officiel des relations diplomatiques entre les deux Etats.
Mgr Murphy Pakiam, archevêque de Kuala Lumpur, qui faisait partie de la délégation accompagnant le premier ministre, s’exprime sur cette démarche historique et les éventuelles retombées pour la communauté catholique de Malaisie. La traduction et les notes sont de la rédaction d’ Eglises d’Asie, l’agence des Missions étrangères de Paris.
Selon Mgr Pakiam,« il y a encore beaucoup à faire ».
Quand avez-vous appris que la Malaisie souhaitait établir des relations diplomatiques avec le Saint-Siège?
Cela faisait longtemps qu’il en était question et le délégué apostolique [1] avait beaucoup travaillé dans ce sens. C'est le fruit de longues années d’efforts ininterrompus et lorsque j’ai appris, seulement quelques jours avant notre départ pour le Vatican, que la question d’établir des relations entre Rome et la Malaisie était enfin à l’ordre du jour, j’en ai été très agréablement surpris.
Comment avez-vous été invité à participer à l'audience papale avec la délégation malaisienne?
La demande est venue du gouvernement : un ministre m'a contacté personnellement et envoyé une invitation par écrit. Mais comme le protocole du Vatican n’autorise pas un évêque à venir avec une délégation d'Etat afin de rencontrer le pape, j'ai répondu… non !
Je pense qu'ils ont alors contacté le Vatican car j'ai reçu peu après [du Saint-Siège] un communiqué m’informant que Benoît XVI acceptait que mon nom soit inscrit sur la liste des membres de la délégation. Je pouvais donc accepter car la demande venait du Saint-Père.
Comment s'est passée l'audience ? Quelle a été la réaction du premier ministre ?
Très bien, l'atmosphère était vraiment très cordiale. J’ai été reçu avec le reste de la délégation après l'audience privée entre le pape et le premier ministre, et tous ont montré un grand respect pour le Saint-Père
Le premier ministre est internationalement connu pour œuvrer en faveur de la modération et de l’harmonie interreligieuse ; il a lancé un mouvement mondial (de l’islam) modéré et s’est exprimé de nombreuses fois devant les représentants des Nations unies, à l’université d’Oxford et devant les membres de l'ASEAN.
Najib Razak qui est la voix de la modération, a voulu rencontrer le Saint-Père, qui est la voix de la paix, de la justice et des libertés fondamentales, tout comme celle de la foi.
En rendant visite au pape qui défend les valeurs morales, le premier ministre de Malaisie a fait un pas vers l'avenir, pour les valeurs de la famille, de la démocratie et des droits de l'homme. Il a indiqué la direction vers laquelle il voulait conduire notre pays.
Je prie pour que cette rencontre porte ses fruits et rencontre un véritable écho dans notre propre pays, mais aussi auprès des Etats avec lesquels nous sommes liés, ainsi que tous ceux qui subissent l’expérience du radicalisme religieux, de quelque religion qu’il soit, et ressentent le besoin de faire émerger une voix en faveur de la modération.
Jusqu'ici, le dialogue entre les musulmans et les chrétiens (ou les autres religions de Malaisie) a été difficile. Cette rencontre pourra-t-elle permettre une avancée ?
Cela ne sera pas facile mais je l’espère. L’Eglise catholique le demande depuis longtemps au gouvernement. Par le passé, le Conseil interreligieux (comprenant toutes les religions du pays, à l'exception de l'islam) a tenté vainement de lancer ce dialogue, mais il n’a jamais pu obtenir l’adhésion de certains groupes musulmans.
Aujourd’hui, je pense que cela peut devenir possible parce qu’il y a un besoin réel d’un tel dialogue et d’une meilleure compréhension. Pour la Malaisie, le fait d’être au cœur de l’Asie qui est le berceau des grandes religions du monde, rend d’autant plus nécessaire l’instauration d’un dialogue entre les responsables de toutes ces religions, afin de promouvoir l'harmonie et la paix.
