Quelle est la responsabilité politique et sociétale des médias ? Quelle est la responsabilité des États ? Comment assurer que les journalistes assument leurs responsabilités ? Telles ont été les questions évoquées aux 42es assises de l'Union internationale de la presse francophone à Rabat, début juin.
« La responsabilité politique et sociétale fondamentale et universelle des médias est de contribuer à la démocratie par l'information juste et honnête du citoyen. » C'est autour de cette idée que se sont tenues les 42es assises de l'Union internationale de la presse francophone (UPF) à Rabat, au Maroc, du 1er au 4 juin. Un thème qui, selon les organisateurs, « découle de l'évidence que la liberté de l'information a pour corollaire la responsabilité ».
Avec la prolifération de nouveaux sites d'information en ligne et en l'absence de toute forme de régulation internationale, les professionnels des médias ont insisté sur la notion de responsabilité du journaliste et sur la nécessité de « revenir aux valeurs fondamentales ». Pour Jean-Marie Colombani, fondateur et président de Slate.fr, « le journaliste a besoin de se relégitimer en permanence pour être crédible. L'humilité et la rigueur sont essentielles, surtout aujourd'hui, dans le cadre de la révolution Internet qui a créé un contexte de méfiance ».
Selon Francis Morel, directeur général du quotidien Le Figaro, « plus l'information est donnée facilement grâce aux nouvelles technologies, plus on a besoin de journalistes et d'éditorialistes. Sur la Toile, la responsabilité du journaliste est encore plus grande, parce que "la notion d'éternité" entre en jeu. Sur le Web, l'information reste, alors que sur la version papier, si une information est fausse, le journaliste fait une mise au point et puis on oublie ». Une idée reprise par Jean Miot, directeur de la section française de l'UPF, pour qui « tous les journalistes sont devenus des bloggeurs, mais pas tous les bloggeurs sont des journalistes. Il faut qu'il y ait un cadre à Internet ».
Les contradictions
Outre la responsabilité éthique du journaliste, Jean Kouchner, professeur à l'université de Montpellier, estime que le « journaliste doit prendre ses responsabilités et ne pas accepter les pressions d'où qu'elles viennent ». Selon le spécialiste, à cause ou grâce aux nouvelles technologies, il n'y a plus un seul espace dans le monde qui ne soit concerné par l'activité des médias. C'est dire l'accroissement de la responsabilité de ceux qui travaillent pour ces médias. Cette extension ne va pas sans se poser des questions existentielles, que M. Kouchner a présentées sous forme de huit contradictions.
Indépendance contre responsabilité : « La première contradiction oppose la responsabilité à l'exercice de la liberté. Où faut-il placer le curseur ? Quelle est la ligne, pour le journaliste, à ne pas franchir ? »
Savoir-faire et faire savoir : « Cette deuxième contradiction met le doigt sur la vulgarisation de l'information. Au fil des années, on a pu être en présence d'impressionnantes dégradations de contenus au profit de la mobilisation. »
Un service public soumis au marché : « Les médias assurent un service public, oui, mais ils doivent l'assurer dans le cadre d'un marché concurrentiel, qui produit des médias de qualité inégale. Ici le danger est d'aller trop vers l'extrême, il faut par conséquent trouver la juste mesure. »
Démocratie versus démocratie : « La démocratie d'opinion transite entièrement par les médias. Le pouvoir qu'ils acquièrent ainsi doit-il être contrôlé? Si oui, par qui, par quoi ? »
Le visible et l'invisible : « L'Internet a permis un progrès important en matière de liberté d'opinion. Ceux qui cherchent à réprimer cette liberté peuvent être eux-mêmes condamnés. »
La qualité : « Le public se plaint fréquemment de la mauvaise qualité de ses médias. L'éducation critique est très importante dans ce contexte. »
L'info-bain : « Aujourd'hui, à l'ère d'Internet, on baigne dans les réseaux. Les hommes sont en présence tous les jours d'une multitude d'informations. Toutefois, malgré les moyens techniques très performants, beaucoup de personnes n'ont toujours pas accès à l'information, et généralement ce sont les plus pauvres. »
Vérité et crédibilité de l'information : « Les médias sont soumis au tiraillement qui oppose la vérité à la crédibilité. Plus le domaine traité est loin de la sphère de connaissances des "clients", plus la crédibilité a du poids au détriment de la vérité. »
Selon les organisateurs du colloque, « la responsabilité des journalistes est donc d'exercer leur mission d'informer avec conscience, rigueur, honnêteté, dans le respect du public et des normes universelles de l'éthique journalistique. Elle est de réintroduire du collectif dans les méthodes de travail des rédactions, de s'organiser pour relever les défis techniques et éthiques de l'information à l'ère numérique. Elle est de ne cesser d'accroître leurs compétences, de jouer leur rôle de passerelle entres les différents univers culturels de la planète ».
