Le Lesotho, connu aussi sous le nom de « Royaume dans le ciel, » est un petit pays de la taille grosso modo de la Belgique, enclavé au cœur de l’Afrique du sud, telle une île. Des villages de huttes sont disséminés çà et là sur de vastes étendues, certains accessibles seulement à dos de cheval ou par de petits avions.
Mgr Bane, qui est à la tête du diocèse de Leribe depuis 2009, a évoqué à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » la situation actuelle de son pays et ce qui, selon lui, est le principal motif d’espérance pour le Lesotho.
Q : Votre famille a-t-elle toujours été de foi catholique, ou s’est-elle convertie récemment ?
Mgr Bane : La foi catholique dans ma famille est récente ; ni mon père ni ma mère n’étaient chrétiens. Mon père s’est converti au catholicisme et a été baptisé en Italie, où il se trouvait durant la Seconde guerre mondiale. A l’époque, il n’était pas encore marié. De retour au Lesotho après la guerre, il a épousé ma mère, qui s’est convertie le jour du mariage.
Si je ne me trompe, il existe au Lesotho les religions africaines traditionnelles. Il est donc curieux que votre père soit revenu d’Italie converti au catholicisme ?
Non, ce n’est pas curieux car le catholicisme, en fait, est arrivé au Lesotho en 1862. Les calvinistes sont arrivés en 1833, les catholiques en 1862, et les anglicans en 1865.
Donc, ce sont les calvinistes qui, les premiers, ont évangélisé le Lesotho ?
Oui. Ils ont fait du bon travail en enseignant la Bible et en créant des écoles, mais les catholiques, arrivés en 1862 en grand nombre, n’eurent pas de mal à se répandre partout, même dans les parties les plus reculées du Lesotho. Ils fondèrent de nombreuses écoles qui, le dimanche, faisaient fonction aussi d’églises.
Quand avez-vous vraiment compris que Dieu était vivant et présent pour vous ?
Le jour de notre confirmation, quand le prêtre a chanté l’ « Ite missa est », j’ai dit : « Que j’aimerais chanter ceci ! » et le lendemain, j’ai compris que je voulais devenir prêtre. C’était en 1958.
Vous êtes entré au séminaire très jeune, à 22 ans, et depuis il a été clair pour vous que vous étiez appelé au sacerdoce ?
Oui, mais cette pensée allait et venait. A un moment, je me souviens, j’avais décidé d’abandonner, mais mon curé m’a dit que si je m’étais fixé sur la prêtrise, il y aurait des difficultés et que, à chaque fois qu’il y a une difficulté, je ne dois pas renoncer car la vie est ainsi faite et je dois y faire face et non les fuir.
Quel a été le plus grand encouragement à votre vocation ?
Quand j’étais au petit séminaire, un jour mon curé, qui ne se sentait pas bien, m’a demandé de porter la communion à une personne malade, à environ 50 km de distance. J’y suis allé à cheval et quand je suis arrivé, l’homme semblait au plus mal. Mais après lui avoir donné la communion, j’ai vu une telle expression de joie et de paix sur son visage que j’en ai été bouleversé et me suis dit que j’aimerais servir spécialement les malades et les mourants. Et ma vocation s’en est trouvée renforcée.
Et vous avez rencontré des obstacles et difficultés dans votre processus de discernement ?
Il y avait un problème. Mon père et ma mère étaient les aînés de la famille, et j’étais le premier-né, le fils aîné, et selon la tradition et les attentes de ma tribu, je devais continuer la lignée.
Quelle est votre tribu ?
Les Ndebele, la tribu qui a fui le royaume de Shaka Zu, car c’était un roi cruel. Parfois il envoyait ses soldats la nuit pour ramener des femmes et des enfants.
J’étais donc l’aîné et l’on attendait de moi que j’assure la descendance, mais mon père a dit alors : « Non, si tu veux devenir prêtre, il n’y aura pas de problème. » En effet, mon père était catéchiste.
A sa mort en 1971, deux mois après avoir prononcé mes vœux dans la congrégation des Oblats de Marie Immaculée, les problèmes ont surgi. Mon père étant décédé, ma famille se demandait qui allait prendre soin de mes cinq frères et sœurs. C’était un gros problème.
Mais Dieu y a pourvu ?
Oui, mon curé, qui était canadien, a considéré la situation et dit : « Augustine, si tu veux être prêtre vas-y et je m’occuperai de tes frères et sœurs parce que ton père travaillait avec moi ».
J’aimerais à présent parler de la situation du Lesotho et de ses défis. L’un d’eux est la pauvreté. Selon les Nations Unies, 40% de la population est « ultra pauvre. » Que signifie « ultra pauvre » et comment l’Eglise peut-elle aider dans ce domaine ?
Je pense que « ultra pauvre » implique en plus la répartition inégale de la richesse. Ceux qui possèdent des biens les gardent pour eux-mêmes, et ceux qui sont pauvres n’ont pas les moyens d’améliorer leur situation. C’est pourquoi je dis : les pauvres deviennent plus pauvres et les riches plus riches en raison de l’injustice et de la répartition inégale de la richesse.
Les problèmes alimentaires au Lesotho sont mis en lumière dans un rapport de l’ONU. Je cite : « en 1980, la production céréalière assurait environ 80% des besoins nationaux, dans les années 1990 elle y contribuait à hauteur de 50%, tandis qu’en 2004, elle ne couvrait que 30% des besoins nationaux, et ce chiffre continue de baisser. » Tout d’abord, pourquoi ? Ensuite, quelles conséquences sur la pauvreté ?
