Grand universitaire libanais et pasteur de terrain, Mgr Gemayel conduit depuis dix mois les 80 000 âmes de ce diocèse où tout reste à bâtir.
C’est un coin de Liban au cœur de Paris, quelques mètres carrés adossés au foyer maronite de la rue d’Ulm. Mgr Nasser Gemayel reçoit dans un salon au décor minimaliste. Deux fauteuils sur un tapis d’Orient, un télécopieur sous emballage, et au mur l’incontournable portrait de Charbel, l’un des saints les plus populaires au pays du Cèdre : voilà à quoi se résume le siège parisien de celui que Rome a nommé le 21 juillet dernier premier évêque des maronites de France. Cette nouvelle éparchie était très attendue par les 80 000 maronites de l’Hexagone, installés parfois de longue date, en vertu de l’amitié qui lie les deux nations.
Depuis moins d’un an d’existence, l’éparchie Notre-Dame-du-Liban se bâtit peu à peu : « Nous sommes en quête d’un lieu, pourquoi pas un ancien couvent, à Paris ou dans la petite couronne, pour installer notre évêché », annonce avec franchise Mgr Gemayel, personnage affable et direct dont la porte est toujours ouverte. Sans faire grand cas de sa situation, l’évêque de 62 ans a appris à composer avec les moyens du bord : « En matière de simplicité, notre nouveau pape nous a montré l’exemple », convient-il, non sans rêver d’un évêché fonctionnel où accueillir ses hôtes, avec foyer et centre de recherches…
Pour l’heure, il n’a de toute façon que peu d’occasions d’être à Paris. Depuis son installation, fin septembre, Mgr Gemayel raconte avoir sillonné la France pour « réveiller la nostalgie des racines d’Antioche » parmi les communautés maronites. Pour la plupart occidentalisés, les Libanais rencontrés demeurent étroitement liés à leur culture, observe-t-il.
Forger « une communion »
Jusqu’ici, en France, il n’y avait que quatre paroisses : Paris, Suresnes, Lyon et Marseille ; quatre foyers historiques de la présence libanaise. Dès novembre, une nouvelle paroisse verra le jour à Bordeaux, tandis que d’autres créations sont à l’étude à Marcq-en-Barœul, Strasbourg et Clermont-Ferrand, où l’évêque s’est rendu récemment en compagnie du P. Raymond Bassil, le jeune prêtre qui le seconde dans cette opération de reconnaissance.
D’autant que Mgr Gemayel souhaite que tous se mobilisent pour dessiner les contours de la nouvelle éparchie : « Ce n’est pas d’abord une affaire administrative », insiste l’évêque, dont la devise annonce le souci de proximité : « Authenticité et mission. » Une ambition qu’il a mise en œuvre en inaugurant, le 9 février dernier, un synode diocésain qui doit se conclure en 2014.
L’objectif est de forger « une communion », analyse, en buvant un café oriental, l’évêque pionnier, accoudé à la petite valise qui ne le quitte presque jamais. Depuis dix mois, sa vie a des airs de perpétuel pèlerinage : dans moins de deux heures, il doit appareiller pour Londres, en sa qualité de visiteur apostolique pour l’Europe qui lui donne une responsabilité pastorale dans une quinzaine de pays.
« Servir la communauté »
Voyager est de toute façon presque une seconde nature. Très jeune, l’enfant d’Aïn-El-Kharoubé, petit village du Mont-Liban, issu d’une des plus grandes familles libanaises, a su que sa vocation serait de devenir prêtre. Séminariste à l’université Saint-Joseph de Beyrouth de 1970 à 1974, il intègre l’année suivante la Catho de Lyon alors qu’éclate la guerre civile libanaise. Soucieux de « servir la communauté », le jeune étudiant choisit alors de se tourner vers la philosophie de l’éducation, qu’il étudie à Paris I.
Ordonné en 1981, il revient à Paris en 1984 pour soutenir sa thèse de doctorat (« Les maronites et l’éducation au Liban »). Auteur de 32 ouvrages, ce chercheur infatigable doublé d’un pasteur de terrain a accueilli sa nomination en France comme une évidence.
Pour avoir exploré les archives du Collège de France, il sait que les maronites y ont enseigné dès le XVIIe siècle : « Quand je passe devant le bâtiment, ça me remue toujours », confie ce Parisien d’adoption, émerveillé d’avoir établi ses quartiers provisoires à deux pas du Panthéon. En 1893, la première messe maronite de France a d’ailleurs été célébrée non loin de là, dans la chapelle du Palais du Luxembourg, révèle cet érudit, avide de transmettre son savoir, comme lorsqu’il enseignait dans de grandes universités. Pédagogue dans l’âme, il dit y avoir vécu certaines des plus belles années de sa vie, au contact d’étudiants chrétiens et musulmans.
« Héritiers du même monde romain et méditerranéen »
Quand le professeur Gemayel est lancé, des pans entiers d’histoire oubliée refont surface : on apprend ainsi que la première imprimerie arabe de France fut installée à Marseille au XIXe siècle, par une famille libanaise. « Et saviez-vous qu’il existe une rue des Maronites, dans le 20e arrondissement de Paris ? » L’évêque y voit un signe du lien entre les deux pays autant qu’une justification de la nouvelle éparchie
« Nous sommes les héritiers du même monde romain et méditerranéen », fait valoir ce passeur qui regrette parfois les incompréhensions entre l’Occident et les pays arabes. Et c’est peut-être pour resserrer ces liens, en commençant par l’Église, qu’il envisage d’instituer avec ses homologues catholiques orientaux de France une manifestation culturelle et spirituelle vouée à mieux faire connaître les richesses de l’Orient chrétien. D’ici là, Mgr Gemayel espère avoir défait ses cartons.