le P. Muhannad Al Tawil ne cachait pas sa joie, vendredi, aussitôt après avoir appris, au quatrième jour du synode des évêques de son Église à Rome, le choix du nouveau patriarche, auquel Benoît XVI a concédé la communion ecclésiastique : Mgr Louis Sako, 64 ans, jusqu'ici archevêque de Kirkouk, en Irak. Il succède, sous le nom de Louis Raphaël Ier Sako, au cardinal Emmanuel III Delly, démissionnaire en décembre 2012 pour raisons d'âge.
Formé par les dominicains de Mossoul
Né le 4 juillet 1948 à Zakho, formé par les dominicains de Mossoul, il a été ordonné prêtre en 1974 dans cette ville martyre depuis l'invasion américaine. Polyglotte – il parle parfaitement le français, l'anglais, l'italien, en plus de l'arabe, de l'araméen et du soureth –, il a également étudié à Rome, et notamment à l'Institut pontifical d'études arabes et d'islamologie (Pisai). Lauréat des prix Defensor fidei en 2008 et Pax Christi en 2010, Mgr Sako est très connu pour son engagement œcuménique – en faveur de l'unité des chrétiens dans son pays – mais aussi interreligieux, notamment en faveur du dialogue avec les musulmans.
Dans un pays en proie aux divisions à la fois ethniques – entre Arabes, Kurdes, Turkmènes notamment – et religieuses – entre sunnites, chiites, mais aussi yézidis, etc. –, cet homme de paix et de dialogue s'emploie à favoriser les rencontres entre Irakiens, insistant sans cesse sur ce qui les réunit (la culture notamment) pour mieux les inciter à dépasser leurs différences. Son discours vigoureux mais toujours affable, empreint de douceur, s'adresse aussi à ses frères chrétiens. Alors que certains partis « assyriens » prétendent les représenter sur le plan politique, lui ne cesse de leur redire que leur avenir passe par une « citoyenneté irakienne » laissant de côté ethnie et religion.
Favoriser l'insertion des chrétiens dans leur pays
Désireux de favoriser l'insertion des chrétiens dans leur pays, il a même choisi, à la différence de certains de ses confrères, de revaloriser leur ancrage dans la culture et la langue arabe. Dans son diocèse de Kirkouk, la messe est majoritairement célébrée en arabe, quand l'araméen est historiquement la langue liturgique des chaldéens. La chorale qu'il a créée, très appréciée des fidèles, compose et chante en arabe.
Son élection devrait également rassurer ceux qui craignaient un déplacement du siège historique du Patriarcat de Babylone de Bagdad vers les États-Unis. De fait, la guerre et les attentats qui font rage en Irak depuis dix ans ont poussé à l'émigration une grande partie des chrétiens vers l'Europe, l'Amérique et l'Australie, au point que l'on estime désormais le nombre des chaldéens exilés supérieur à celui de ceux vivant actuellement en Irak, en Turquie et en Iran.
Comme le rappelle le P. Muhannad, Mgr Sako n'a « jamais encouragé l'hémorragie des chrétiens mais les a toujours incités à rester et à participer à la reconstruction de leur pays ». Récemment, il tentait même de mettre sur pied des programmes d'aide au retour pour les réfugiés en Syrie, Jordanie ou Liban, dont certains vivent dans des conditions misérables…
Défenseur d'une présence chrétienne en Irak
Fervent défenseur d'une présence chrétienne en Irak, il considérait avec prudence le choix de certains de ses coreligionnaires de Bagdad ou Mossoul d'accepter la main tendue par le Kurdistan irakien : pour des raisons parfois qualifiées de politiques ou stratégiques, celui-ci a offert ces dernières années terrains et argent aux chrétiens pour qu'ils construisent églises, maisons, et même une université.
Y voyant lui aussi un enjeu, Mgr Sako a ouvert à la rentrée 2012 une école chrétienne dans sa ville de Kirkouk, la première depuis l'avènement de Saddam Hussein. Elle accueille élèves chrétiens et musulmans, prodiguant à chacun un enseignement de sa religion « mais dans le respect de celle de l'autre ». « Il a de très bonnes relations avec les autres Églises, il a fait un travail énorme avec la communauté musulmane. Avec lui s'ouvrira peut-être une période d'épanouissement pour l'Église chaldéenne, lui permettant de trouver sa place dans la société irakienne », espère le P. Muhannad.