Au Salon du livre, quoi de plus normal que de s'interroger sur la langue choisie par les écrivains francophones pour chacune de leurs œuvres? Que ce soit un choix réfléchi, ou même politique, ou un élan spontané, quelques auteurs ont accepté de nous éclairer sur leur mode d'écriture.
Intitulé « Dans quelle langue écrivez-vous ? », le thème de la soirée apparaît comme une évidence. Autour d'elle sont rassemblés des auteurs francophones, pour la plupart issus du pavillon du Sud, nouveauté de ce 16e Salon du livre.
Comment préférer une langue plutôt qu'une autre, se délester du poids de celle qu'on délaisse, mais qui transparaît dans notre mode de pensée ?
Charif Majdalani, journaliste et directeur du département des lettres françaises à l'USJ, écrit en français. Pour lui, la vraie forme du bilinguisme n'est « pas d'écrire en une langue et d'en avoir une en arrière-plan, mais d'écrire dans la langue originelle qu'on a héritée pour en faire quelque chose de particulier ».
« On écrit dans la langue que l'on lit »
Parfois, la langue s'adapte au texte, au genre. « Nous sommes souvent prisonniers d'une mémoire littéraire qui nous vient dans une langue, explique l'auteur et journaliste haïtien Lyonel Trouillot. En créole, pour le genre romanesque, je n'ai pas de repères.» Ses romans sont en français, sa poésie en créole. Une vision que partage Georgia Makhlouf, professeur à l'USJ: «On écrit dans la langue qu'on lit.»
Rasha el-Amir, cofondatrice d'une maison d'édition, a fait le choix de l'arabe classique. « Pour moi, c'est un engagement presque politique, explique-t-elle. J'ai voulu sortir cette langue de son carcan religieux, la maîtriser, la travailler pour pouvoir la détourner. On conquiert une langue, comme un territoire. »
S'il utilise le français, Kossi Efoui, lauréat togolais 2009 du Prix des cinq continents (OIF), c'est pour répondre aux politiques de son pays, dont c'est la langue diplomatique. « Au Togo, on entend le mot "liberté" sans cesse, raconte-t-il. Il est lié à la dictature et à la peur. J'essaye d'opérer un déconditionnement du mot, du langage. » Dès lors que l'on écrit contre les mots, la dimension politique est immédiate.
Déculpabilisation de la francophonie
Mais ce qui émane surtout de cette discussion entre auteurs francophones, c'est une volonté de déculpabilisation face à la langue française. «Nous vivons une période historique de la francophonie, s'enthousiasme Charif Majdalani, car le rapport au français s'est pacifié, et ce n'est plus seulement le langage du colonisateur qu'il s'agit de s'approprier et de transformer. »
Héritage historique, familial, ou scolaire : la littérature française a marqué les esprits de ces auteurs, qui ont eu le désir de maîtriser et d'utiliser la langue française comme un outil. Pour ensuite mieux créer leur propre langage. « Peu importe la langue, conclut Lyonel Trouillot. Ce qui compte, c'est le texte. »