« Quand la vie n’a plus de sens, tout peut arriver ! », fait observer le cardinal pour qui le désespoir diffus de nos jours vient « d’une crise spirituelle ».
Le vicaire du pape pour la Cité du Vatican et archiprêtre de la basilique Saint-Pierre, le cardinal Angrlo Comastri a en effet donné une catéchèse sur ce thème à la communauté pastorale de Dugnano-Incirano, en Lombardie, le 20 octobre 2012.
Catéchèse du cardinal Comastri :
Je vais parler de la foi, en regardant l’exemple de celle qui est la plus grande parmi nous : Marie ! Pour nous, qui nous disons croyants et qui voulons l’être, il n’est pas facile de réaliser combien la foi est précieuse… parce nous la considérons comme acquise ! Lorsque j’étais curé d’une paroisse, je me souviens avoir connu une femme ukrainienne, qui s’appelait Sascia et qui avait vécu en Ukraine au temps de la dictature. Une dictature marxiste, où la foi était rigoureusement interdite, et même persécutée ; et elle avait grandi dans sa famille, dans une absence totale de tout référence religieuse ! Nommer Dieu était comme parler de pornographie. Elle a fui ! Elle est venue en Italie et s’est mariée. En Italie, elle a trouvé la foi.
Le drame intime de l’incroyance
Je me souviens d’une conversation où elle me disait : « Vous, vous n’avez pas fait l’expérience de l’obscurité de l’absence de Dieu, vous n’avez pas fait l’expérience de l’obscurité d’une vie qui n’a pas de sens ! C’est pour cela que vous n’appréciez pas la foi, et ce qui m’impressionne le plus en Italie, disait-elle, c’est de voir que les gens ne comprennent pas le privilège qu’ils ont : le privilège de croire ! »
Pour mieux comprendre la valeur de la foi, je voudrais insister avec quelques témoignages, quelques exemples, qui nous font toucher du doigt combien la vie change quand on passe de l’incroyance à la foi.
Giovanni Papini ! Giovanni Papini était, jusque dans les années 30, non seulement athée, mais « férocement athée ». En 1911, il avait exactement trente ans, il a écrit un livre que l’on pourrait définir comme une sorte de proclamation de l’athéisme, et qui se terminait ainsi : « Vous les humains, devenez athées ! Immédiatement ! Dieu lui-même, votre Dieu, ce Dieu qui est votre enfant – c’est-à-dire, que vous avez inventé – c’est lui qui vous le demande de toute son âme ! Athées ! Immédiatement ! » C’était en 1911.
L’année suivante, il a écrit un livre intitulé « Un homme fini » qui, aujourd’hui encore, se lit avec curiosité, parce que c’est un livre qui fait réfléchir. Voici ce qu’il déclare : « Désormais tout est fini ! Tout est perdu ! Tout est fermé, il n’y a plus rien à faire. Se consoler ? Même pas ! Pleurer ? Mais pour pleurer, il faut encore de l’énergie ! Il faut un peu d’espérance ! Je ne suis plus rien, je ne compte plus pour rien, je ne veux rien. Je suis une chose. Je ne suis pas un homme. Touchez-moi, je suis froid comme une pierre, froid comme une tombe. Là, derrière mon sternum, est enterré un homme qui n’a pas réussi à détrôner Dieu ». C’est impressionnant ! C’était en 1912.
En 1921, Papini publie « L’histoire du Christ » ; il était devenu croyant ! Voici ce qu’il écrivait dans l’introduction : « L’auteur de ce livre en a écrit un autre, il y a des années, pour raconter l’histoire désabusée d’un homme qui, pendant un temps, voulut devenir Dieu. L’orgueil est la véritable gangrène de l’humanité ! L’orgueil ! Maintenant, continue Papini, avec la maturité des ans et de sa conscience, l’auteur qui a écrit contre Dieu a tenté d’écrire la vie de Dieu qui s’est fait homme. Un retournement ! Alors qu’il était en proie à la fièvre et à l’orgueil, ce qu’il a écrit a offensé le Christ, comme peu l’avaient fait avant lui. Et pourtant, six ans plus tard à peine, mais qui furent six années de tourment et de dévastation, en dehors de lui et en lui, après de longs mois agités à retourner ses idées, tout à coup, interrompant un autre travail, comme sollicité et poussé par une force plus forte que lui, cet homme qui avait écrit ce livre sur l’athéisme, a commencé à écrire ce livre sur le Christ qui lui semble, maintenant, bien insuffisant pour expier sa faute. Ici commence l’histoire d’un autre Papini ».