La responsabilité politique des États
Les médias ne sont pas les seuls à être sujets à ce devoir de responsabilité. Les États aussi ont un rôle à jouer sur ce plan. La responsabilité politique des États est de contribuer aux conditions d'une presse pluraliste, libre, indépendante et responsable. Ce n'est pas la répression qui rend la presse responsable, mais l'émancipation, insistent les organisateurs. « L'aide publique à la presse d'information générale et politique, si elle est nécessaire, doit être mise en œuvre, dans la transparence, sur des critères objectifs. Les interventions de l'État dans le domaine de la vie des médias doivent transiter par le maximum de corps intermédiaires, pour garantir au maximum les préoccupations d'intérêt public », peut-on lire dans la déclaration finale des 42e assises de l'UPF. Ces responsabilités se complètent et s'interpénètrent, mais ne se confondent pas. « Il est fallacieux et contre-productif pour la démocratie d'assigner aux médias des fonctions qui ne sont pas les leurs, comme de donner aux États des prérogatives qui ne sont pas les leurs », lit-on encore dans le document.
Les MARS
Dans le cadre du colloque, Loïc Hervouet, directeur général de l'École supérieure de journalisme de Lille, a rendu hommage à Claude-Jean Bertrand, spécialiste des questions d'éthique journalistique et de l'étude des médias, en présentant l'un des concepts du professeur, les MARS (« Moyens d'assurer la responsabilité sociale »). Très divers, les MARS ont en commun d'être des moyens non étatiques d'améliorer le service public des médias. Ils utilisent une ou plusieurs des approches suivantes :
La formation : elle passe par l'éducation des usagers et la formation universitaire des professionnels et représente une solution à long terme pour la plupart des problèmes de qualité.
L'évaluation : la critique est la plus vieille méthode pour améliorer les médias, la plus facile, la plus banale.
L'observation systématique et le monitoring : nécessaires car les médias sont nombreux et beaucoup sont éphémères. L'observation est néanmoins rendue difficile par le fait que les fautes des médias relèvent souvent de l'omission, et sont donc difficiles à repérer.
La rétroaction et le feed-back : pour bien servir la société, il est nécessaire d'écouter les griefs des divers groupes d'usagers.
« Tous les MARS inventoriés et répertoriés ont leur intérêt, même s'ils ont chacun leurs limites et doivent être adaptés à chaque situation concrète. C'est la conjonction de ces différents moyens qui contribuera à resserrer le tamis de l'irresponsabilité. C'est la prise en main des processus d'amélioration des médias par les professionnels eux-mêmes, en y associant le public qui réduira le champ de la régulation autoritaire », indique la synthèse de clôture des 42e assises.
« Faire contrôler la responsabilité des médias par le seul pouvoir d'État, c'est ouvrir la porte à l'absolutisme. Laisser faire les seules lois du marché, c'est ouvrir la porte au mercantilisme. Laisser les professionnels s'autoréguler en vase clos, c'est faire le lit du corporatisme. Une société moderne, à la hauteur de la complexité croissante des problèmes rencontrés, combine les mécanismes et les processus de participation et de dialogue, avant d'en arriver aux sanctions.
La nécessaire adaptation des avancées de la démocratie médiatique aux rythmes propres de chaque société nationale ne doit pas être un alibi pour ralentir le mouvement. Les dérapages observés chez quelques-uns ne peuvent justifier la mise sous tutelle des autres », concluent les organisateurs.
L'orient le jour