Le premier ministre a repris ce concept dans son programme« Une seule Malaisie »(2) mais il faudra du temps pour le mettre en pratique. Pour sa rencontre avec le pape, Najib Razak s’est fait accompagner par des représentants des différentes religions de Malaisie : un ministre catholique, un ministre bouddhiste, un évêque catholique, le président du Conseil de la fatwa et le ministre des Affaires islamiques, ainsi que d'autres ministres et officiels musulmans.
Cette visite a une grande portée symbolique ; elle montre la nouvelle direction que le premier ministre voudrait faire prendre à l’islam. Il a envoyé un message fort, destiné entre autres aux groupes musulmans radicaux qui font pression pour que le pays soit dominé par un islam rigoriste.
Amorcer des liens diplomatiques avec le Vatican est également une façon de montrer à la communauté internationale que nous sommes un pays islamique modéré et non pas un pays de talibans.
Alors vous pensez vraiment que Najib Razak s'est engagé à faire coexister plus harmonieusement les différentes religions et ethnies du pays ?
Je sais ce qu'il a dit et je le prends au mot. Assurément, cela ne sera pas facile ; il lui faudra beaucoup lutter à l'intérieur même de son propre groupe, pour atteindre cet objectif
Tout dépend de l'électorat et de ceux qui exercent une influence dans la société, comme les ONG et d’autres organismes qui luttent en faveur de la démocratie.
Nous, les Eglises, avons notre rôle à jouer ; la communauté catholique est composée de nombreux groupes ethniques différents, dont ceux d'origine chinoise, les Tamouls, ou encore ceux qui sont originaires de Malaisie orientale. Nous devons travailler à construire une communauté du peuple de Dieu avec des personnes d'origines différentes, aux langues très variées, et nous devons rendre tout cela particulièrement présent dans nos célébrations.
Cela exige de lutter pour la tolérance et l’acceptation mutuelle dans nos communautés, en poursuivant les efforts que nous avons menés depuis de nombreuses années et qui aujourd’hui portent leurs fruits. Mais c'est un long processus, nous devons continuer à y travailler et de cette manière, nous contribuons nous aussi au projet« Une seule Malaisie ».
Considérez-vous cette visite au Vatican et l’établissement de relations diplomatiques comme une étape importante dans la construction d’une société malaisienne plus harmonieuse et tolérante ? Aucun autre dirigeant de Malaisie ne s'était encore engagé dans cette voie…
Oui, c'est certainement une étape importante. Dans le passé, il y a eu des tentatives faites par d'autres gouvernements, bien que formulées de façon différente. Mais, les gouvernements s’étaient constitués sur des bases essentiellement raciales et les alliances avaient commencé à prendre des connotations religieuses. Des efforts ont été faits pour créer des partis d’intégration, notamment à la demande d’ONG, mais cela n'a pas marché. Les intégristes fondent tout sur la suprématie de la race et la suprématie de la religion.
Il y aura beaucoup à faire au niveau de la conscience politique des citoyens, comme apprendre à être vrai et honnête, à respecter les droits civiques etc. Cela demandera du temps et devra être conduit progressivement. L'Eglise se doit d’assumer son rôle de promotion des valeurs morales et humaines, et de contribuer à l'élimination des fléaux de la société comme celui de la corruption. La corruption est une maladie qui s'est infiltrée comme un cancer dans presque tous les pays, dont le nôtre, et nous devons la combattre et l’éradiquer pour le bien de la société tout entière, mais cela ne pourra se faire en un jour.
C'est pourquoi l'une des demandes les plus pressantes de l'Église au gouvernement est qu’il lui redonne la possibilité de faire la promotion des valeurs morales par la base, c’est à dire le système éducatif. Nous avions de très bonnes écoles chrétiennes et le Premier ministre lui-même est passé par l’une d’entre elles. Aujourd’hui il faudrait que nous puissions de nouveau enseigner l’éthique propre à notre religion catholique et pour cela, que l’Etat nous permette d’avoir des centres de formation pour enseignants, lesquels pourraient ainsi transmettre ces valeurs dans les écoles et l’ensemble de la société.
Vous n'avez plus cette possibilité depuis des décennies n'est-ce pas ?