Voici un autre témoignage. Le 5 novembre 1954, à Stockholm, on trouve un homme qui s’était suicidé dans son appartement : Stig Dagerman, un écrivain qui était très connu en Suède et qui l’est encore aujourd’hui. Il a écrit des romans que je trouve fascinants. Il se suicide à 31 ans, au sommet de sa carrière. Parmi ses écrits, on a retrouvé une feuille sur laquelle il avait noté ceci : « Il me manque la foi et je ne pourrai donc jamais être un homme heureux, parce qu’un homme heureux ne peut pas avoir peur que sa vie ne soit qu’une errance insensée vers une mort certaine ».
Reconnaissez que c’est ce que pensent tant de gens aujourd’hui… Tant de gens ! Le désespoir de nos jours part de là. Toute l’agitation qui nous entoure, y compris l’effervescence économique, part d’une crise spirituelle. On a perdu le sens de la vie ! Et quand la vie n’a plus de sens, tout peut arriver ! Un homme qui pense que la vie est une errance insensée vers une mort certaine ne peut être heureux. C’était en 1954.
Augusto Guerriero, connu sous le pseudonyme de Ricciardetto, écrivait dans un hebdomadaire, et ses articles, presque toujours, tournaient la foi en dérision. Un jour, en 1973, il fut interpelé par une jeune fille qui lui écrivit ceci : « Vous, avec vos articles, vous avez ébranlé la foi de mon fiancé. Arrêtez d’écrire tout cela ! » Et voici ce que lui répondit Ricciardetto : « Vous avez raison, mais ne pas avoir la foi, ce n’est pas comme le manque d’un bien moral ou matériel. Pour moi, c’est un drame ! Un drame intime et douloureux, qui m’a atteint à la veille de ma mort : quand l’âme n’a plus de force pour se ressaisir et se renouveler. Vous savez, ajoutait-il, parfois, j’y pense et cela m’émeut. Oui, je suis vraiment ému et je pleure, je pleure sur moi-même et sur ma misère ».
L’année suivante, il publiait un livre intitulé : « J’ai cherché et je n’ai pas trouvé ». Dans ce livre, il écrit : « Ce livre est celui d’un homme qui, arrivé au soir de sa vie, a perdu la paix. Cette paix dont j’ai joui pendant tant d’années et que tous m’enviaient, c’était de l’inconscience ! Maintenant je n’ai plus la paix, mais j’ai pris conscience de mon drame intime ». Et il ajoute : « Mais combien, parmi ceux qui prêchent la foi, combien parmi eux ressentent la foi comme je ressens l’absence de la foi ? ». Ces paroles sont impressionnantes. Il semble que ce soit un reproche qui nous est adressé, parce que beaucoup de personnes qui viennent vers nous voudraient parfois sentir en nous le parfum de l’évangile. Le parfum de Dieu !
Mère Teresa disait : « Je ne veux pas entendre parler de personnes qui sont loin », et elle précisait : « elles ne sont pas loin, elles sont éloignées ! ». C’est bien différent !
En 1996, Indro Montanelli, interviewé par le Corriere della Sera, déclarait : « Si je devais fermer les yeux, sans savoir d’où je viens ni où je vais ni ce que je suis venu faire sur cette terre, il aurait mieux valu que j’ouvre les yeux ». Et il concluait « Cette déclaration est celle d’un échec ».
Enfin, en 2000, Norberto Bobbio, penseur très respectable, sans aucun doute ! Dans la revue des athées, Micromedia, il déclare ceci : « Parvenu au terme de ma vie, je dois déclarer que je n’ai pas trouvé la réponse à la question fondamentale du sens de la vie : quel sens a-t-elle ? ». C’est une question qu’il a posée à l’âge de 90 ans, et il a donné une réponse : « Mon intelligence est humiliée, mais je ne me plie pas à la foi ». L’humiliation est bien différente de l’humilité. On peut être humilié sans être humble. « Mon intelligence est humiliée, mais je ne plie pas à la foi ».
La lucidité de la foi de Marie
Nous qui voulons être croyants, approchons-nous de la plus belle des croyantes, approchons-nous de Marie : essayons de revisiter certains moments de la vie de Marie, où resplendit la beauté de sa foi.
Partons de Nazareth et entrons dans la petite maison. C’est là que Dieu envoie l’archange Gabriel… Il ne l’envoie pas à Rome, centre de l’empire, ni même à Jérusalem, capitale religieuse. Il l’envoie à Nazareth, un village cité pour la première fois dans le récit de l’Annonciation de Marie. L’ange fait irruption dans la maison de Marie. Il lui apporte une salutation de la part de Dieu « Réjouis-toi, comblée de grâces, le Seigneur est avec toi ». Marie était comblée de grâce, de beauté, d’une beauté intérieure.
