de la place pour la tolérance ; la haine a atteint des niveaux disproportionnés et elle pourrait créer des plaies qui ne pourraient jamais se cicatriser si on ne donne pas de la place à un peu d’amour. »
Omar Harkouss est journaliste à la Future TV et au quotidien al-Mustakbal. Il raconte qu’il a quitté le quartier qu’il habite à Beyrouth-Ouest « pour fuir l’invasion perse ». Hier, c’était la première fois qu’il allait sur le terrain depuis la fermeture des entreprises de presse du Courant du futur, couvrant l’arrivée de la délégation arabe à l’aéroport de Beyrouth.
C’est la mort dans l’âme qu’il a observé la route fermée de l’aéroport. Et c’est avec toute la révolte du monde qu’il parle des miliciens du Hezbollah qui ont ouvert la voie, l’espace d’un instant, au convoi de la Ligue arabe, racontant les détails de la scène et donnant ses impressions.
Omar Harkouss est triste. Il raconte encore qu’il a été à Beyrouth et qu’il a eu l’impression de dire adieu à sa ville natale. « C’est comme si je la voyais pour la dernière fois. Ce n’est pas facile de vivre hors de chez soi », dit-il.
24 heures pour émettre
à partir de Kantari
Saïd Alayli, directeur technique à la Future News, était à la maison quand la chaîne a arrêté d’émettre. « Dès samedi, nous avons commencé à transporter du matériel. À commencer par les machines les plus importantes comme les ordinateurs et les sets de montage nécessaires aux clips et aux reportages. C’était ensuite le tour des récepteurs de satellite. Actuellement nous travaillons à environ 15 % de nos capacités. Mais ça ira de mieux en mieux de jour en jour », dit-il, soulignant que « techniquement, il nous faudra 24 heures pour pouvoir émettre à nouveau à partir de Kantari ».
Karim Hajj, responsable des opérations, a déménagé à Sin el-Fil depuis « le début de l’invasion », explique-t-il. Il raconte la nuit de jeudi à vendredi quand des miliciens du Hezbollah et des soldats de l’armée sont entrés au siège de la télévision. « Les miliciens sont arrivés à la salle des émetteurs, ils ont coupé des câbles, puis ils sont entrés à la salle des caméras où ils ont pris tout le serveur où se trouvaient leurs images en train d’entrer dans nos locaux », dit-il.
« Nous travaillons actuellement à 10 % de nos capacités techniques. La plus grande partie de notre matériel se trouve à Kantari. Il y a de grosses machines que l’on ne peut pas transporter », souligne-t-il, notant que le matériel a été transporté de Kantari jusqu’à Sin el-Fil, lors des sit-in de soutien à la Future, organisés au quotidien devant le siège de la chaîne de 10h à midi. Le reste a été acheté.
Alors qu’il parle à L’Orient-Le Jour, des employés viennent lui raconter qu’une cassette neuve leur a été confisquée à Choueifate par des partisans de Talal Arslane.
Il indique encore que « lundi soir, nous avons eu quelques problèmes techniques, mais nous avons réussi à démarrer avec les moyens du bord ».
Loin de la salle de rédaction, des tables de montage ont été placées, dans un couloir, à proximité des loges et des salles de maquillage où la journaliste Paula Yacoubian, qui présentait Interviews à la Future News, se prépare pour une nouvelle émission.
Hussein Doghali, qui habite Beyrouth-Ouest, a refusé de dormir à l’hôtel. « Pourquoi vais-je avoir peur ? Moi je ne porte pas d’armes mais une caméra. Finalement dans cette affaire, tout le monde est perdant », dit-il, notant qu’à la Future TV, il y a autant d’employés sunnites que chiites.
Marwan Hamdane est réalisateur. Sa famille habite la banlieue sud. Lui vivait à Beyrouth-Ouest jusqu’à vendredi. Marwan parle du drapeau libanais que son père avait accroché au balcon de sa maison de Dahié, le 14 mars 2005. « Trois ans plus tard, les couleurs de ce drapeau sont défraîchies. Mais il flotte toujours au même endroit, au balcon de la maison familiale à la banlieue sud », dit-il.
Depuis les premiers jours des événements, environ 100 employés de la Future se trouvent dans des hôtels et des appartements de Beyrouth-Est. Émettant de Sin el-Fil, la chaîne reçoit toujours des menaces.
Avec la fermeture de leur chaîne, les journalistes et les employés de la Future ont gagné en courage et ténacité. Demain, dans une semaine ou dans un mois, ils rentreront inévitablement à leur siège de Kantari.
Patricia KHODER- L'Orient le Jour 15.05.2008