Moussa Kaka est en prison depuis un an. Le directeur de la station privée Radio Saraounia, correspondant de Radio France Internationale (RFI) et de Reporters sans frontières au Niger, a été arrêté le 20 septembre 2007, et accusé de "complicité de complot contre l’autorité de l’Etat".
Commémorant sa première année de détention, Reporters sans frontières diffuse une tribune de son avocat, Maître Moussa Coulibaly. Cette tribune doit également être publiée par plusieurs journaux africains dont Le Messager au Cameroun et Le Calame en Mauritanie. L’organisation invite les médias africains à la diffuser à leur tour.
Affaire Moussa Kaka : l’injustice n’a que trop duré
par Me Moussa Coulibaly, bâtonnier de l’ordre des avocats de Niamey, avocat de Moussa Kaka.
J’ai été surpris d’apprendre l’arrestation de mon ami Moussa Kaka, le 20 septembre 2007. Je le connais depuis plus de vingt ans. Moussa est un vrai professionnel et un homme franc, un démocrate qui a contribué à l’approfondissement de la démocratie au Niger et qui a toujours fait son métier avec exigence. J’ai été d’autant plus surpris que, dès le lendemain, en direct dans le journal télévisé du soir sur la chaîne nationale, le procureur général s’est lancé dans une violente diatribe contre lui, l’accusant d’avoir fourni des renseignements aux rebelles touaregs et d’avoir été rétribué pour ces conseils. Depuis cette date, loin de la mobilisation internationale soutenant Moussa Kaka, la justice nigérienne s’est sérieusement penchée sur le dossier. Elle a conclu que ce journaliste très professionnel n’était pas cet « espion » ou ce « félon » qui entretiendrait des rapports avec des « bandits » contre les intérêts de son pays. Un premier juge d’instruction a jugé que les écoutes téléphoniques utilisées contre lui étaient illégales. Un deuxième, le doyen des juges d’instruction, a estimé qu’il n’y avait pas lieu de le poursuivre sur la base d’un dossier aussi maigre et d’accusations aussi graves. Pourtant, Moussa Kaka est toujours incarcéré à la prison civile de Niamey, par la volonté d’un ministère public dont l’obstination confine à de l’acharnement. Cela fait un an aujourd’hui. Cette injustice n’a que trop duré.
La première fois que j’ai eu accès au dossier d’accusation, après l’inculpation de Moussa pour « complicité d’atteinte à l’autorité de l’Etat », j’ai trouvé des procès-verbaux dans lesquels on posait à mon client des questions sur ses contacts avec Amnesty International, avec le chef de la rébellion Aghali Alambo, ainsi qu’avec le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner… Il n’y avait pas de liens directs clairs entre les questions, tout cela sentait le montage. Le dossier ne comportait pas de transcription des écoutes téléphoniques auxquelles le procureur avait fait référence dans son réquisitoire télévisé et sur lequel on interrogeait mon client. J’ai donc demandé au juge de rendre un non-lieu. Puisqu’il n’existait aucun élément matériel dans le dossier, il n’y avait pas d’infraction.
Réponse du magistrat : demande de remise en liberté provisoire rejetée. Remise en liberté provisoire que nous n’avions jamais demandée…
Le temps a passé et un nouveau juge a été nommé. Nous avons de nouveau demandé la production des bandes magnétiques qui « accusaient » prétendument Moussa. Le juge a fait le nécessaire auprès de la gendarmerie et les conversations privées du correspondant de RFI au Niger ont été versées au dossier. En les examinant, la première chose qui m’a frappé – outre qu’elles étaient inoffensives -, est qu’elles étaient tronquées de manière douteuse (une conversation de sept minutes tenant sur une demi-page, alors qu’une autre de deux minutes tenait une pleine page).
J’ai surtout noté que ces écoutes ont été effectuées sans mandat de justice et sans que l’on puisse en identifier les auteurs. J’ai tenu à rappeler que le secret des communications est protégé par la Constitution nigérienne et que la loi sur les télécommunications prévoit des peines de prison pour les contrevenants. Et, quelques semaines plus tard, le juge d’instruction, reconnaissant que l’on ignorait l’origine de ces bandes et l’identité de leurs auteurs, a estimé que leur valeur probante était viciée et qu’elles devaient être écartées des débats.
Le ministère public s’est pourvu en cassation et la plus haute instance judiciaire nous a renvoyés au point de départ, en affirmant que cette décision n’était pas du ressort du magistrat instructeur.
Nouveau juge, nouvelles audiences. Le doyen des juges d’instruction, cette fois, a entendu Moussa pendant plus de cinq heures, lors d’un interrogatoire sur le fond où le journaliste a enfin pu s’expliquer, le plus exactement possible, sur les maigres pièces du dossier d’accusation. Il a parlé de son métier de journaliste, de l’indispensable vérification des informations qu’il dénichait auprès de toutes les sources, y compris gouvernementales, de la façon dont tout professionnel doit mettre son interlocuteur en confiance. Le juge l’a écouté, a examiné les pièces du dossier, les objets saisis chez lui lors de la perquisition de son domicile : quelques coupures de presse, quelques cassettes vidéo de reportages télévisés, des brouillons d’articles… Il n’y avait pas de plainte dans le dossier, pas d’aveux, pas de témoignages accusateurs. Il a rendu une ordonnance de non-lieu, conforme aux réquisitions définitives du procureur de la République. L’affaire aurait dû en rester là si le gouvernement n’était pas, à la dernière minute, allé chercher le parquet général pour faire appel. Cette tentative d’instrumentaliser la justice commence, du reste, à en choquer plus d’un.
Aujourd’hui, les conséquences de cet acharnement sont néfastes non seulement pour lui-même, mais également pour sa famille. Moussa, sa femme et ses enfants ont été très affectés par la curée organisée contre lui par des gouverneurs, des ministres, des députés, qui l’accusaient publiquement d’être un « ennemi de la Nation ». Il ne pouvait pas se défendre contre cette campagne de diffamation d’ampleur nationale. Pendant qu’il est en prison, sa radio doit continuer sans son secours. Mais il tient le coup. Il sait qu’il est dans son bon droit. Le soutien qu’il reçoit de ses concitoyens, de ses confrères au Niger et dans le monde entier lui donne le courage de se battre encore.
Après cette année éprouvante, je veux dire aux accusateurs de Moussa Kaka que cette campagne de destruction d’un homme doit s’arrêter. Il n’est ni dans l’intérêt de la justice ni dans l’intérêt du Niger que Moussa reste en prison. On a beau jeu de nous répéter que l’affaire est entre les mains de la justice nigérienne. Car la justice a parlé. Il n’y a pas d’infraction à la loi. Il faut laisser Moussa Kaka retrouver sa famille. Sur la base du dossier actuel, il est désormais clair qu’on ne trouvera aucune juridiction digne de ce nom au Niger pour le condamner.
RSF 19.09.2008