Marie était certainement habituée à entendre les Ecritures. Je pense que Marie n’était pas instruite, qu’elle était analphabète et ne savait ni lire ni écrire. A cette époque, très peu de gens savaient lire et écrire, comme les scribes, mais on avait une culture orale de la foi. Tout était transmis oralement. Mais Marie connaissait les Ecritures et en entendant ces paroles, elle a aussitôt perçu qu’il s’agissait d’un moment extraordinaire.
Et Marie fut troublée par cette annonce, et elle se demandait ce que signifiaient ces paroles. Et l’ange lui dit : « Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin ».
Marie voit le problème. Souvent, nous avons du mal à comprendre où se trouve le problème. Mais Marie dit « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? ». Elle était pourtant déjà fiancée à Joseph, et les fiançailles, à l’époque, étaient déjà le début du mariage. Pourquoi pose-t-elle cette question ? C’est à la réponse de l’ange que l’on comprend l’inquiétude de Marie : « Rassure-toi, l’Esprit-Saint viendra sur toi et c’est ainsi qu’adviendra ta maternité ».
L’ange, sachant qu’il dit quelque chose d’extraordinaire, la rassure : « Je t’ai dit ce que j’avais à te dire, mais cela vient du Seigneur. Et pour t’encourager, sache qu’Elisabeth, ta parente, dans sa vieillesse, est enceinte et elle en est à son sixième mois, elle qu’on disait stérile, parce que rien n’est impossible à Dieu ». Alors, Marie répond promptement : « Me voici, Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole ! » Qu’il m’advienne ! C’est un feu vert ! La disponibilité totale !
Marie ne demande pas de garanties. Elle fait confiance. Elle a une confiance aveugle en Dieu. Et elle comprend ce que, souvent, nous ne comprenons pas : que Dieu ne donne à personne la « carte routière de sa vie ». Il faut faire confiance. Marie pouvait dire : « Maintenant, mettons les choses au clair, il faut que tu expliques tout de suite à Joseph… ». Non, Marie comprend que Dieu n’est pas pressé. Nous voulons toujours tout tout de suite. Dieu est l’éternel. Comme le dit le psaume : « mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d'hier, quand il passe ». Marie ne se laisse pas prendre par l’inquiétude. Elle va chez Elisabeth. Elle part vivre la charité, elle qui a dit « Je suis la servante ». Qui sert le Seigneur sert aussi ses frères.
Quelle merveilleuse cohérence en Marie ! Qui sert Dieu sert a aussi ses frères, qui aime vraiment Dieu aime aussi ses frères parce qu’ils sont enfants de Dieu. On ne peut pas séparer les deux amours. Marie part servir. Et alors qu’elle part vivre la charité, Elisabeth la salue et lui dit : « dès que j’ai entendu tes salutations, l’enfant a tressailli en mon sein ». Eclairée par en haut, bien sûr, Elisabeth comprend que c’est le signe qui lui révèle le mystère qui lui avait été annoncé : « Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? ». C’est la première voix humaine qui ait commenté le mystère réalisé dans le sein de Marie ! Et elle ajoute : « Bienheureuse celle qui a cru », bienheureuse es-tu, toi la croyante, la croyante par excellence.
La réponse de Marie est un véritable chef-d’œuvre : « [… ] Mon esprit tressaille de joie à cause de Dieu, mon sauveur, parce qu’il a posé les yeux sur la petitesse de sa servante ».
Marie comprend que Dieu est du côté des humbles, du côté des petits, des personnes qui ne sont pas remplies d’orgueil. En Dieu, il n’y a pas d’orgueil. Et Marie en tire les conséquences, avec une grande lucidité de foi, cette lucidité qui nous manque souvent. Marie continue : « J’ai compris que Dieu est du côté des humbles, comme l’ont annoncé les prophètes, ce qui veut dire que les orgueilleux sont dans son dos, qu’ils ne voient pas les yeux de Dieu, ils n’ont pas d’avenir. Il a dispersé les hommes au cœur superbe ». C’est une parole incroyable. Comment a fait cette jeune fille de 16-18 ans, issue d’un petit village, pour dire de telles paroles ? Marie était une femme de foi, une croyante. Personne n’atteindra jamais une telle foi. « Il a dispersé les hommes au cœur superbe. Il a renversé les potentats de leurs trônes et élevé les humbles. Il a comblé de biens les affamés et renvoyé les riches les mains vides » : ces paroles de Marie sont étonnantes. Marie est certaine de ce qu’elle dit !
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