Des pions qui déplacent des pions sur un échiquier fabriqué sur mesure, l'image pour être insolite n'en est pas moins le reflet d'une réalité bien libanaise,
Les tireurs de ficelles peuvent changer au rythme des décennies, au gré des humeurs politiques, les pions, eux, restent inamovibles : les communautés, les familles, les tribus, celles-là mêmes qui veillent au grain, couvent leurs prérogatives, leurs privilèges, et se font parfois la guerre pour en assurer la pérennité.
Les intrus sont rapidement démasqués, automatiquement exclus du cercle intime, labellisés « empêcheurs de tourner en rond ». Une valse à trois temps religieusement concoctée, exclusivement réservée aux postulants maronites, sunnites et chiites, ces derniers faisant preuve, par ailleurs, d'un engouement certain pour les marches martiales.
Un quatrième larron, druze celui-là, évolue au pif, s'adaptant au rythme de tubes successifs… Objectif : s'assurer, en dépit de tout, une place au soleil, sa mémoire dût-elle en souffrir, se perdre sur le chemin de Damas.
Une introduction en musique de chambre pour un quatuor constitutif d'une nation éclatée : au départ était la confession, à l'arrivée, toujours la confession, et dans l'intervalle, des guerres, des conflits sans fin pour préserver des acquis, en arracher d'autres.
Gouvernement d'union nationale, gouvernement du fait accompli : les réformes attendent des décisions qui ne viennent pas, les nominations attendent des décrets qu'on ne signe pas, les municipales attendent une entente qui se dilue dans le mensonge généralisé et, cerise sur le gâteau, le nouveau budget de l'État moisit dans les placards d'une administration gangrenée, engluée dans sa torpeur.
À la Chambre, entre-temps, les députés font antichambre, attendent des projets qui ne leur parviennent pas, discutent inlassablement en commissions d'idées qui ne se concrétisent pas. Ainsi va la République : un quatuor qui ne carbure qu'au confessionnalisme, un système qui ne fonctionne qu'au clientélisme, et à la tête de la pyramide une magistrature suprême que des pions présélectionnés descendent en flammes pour la simple raison qu'elle s'évertue à assumer la fonction pour laquelle elle a été désignée : consolider l'État de droit, entreprendre les réformes nécessaires, enclencher un dialogue qui transcende les intérêts de clans, de communautés.
Un pays pris en otage par le dernier chef d'orchestre en date, un pays à qui l'on impose un agenda régional, des choix qui le brouillent avec des partenaires essentiels, qui l'installent au premier rang des confrontations militaires.
Un pays divisé, hanté par les démons du confessionnalisme, toujours rattrapé par son passé, un passé récent qui va probablement le confronter, dès la fin de cette année, à une échéance longtemps attendue, tellement redoutée par certains, celle qui ferait enfin la lumière sur l'assassinat de Rafic Hariri, sur tous les meurtres qui ont suivi.
Turbulences garanties : l'immunité, seul un État de droit, seul un pouvoir fort auraient pu l'assurer, mais tout a été mis en œuvre, tout a été machiavéliquement agencé pour en priver le Liban…
… Pour en faire la scène de règlements de comptes, de conflits à venir, toujours au nom de droits strictement communautaires, strictement partisans, au nom de volontés dites divines, d'un Dieu qui ne reconnaît plus les siens .