Premier facteur à l’origine de cette diminution de la production : le changement climatique. Il ne pleut pas. Nous avons connu une sécheresse imprévue. Par le passé, nous savions que septembre était la saison des labours et des semis à cause de la pluie. Maintenant le temps est peu fiable et imprévisible, de sorte que les gens ne savent pas quand semer, en particulier dans les montagnes. Ils savent que septembre est la saison du semis et ils disent : « les semis attendront l’arrivée de la pluie, » tandis que dans les plaines ils attendent la pluie pour ensuite semer. Parfois elle arrive très tard. Par exemple, à présent ils labourent en juillet et ils attendent un peu de pluie pour août.
Un peu de grain est sorti du sol, mais rien de plus. L’absence de neige dans les montagnes, et de pluie dans les plaines, a causé la mort de nombreux animaux faute de nourriture. Je dirais que nous sommes confrontés à une famine. La plupart des gens ne savent pas quand ils pourront faire la récolte.
Le Lesotho est un royaume. Vous avez le roi Letsie III. Quelle est l’importance de son rôle au sein du paysage politique du Lesotho ?
Le roi joue un rôle fédérateur de tous les différents partis politiques et religions. Il est aimé et respecté de tous.
Il est catholique et il a récemment déclaré qu’il ne voulait plus continuer la tradition de polygamie, mais choisir une seule femme. Quelle est l’importance de ce signe pour un pays dans lequel la polygamie est toujours présente ?
Effectivement, c’étaient les chefs et quelques personnes riches qui pratiquaient la polygamie. Ensuite, à cause du manque d’animaux – car avoir une femme coûte 25 têtes de bétail – cette pratique a diminué.
Vingt-cinq têtes de bétail par femme ?
Pour chaque femme. Ensuite les gens ont commencé à s’éloigner de cette pratique et maintenant, en effet, ils sont peu, très peu à pratiquer la polygamie.
Environ 23% des jeunes entre 15 et 40 ans seraient infectés par le sida, l’un des taux les plus élevés en Afrique et dans le monde. Pourquoi est-il aussi répandu dans le Lesotho ?
Il est aussi répandu dans le Lesotho principalement en raison du déclin de la moralité. L’Eglise a continué à enseigner et prêcher l’abstinence avant le mariage et la fidélité entre partenaires mariés. Je dirais que dans l’ensemble de l’Afrique, on a observé un effondrement de la moralité, en même temps que la pauvreté et le manque de médicaments. A présent les antirétroviraux (ARV) ont été introduits dans les hôpitaux, mais avant c’était très difficile.
Mais n’est-ce pas là un piètre reflet d’une éducation catholique déficiente ? L’éducation catholique est très importante, nous l’avons vu. La majorité de la population est chrétienne. Où se trouve la faille dans l’éducation pour que la moralité soit ainsi en baisse ?
Je dirais que le catholicisme a toujours joué un rôle important dans la vie des gens, mais la plus grande partie n’est catholique que le dimanche quand ils vont à la messe. Durant la semaine, ils sont plus portés sur leur style de vie traditionnel. Il existe donc une séparation entre la foi et la vie quotidienne.
Comment surmontez-vous ce problème ?
Quand j’étais petit, il y avait dans chaque village une maison de prière où tout le monde pouvait prier ensemble et même faire le catéchisme aux enfants du village, mais désormais ce n’est plus la pratique normale et c’est pourquoi, pour quelqu’un comme moi, c’est un des défis actuels. Dans mon diocèse, je veux réintroduire l’enseignement du catéchisme à l’extérieur des écoles – dans les villages – et renforcer les centres de formation catéchétique où l’on puisse inviter les gens à être formés comme catéchistes afin d’enseigner le catéchisme dans les villages et dans les centres extérieurs.
Il y a environ 180 000 orphelins affectés par le sida et, à la mort des parents, les grands-parents sont obligés de s’occuper des enfants. Quelle tension cette situation provoque-t-elle au sein la société ?
Une énorme tension dans la société. Beaucoup de jeunes laissent des orphelins derrière eux. Je l’ai vécu dans ma famille.
…dans votre propre famille ?
Oh oui, dans ma propre famille. Nous étions deux garçons et mon frère était militaire. Sa femme est morte en 2003 du sida et lui en 2006, laissant quatre enfants orphelins. Pendant l’enterrement de mon frère, j’ai fait venir les enfants devant, pour faire voir aux gens que ces enfants resteraient seuls. Maintenant ma sœur s’occupe d’eux.
C’est un poids énorme pour le pays – sur le plan économique aussi – car la mort des parents signifie qu’il n’y a plus le soutien de famille ?
Oui, c’est vrai. Actuellement, en ce qui concerne l’Eglise, les Sœurs de la Charité d’Ottawa ont construit un immense orphelinat. Quelques ONG en ont construit dans le pays. L’Eglise aide ceux des organisations religieuses et le gouvernement essaie aussi d’aider. Les besoins d’aide sont énormes.
Votre Excellence, quelle serait votre plus grande espérance ?
L’espoir dans l’avenir de l’Eglise existe. Par exemple, nos séminaires sont pleins. Dans le diocèse, j’ai trois séminaristes, et 18 autres dans mon grand séminaire. De toute évidence, pour cette croissance spirituelle, existe l’espérance que l’Eglise survivra dans le futur.
Propos recueillis par Mark Riedemann pour l'émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).
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