Licenciement collectif, en ce début d’avril, pour 397 journalistes, présentateurs, cameramen, techniciens et travailleurs de la télévision LBCI, effectivement employés par l’entreprise PAC (Production and Acquisition Company). Une entreprise dont le prince al-Walid ben Talal détient au moins 85 % des parts et Pierre Daher les parts restantes. Parmi ces journalistes, nos confrères Marcel Ghanem, Tania Mehanna, Bassam Abou Zeid, Yazbeck Wehbé, Hoda Chédid, Abdo Hélou et d’autres vedettes du petit écran.
C’est par hasard que ces personnes ont appris leur licenciement, ces derniers jours, après le non-paiement de leur salaire du mois de mars. Information qui a été confirmée à nombre d’entre eux par Pierre Daher, ex-PDG de PAC, lui aussi démis de ses fonctions par courriel, le 1er janvier 2012. Selon une source informée, « les avocats de Rotana (entreprise du prince saoudien à laquelle appartient PAC) ont déposé une liste de 397 noms auprès du ministère du Travail et fait part du licenciement, pour raisons économiques, de la totalité du personnel de l’entreprise ». C’est une fonctionnaire du ministère qui aurait laissé filtrer l’information.
Licenciement prévisible
Aussi dramatique soit-il, à cause de ses répercussions sur près de 400 familles, ce licenciement était prévisible, voire même attendu. Vu le profond différend qui s’est progressivement installé entre les deux partenaires, al-Walid ben Talal et Pierre Daher. « Un différend basé sur deux conceptions de travail différentes et qui a mené à des litiges financiers », estime une source informée. « Al-Walid ben Talal avait la folie des grandeurs. Il visait très haut, trop haut même pour un marché qui ne pouvait plus évoluer et que se disputent aujourd’hui 800 chaînes de télévision. Parmi ces télévisions, la LBCsat (détenue à 90 % environ par le prince saoudien) qui utilisait les ressources humaines, les programmes et les équipements de PAC, dans le cadre du partenariat », souligne la source précitée. Après l’impasse, le divorce est désormais entamé, même si l’affaire n’est pas devant les tribunaux, du moins pas encore.
Quel sera alors le sort des 397 personnes licenciées ?
« Il est stipulé par contrat qu’en cas de litige entre les deux hommes, la totalité de l’équipe employée par la PAC serait rendue à la LBCI, son employeur initial », explique encore cette source. D’autant que Pierre Daher, PDG de la LBCI, en détient 51 % de parts avec des proches. « Il est aussi indiqué, par contrat, que rien ne doit entraver la bonne marche de la LBCI », note la même source. La procédure devrait donc prendre son cours, comme prévu. À moins que certains journalistes ne choisissent de suivre al-Walid ben Talal, et donc la LBCsat.
Adaptation au journalisme digital
Il est d’ailleurs quasiment certain que Pierre Daher et la LBCI ne pourront englober la totalité des personnes licenciées, vu le caractère exclusivement local de la chaîne. Même si M. Daher s’est voulu rassurant, lors d’une récente réunion avec l’équipe du journal télévisé, leur demandant de ne pas s’inquiéter. Il a même expliqué à ces journalistes que « le problème n’est pas une question de finances », mais qu’il est désormais « indispensable de s’adapter au journalisme digital ». « La mise à l’écart de Georges Ghanem, rédacteur en chef du journal télévisé et des programmes politiques, ne serait pas étrangère à cette vision », selon la source. Le présentateur vedette du journal télévisé de 20 heures serait aujourd’hui conseiller du président de la République, Michel Sleiman.
Selon une source experte, Pierre Daher n’a que deux options. « Il est condamné à réduire le niveau des prestations de la LBCI, ou devrait se résoudre à accepter un soutien politique quelconque », dit-elle. Il pourrait aussi, selon la première source informée, « opter pour un plan B ». Un plan qui pourrait être plus ambitieux, comme la création d’une nouvelle chaîne satellite, selon certaines estimations.
Victimes de la rupture entre les deux anciens partenaires au sein de la Lebanese Media Holding (LMH), les employés vivent depuis plusieurs mois dans l’incertitude la plus totale. Leurs conversations tournent essentiellement autour de la crise de la LBCI. Leur récent licenciement n’a fait que concrétiser leurs craintes. Inquiets pour leur avenir et celui de leurs familles, ils continuent pourtant à travailler, dans l’espoir d’être réembauchés par la LBCI. Seule une petite poignée de techniciens de décor a protesté contre le non-paiement des salaires, il y a deux jours. Mais sans plus.
Inquiétude et peur du lendemain
« Je continue d’aller travailler. Mais je ne sais plus qui est mon employeur ou si je vais garder mon emploi », souligne un employé licencié. « Mon responsable direct est, lui aussi, incapable de me répondre », ajoute-t-il. Commentant le licenciement collectif « d’une équipe dont la moyenne d’âge varie entre 45 et 50 ans », il se demande quel sera le montant des indemnités de licenciement et ce qui attend ceux qui ne seront pas réembauchés par la LBCI. L’employé ne peut s’empêcher de raconter comment, durant la guerre, il a risqué sa vie pour cette station, à l’instar de nombre de ses collègues. « Il est déplorable que nous soyons traités de la sorte aujourd’hui », dit-il, observant que le loyer et les scolarités n’attendent pas. « Mais qu’attend-on pour nous fixer sur notre avenir ? »
Également « très inquiet » pour son avenir, un journaliste déplore « le licenciement abusif » dont il est victime ainsi que ses collègues. « Nous sommes tous dans le même bain », constate-t-il. Il se demande aussi s’il va être réembauché. « Dans ce cas, dans quelles conditions le serais-je ? lance-t-il. La situation est très complexe. » Commentant aussi la volonté de changement évoquée par Pierre Daher, il fait part de sa perplexité, estimant que « les modalités de changement ne sont pas claires ».
De son côté, un technicien parle de sa peur du lendemain. Une peur telle qu’il en devient malade. « Nous sommes tellement inquiets de savoir si nous garderons notre emploi que nous avons oublié l’augmentation de salaire, que nous n’avons pas reçue », dit-il avec résignation. « Impossible aussi d’obtenir la moindre attestation ou la moindre signature pour un éventuel achat ou prêt bancaire », observe-t-il. Aujourd’hui, comme tant d’autres, c’est avec appréhension qu’il se rend à son travail. « J’y vais comme à un enterrement. Le cœur n’y est plus », confie-t-il.
Quel sera le sort de ces employés ? Seront-ils indemnisés conformément à la loi ? Perdront-ils définitivement leur emploi ? Seront-ils réembauchés par la LBCI pour laquelle ils ont toujours travaillé ?
Seul l’avenir le dira.
L'orient le jour