« Personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale ». Une liberté pour la paix, la paix sociale, moyennant la méthode efficace et exigeante du dialogue, avec quatre principes à mettre en oeuvre.
Ce chapitre s’intitule : « la dimension sociale de l’évangélisation ». Il évoque successivement, comme une grande caisse de résonnance des enseignements du concile Vatican II et des papes Jean-Paul II et Benoît XVI, et des demandes des pères des synodes précédents:
– « répercussions communautaires et sociales » de l’annonce de l’Evangile [Confession de la foi et engagement social de l’Eglise],
– « intégration sociale des pauvres » [Nous écoutons un cri, fidélité à l’Évangile, place privilégiée des pauvres, distribution des revenus, prendre soin de la fragilité]
– « bien commun et paix sociale » [Quatre principes : le temps, supérieur à l’espace, l’unité et pas le conflit, la réalité plus que l’idée, le tout et la partie]
– « dialogue social, contribution à la paix » [Dialogue entre foi, raison et sciences, dialogue œcuménique, relations avec le judaïsme, dialogue interreligieux, dialogue social et liberté religieuse].
La clef de voûte de la liberté religieuse
« Personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale », déclare le pape François après avoir affirmé le lien « intime » entre « évangélisation » et « promotion humaine » : il s’appuie sur les réflexions sociales de Benoît XVI pour qui l’Eglise « ne peut ni ne doit rester à l’écart dans la lutte pour la justice » (Deus caritas est, 28).
Il affirme le fondement théologique de « l’option pour les pauvres », car ce n’est pas d’abord une catégorie sociologique : « Pour cette raison, je désire une Église pauvre pour les pauvres ». Plus encore, le pape, avec son art de la formule, saisit l’enjeu pour le monde et pour l’Eglise même: « Tant que ne seront pas résolus radicalement les problèmes des pauvres, (…) les problèmes du monde ne seront pas résolus » et lorsqu’une communauté oublie les pauvres, elle « court aussi le risque de la dissolution » (198-207).
Par « pauvres », le pape entend les « plus faibles », et il cite : sans-abri, toxicomanes, réfugiés, populations indigènes, personnes âgées, migrants, victimes de la traite et des nouvelles formes d’esclavage : « Ce crime mafieux et aberrant est implanté dans nos villes, et beaucoup ont les mains qui ruissellent de sang à cause d’une complicité confortable et muette » (211). Et il ajoute ce comble de la pauvreté : « Doublement pauvres sont les femmes qui souffrent des situations d’exclusion, de maltraitance et de violence » (212).
Une fausse paix sociale
Le pape confirme l’engagement de l’Eglise en faveur des enfants à naître « qui sont les plus sans défense et innocents de tous, auxquels on veut nier aujourd’hui la dignité humaine » (213). Il avertit : « On ne doit pas s’attendre à ce que l’Église change de position sur cette question… Ce n’est pas un progrès de prétendre résoudre les problèmes en éliminant une vie humaine » (214). Un combat de Mgr Bergoglio que Zenit indiquait dès son élection (Zenit du 13 mars 2013, Le pape François, défenseur de la vie humaine).
En résumé, le pape invite à un discernement de cette « fausse paix » sociale « qui servirait d’excuse pour justifier une organisation sociale qui réduit au silence ou tranquillise les plus pauvres, de manière à ce que ceux qui jouissent des plus grands bénéfices puissent conserver leur style de vie » (218).
Au contraire, l’instauration durable de la paix, de la justice, de la fraternité requiert l’observation de ces quatre principes :
– « le temps est supérieur à l’espace », autrement dit, il faut « travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats immédiats » (223) ;
– « l’unité prévaut sur le conflit », autrement dit, les oppositions peuvent parvenir à une « unité multiforme » pour « engendrer une nouvelle vie » (228) ;
– « la réalité est plus importante que l’idée », autrement dit, la politique et la foi ne peuvent être réduites à de la rhétorique (232) ;
– « le tout est supérieur à la partie » autrement dit, la mondialisation et l’attention à la dimension locale ne doivent pas être opposées.
De la réciprocité avec l’Islam
Puis le pape passe à la méthode : le dialogue, pour que l’Eglise puisse collaborer « avec toutes les réalités politiques, sociales, religieuses et culturelles » (238).
Et du point de vue religieux, le pape rappelle l’importance vitale du dialogue œcuménique entre chrétiens, du dialogue avec le judaïsme – « le dialogue et l’amitié avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus » -, du dialogue interreligieux, qui requiert « une identité claire et joyeuse », et constitue une « condition » de « la paix dans le monde ».
Le pape redit l’importance du dialogue avec l’islam et demande, « humblement », à la suite des synodes de 2011 et de 2012 que les pays de tradition musulmane garantissent la liberté religieuse des chrétiens, compte tenu de « la liberté dont les croyants de l’islam jouissent dans les pays occidentaux ! »
Le pape déplore en même temps, la « généralisation » provoquée par des « épisodes de fondamentalisme violent » : « l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence. »
Liberté religieuse aussi dans les sociétés occidentales : « le respect dû aux minorités agnostiques et non croyantes ne doit pas s’imposer de manière arbitraire qui fasse taire les convictions des majorités croyantes ni ignorer la richesse des traditions religieuses » (255). Là encore la logique du dialogue est à appliquer : croyants et non-croyants peuvent dialoguer, voire s’allier (257).
La tâche est titanesque. Mais la vision christologique qui donne le ton de tout le document avait libéré le lecteur à l’avance en le rassurant (avec les mots de Paul VI) : « Bien que cette mission nous demande un engagement généreux, ce serait une erreur de la comprendre comme une tâche personnelle héroïque, puisque l’œuvre est avant tout la sienne [du Christ], au-delà de ce que nous pouvons découvrir et comprendre. Jésus est « le tout premier et le plus grand évangélisateur ». Dans toute forme d’évangélisation, la primauté revient toujours à Dieu, qui a voulu nous appeler à collaborer avec lui et nous stimuler avec la force de son Esprit » (n. 12).
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