s'adresse aux fidèles en ce 25 décembre 2010. Il s'adresse aussi aux six membres d'Offre-Joie, venus spécialement sur ces lieux pour passer Noël avec les enfants traumatisés et leurs proches. Ce n'est pas un conte de Noël, mais un acte de foi… et un message d'espoir.
Il fallait toute la détermination de Melhem Khalaf, un des principaux fondateurs de l'association Offre-Joie, ainsi que le courage de cinq autres membres de la même association pour réaliser un projet que beaucoup auraient qualifié de fou ou, tout au moins, de très risqué. Surmontant les réticences et l'angoisse (justifiée) de leurs familles, six Libanais, représentant un éventail complet du tissu social et confessionnel libanais, Wadiha Khoury, Carla Dagher, Aline Hamadé, Walid Arnaout, Ghassan Abou Diab et Melhem Khalaf, ont décidé de passer Noël à Bagdad dans l'église qui avait été la cible d'un massacre, pour exprimer leur solidarité avec les chrétiens du pays et leur délivrer un message d'espoir venu du Liban, autre pays meurtri. Plus facile à dire qu'à faire car on n'entre pas en Irak comme dans un pays touristique et les autorités ne comprenaient pas très bien l'objectif du voyage. De plus, pour obtenir un visa, il faut avoir en main une invitation officielle. Les contacts finissant toujours par servir, c'est le porte-parole du gouvernement, le Dr Tahsin Chakhtali, qui se charge des formalités. Dans la foulée, deux autres délégations libanaises obtiennent d'ailleurs des visas…Il restait à financer le voyage et là, les Libanais ont montré leur générosité, puisque les 13 750 dollars de l'expédition ont été réunis rapidement grâce à des dons de personnalités de toutes les confessions.
Le départ est prévu le jeudi 23 à 13h30. Comme il fallait s'y attendre, l'avion a quelques heures de retard et la délégation d'Offre-Joie arrive à l'aéroport de Bagdad à la tombée de la nuit. La première impression des voyageurs est la perception du danger, car partout des flèches indiquent l'entrée d'un abri. Cette impression ne les quittera d'ailleurs pas tout au long de leur court séjour. La ville est divisée par des murs de béton et transformée en une série de bunkers. Qu'elle ne fut la surprise des six Libanais en voyant qu'un convoi blindé les attendait. Et pendant le trajet les menant de l'aéroport à la cathédrale N-D de la Délivrance, ils seront escortés par deux blindés. Au siège de l'évêché, ils sont accueillis par l'évêque, Mgr Mattouki, les curés et les jeunes volontaires qui travaillent sur place. À peine installés, ils voient arriver un homme tremblant comme une feuille. Il vient de recevoir une lettre de menaces qui lui a été remise en mains propres. L'évêque et les responsables de la sécurité de l'enceinte de la cathédrale cherchent à le rassurer. Le phénomène devient de plus en plus courant. Nombreux sont les chrétiens qui reçoivent ce genre de message et tous songent désormais à quitter l'Irak…Les membres d'Offre-Joie demandent à se rendre dans un magasin de jouets. Le convoi s'ébranle et le magasin, fermé, est ouvert spécialement pour eux. Les jouets sont recouverts d'une impressionnante couche de poussière et c'est Carla qui aura la mission de les nettoyer et de les emballer. Près de 200 paquets au total, pour faire fleurir les sourires sur les visages des enfants de Bagdad. Au retour, c'est déjà le couvre-feu, mais rien n'arrête le convoi. Les membres d'Offre-joie se rendent ensuite dans un asile de vieillards relevant de l'évêché et voient une trentaine de jeunes en train de cuisiner pour les vieux. Ils se sont privés pendant trois semaines pour offrir ce repas aux pensionnaires de l'asile…
L'aube se lève sur Bagdad et les membres d'Offre-Joie sont déjà sur pied pour une journée qui sera longue elle aussi et pleine d'émotions. À 10h, non moins de 200 enfants arrivent sur place pour la messe et la fête. Un membre de la sécurité se déguise en père Noël et distribue les cadeaux. Les larmes se mêlent à la joie. Au début, les enfants ont peur de se laisser aller, puis avec cette innocence qu'ils gardent malgré tout, ils racontent leurs drames et leurs peurs, comme s'ils cherchaient à se débarrasser d'un fardeau trop lourd.
Sous la coupole de la cathédrale, les survivants revivent le massacre. D'ailleurs, autour de l'autel, des morceaux de chair et des taches de sang marquent encore les murs. La crèche est aussi revêtue des vêtements sacerdotaux des deux prêtres tués et les portraits des victimes sont installés dans un coin. Ghassan Abou Diab, qui est un cheikh druze, prie avec les chrétiens, suscitant l'étonnement des présents. Il dénonce aussi le massacre commis au nom de l'islam, alors que cette religion n'a rien à voir avec cette violence. C'est cela un peu le message du Liban que les membres d'Offre-Joie ont voulu transmettre. Ils ont aussi transporté avec eux les reliques des saints du Liban que leur a données Mgr Guy Noujeim, car les chrétiens d'Irak ont besoin de tous les saints du monde pour tenir bon dans cette terrible épreuve.
Les membres d'Offre-Joie se rendent ensuite dans un quartier pauvre, al-Mourabbaa. La misère y est incroyable. Les familles vivent dans un dénuement total, avec les égouts éventrés devant ce qui tient lieu de porte. « Dire que sous les égouts, il y a une nappe de pétrole, constate un des membres du groupe. Et pourtant, la pauvreté est indescriptible. »
Les membres d'Offre-Joie qui sont rentrés d'Irak le 25 décembre ne tarissent pas d'histoires sur ce voyage si intense. Les récits du massacre les ont traumatisés et ils trouvent insoutenable le désespoir des gens qui ne voient pas de fin à leurs souffrances et qui n'ont plus confiance en l'avenir dans leur pays. Ils détestent leur impuissance mais sont heureux d'avoir provoqué des sourires chez les enfants et des remerciements chez les grands. « Heureusement que vous êtes venus. Vous avez contribué à changer l'atmosphère de ce Noël qui s'annonçait tragique » est une phrase qu'ils ont beaucoup entendue. Wadiha est heureuse d'avoir agi, au lieu de se contenter d'être une spectatrice passive. Carla a découvert un autre monde et surtout l'importance du modèle libanais. Ghassan résume le voyage en quatre mots : souffrance, espoir, amour et responsabilité. Walid est revenu avec une plus grande angoisse pour le Liban. « J'ai plus peur maintenant après avoir vu ce qui a été fait en Irak. J'espère que chaque responsable libanais appréciera l'importance de ce pays. » Aline se sent désormais responsable : « Nous devons raconter partout ce que nous avons vu. » Mais c'est Melhem qui a le mot de la fin : « Il nous faut réussir notre Liban. Sinon, ce sera terrible pour la région… »