Si la présence du patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier aux funérailles était forte sur le plan symbolique, la cérémonie de Balamand a été, elle, marquée par la présence et le message tout particuliers d’un représentant du patriarche Daniel de Roumanie, en l’occurrence l’archevêque du Bas-Danube, Mgr Casian. Un homme d’une profondeur exceptionnelle, rencontré autour d’un café durant son rapide séjour en territoire libanais.
Durant une vingtaine de minutes, différents thèmes sont survolés, en profondeur : la crise identitaire liée à la mondialisation, l’émergence de mouvements sectaires et populistes, le mimétisme girardien et le rattachement de l’orthodoxie roumaine au pluralisme, au cosmopolitisme et à l’ouverture sur l’autre dans ce contexte global difficile. Le printemps arabe, la montée des extrémismes ou encore la révolution syrienne. Sur ce sujet, Mgr Casian évoque le rôle difficile du patriarche défunt qui a dû composer avec la dictature par réalisme, sans servilité aucune. L’analogie avec la Roumanie est frappante. Sans faire preuve d’optimisme ou de pessimisme particuliers sur l’après-Bachar en Syrie, Mgr Casian rejette toutefois l’attitude d’autres pays orthodoxes et la logique de la protection des minorités, qui ne saurait justifier ce massacre barbare et ininterrompu d’innocents depuis deux ans.
Makarios et Ignace IV
Mais c’est au patriarche Hazim que le prélat roumain souhaite rendre un vibrant hommage. Mgr Casian ne tarit pas d’éloges à l’encontre du disparu, qui a été, souligne-t-il, un homme de dialogue et de promotion de la « coresponsabilité et de la coopération pratique » et un « passeur » à trois niveaux : au sein de l’Église orthodoxe d’abord, entre les différentes Églises chrétiennes, et, enfin, entre les différentes religions. Un véritable tour de force, qui fait que sa mémoire sera éternelle. Dans son allocution au nom du patriarche Daniel à Balamand, Mgr Casian évoque d’ailleurs le « charisme remarquable » de Hazim, ainsi que « sa culture théologique » et son « esprit de sacrifice pour l’Église et d’ouverture au dialogue chrétien et interreligieux dans sa mission sacrée de serviteur du Christ ». « Le patriarche Ignace a veillé inlassablement à la sauvegarde et la promotion de la foi et de l’ethos propres à l’orthodoxie, étant en même temps sensible aux transformations culturelles et de mentalité du monde contemporain, affecté non seulement dans le domaine social et économique, mais surtout dans le domaine spirituel, poursuit-il. Il accordait, en ce sens, une attention toute particulière aux jeunes, qu’il préparait spirituellement afin de pouvoir faire face aux défis du monde actuel. » « Le patriarche Ignace s’est affirmé comme un défenseur fervent de l’unité panorthodoxe et un artisan du rapprochement entre les chrétiens. En même temps, il a promu la bonne entente entre les peuples à croyances religieuses différentes, cultivant l’espérance, la solidarité et le respect réciproque pour résoudre des problèmes communs », souligne-t-il.
Mais, à travers l’hommage au regretté, c’est le lien exceptionnel et historique entre l’Église roumaine et le patriarcat d’Antioche que Mgr Casian souhaite mettre en exergue. Un lien qui remonte au XVIIe siècle, explique l’archevêque du Bas-Danube, qui évoque le voyage en 1654 du patriarche Makarios III d’Antioche dans les Carpates, en Moldavie-Valachie, recensé par son neveu, l’archidiacre Paul d’Alep dans l’ouvrage Les Voyages de Makarios. Ce journal, précise Mgr Casian, est un document historique, géographique, sociologique et culturel exceptionnel sur la Roumanie du XVIIe siècle, puisqu’il décrit avec précision tous les monastères visités, les noms de leurs fondateurs, les évêques, les higoumènes. Il note, au passage, les rites observés, les fêtes célébrées, les cérémonies funéraires, le tout sans aucun parti pris. « Grâce à cet ouvrage, nous avons pu restituer des documents importants de l’époque qui n’existaient plus », dit-il, soulignant également le lien joué par cet ouvrage dans l’ouverture de la Roumanie sur la culture et le monde arabes. Makarios avait consacré, à l’époque, la cathédrale de Bucarest.
Les liens ont perduré. Sur invitation du patriarche Daniel, Mgr Hazim a lui aussi fait le voyage en Roumanie, puisqu’il a participé, le 26 octobre 1996, à la consécration de l’église Saint-Spiridon-l’Ancien de Bucarest, première église reconstruite après 1990 parmi celles démolies par l’ancien régime communiste. De même, Ignace IV a fait preuve d’une « coopération pratique exemplaire » avec l’Église roumaine et d’une « sollicitude pastorale » à l’égard des Roumains orthodoxes se trouvant sur le territoire du patriarcat d’Antioche, Bucarest prenant soin, à son tour, des fidèles orthodoxes de langue arabe vivant en Roumanie.
Le devoir accompli, Mgr Casian retourne donc en Transylvanie. Non sans exprimer son admiration pour « la capacité des orthodoxes libanais à demeurer dans la longue tradition orthodoxe tout en restant ouverts sur les religions monothéistes », et en souhaitant que la fête de Noël soit celle « de l’espoir de la paix », au-dedans de l’esprit, comme au-dehors.