Nous l'avions il y a vingt ou trente ans, lorsque des religieux et des religieuses géraient les écoles dites « de mission ». Mais quand les vocations à la vie religieuse ont diminué, ils ont pensé qu'ils pourraient former des enseignants catholiques laïcs, mais tout a été arrêté.
Aujourd’hui, nous avons réitéré notre demande auprès du gouvernement de nous accorder la possibilité d’avoir un Centre de formation des enseignants. Cela nous semble primordial de pouvoir former des enseignants d’excellent niveau qui pourront à leur tour transmettre des valeurs morales dans les écoles.
Il est intéressant de souligner que le premier ministre qui est partisan de la modération religieuse dans le pays, est, comme il l'a dit au pape, un produit de l'école catholique …
Oui, de l’école primaire à la fin du collège, il a été dans une école catholique, l'Institution St-Jean, tenue par les lassaliens à Kuala Lumpur. Il y avait des croix dans chaque salle de classe, des prières, la messe et des offices, mais les étudiants étaient libres d'y assister ou non, il n'y avait absolument aucune contrainte. Ce n'était pas un pensionnat, mais Najib Razak rencontrait les Frères (des Ecoles chrétiennes) tous les jours et il les connaissait personnellement. Quand il est venu à la réception que j'ai donnée à Noël dernier, il m'a dit avoir gardé des « souvenirs heureux »de cette école.
Diriez-vous que sa visite au Vatican pourrait être également considérée comme un « moment heureux » pour l'Eglise en Malaisie ?
Oui, mais ce n'est pas comme si tout était déjà gagné ! Beaucoup de travail nous attend avec les institutions de l’Etat, et il faudra faire entendre notre voix, dans le respect de la constitution.
Mais cela encouragera les gens de savoir qu'un Etat à majorité musulmane a établi des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Oui, c'est un Etat à majorité musulmane, mais qui compte une minorité considérable (40 %) de non-musulmans, ce qui inclut beaucoup de chrétiens (près de 10 %) (3).
C’est le rôle de l’Eglise, dans les pays où le fondamentalisme progresse, de cultiver l’ouverture à l’autre et de promouvoir la diversité par l’expression religieuse qui lui est propre. En Malaisie, nous travaillons depuis des années de cette façon, avec les différents groupes ethniques, leurs langues et leurs cultures, qu’ils soient Chinois, Tamouls, Anglais ou Malais.
Historiquement, la communauté malaise a toujours dominé la vie politique du pays. Par cette visite et l’établissement de relations diplomatiques avec le Vatican, nos dirigeants ont envoyé un signal fort, qui peut permettre d’envisager que les choses pourraient changer.
Cela prendra du temps, cela demandera des efforts, mais nous devons tous y travailler, à chaque niveau de la société.
Notes
(1) Le Saint-Siège n’est représenté en Malaisie que par un « délégué apostolique », Mgr Leopoldo Girelli, qui réside à Singapour, et dont les visites en Malaisie ne peuvent s’adresser qu’à l’Eglise locale. Sur les relations houleuses entre Rome et la Malaisie, ainsi que sur le contexte de la visite du premier ministre au Vatican, voir également la dépêche EDA du 5 juillet 2011 (NDT).
(2) Sur le site internet « Une seule Malaisie »sous l’égide du premier ministre Najib Razak, on peut lire : « Ce qui fait que la Malaisie est unique est la diversité de ses peuples. Le défi de 'Une seule Malaisie'est de préserver et encourager cette unité dans la diversité qui a toujours été notre force et reste notre meilleur espoir pour notre futur ». NDT
(3) Entre 55 et 60 % des 28 millions de Malaisiens sont d’ethnie malaise et de religion musulmane. Les minorités ethniques (Chinois : 26 %, Indiens : 8 % et autochtones) comprennent des communautés religieuses minoritaires : adeptes de la religion chinoise traditionnelle (24 %), chrétiens (8 %, dont 900 000 catholiques), hindous (7 %), bouddhistes (6 %), sikhs (2 %), animistes et autres. NDT
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