Lorsque le missionnaire combonien Giuseppe Franzelli, natif de Roccafranca en Italie, a appris que le pape Jean-Paul II voulait le nommer évêque en Ouganda, sa réponse immédiate a été : «Non. Trouvez quelqu'un d'autre».
Si être évêque est toujours une croix, s'est-il dit, la situation à Lira, en Ouganda, doit être encore pire au moment où le pays est miné par un conflit avec l'Armée de résistance du Seigneur (LRA, Lord's Resistance Army) et les atrocités inimaginables infligées à la population, notamment aux enfants.
Mais la nomination de Mgr Franzelli est intervenue alors que Jean-Paul II était mourant. Cette nomination ayant été publiée dans L'Osservatore Romano le 1er avril 2005, le missionnaire la voit alors comme une sorte de poisson d'avril de la part du pape. Le lendemain soir, le Saint-Père mourait.
A la pensée du pape en train de mourir, « portant la croix pour toute l'Eglise universelle », le missionnaire s'est dit : « comment pourrais-je dire non ? »
« La réalité a prouvé que cette nomination n'était pas seulement une croix mais qu'elle continue d'être une croix », explique l'évêque, âgé de 68 ans, dans cette interview accordée à l'émission de télévision « Là où Dieu pleure ».
Mgr Giuseppe Franzelli de Lira reconnaît qu'il est difficile de savoir par où commencer quand on travaille avec des enfants qui ont été convertis de force en soldats et en assassins. Il commence commence par les bases. Il prend la Bible traduite dans la langue locale, et travaille à semer la parole de Dieu. Et il demande aux fidèles de l'Eglise universelle d'accorder une place dans leurs cœurs au peuple d'Ouganda, en priant au moins un « Notre Père » pour la paix dans leur pays.
Nous publions ci-dessous la deuxième partie de cet entretien. Pour la première partie, cf. Zenit du dimanche 29 août.
Q : Aujourd'hui, il existe un accord de paix officiellement mis en place en Ouganda ?
Mgr Franzelli : Les pourparlers de paix ont démarré en 2006, marquant le début du changement parce qu'une partie de l'accord, durant le processus en cours, stipulait que les rebelles cesseraient d'attaquer et que l'armée arrêterait de les pourchasser. Ainsi, peu à peu, les rebelles se sont retirés dans une zone forestière à proximité de la frontière du Congo. Les attaques et rapts d'enfants ont diminué et effectivement cessé, nous laissant un peu de répit, et les gens ont pu sortir.
Q : Maintenant les gens reviennent dans leurs foyers ?
Oui, mais le problème est que tous les points de l'accord de paix ont été convenus entre les représentants des rebelles et le gouvernement, dans une zone neutre, à Juba, dans le Sud-Soudan, avec la médiation de la société civile, de l'Eglise, en particulier l'archevêque de Gulu, Mgr [John Baptist] Odama, qui a joué un rôle très important, et des autres évêques protestants ainsi que des représentants des musulmans au plus haut niveau. Mais il manquait une chose : la signature sur le document du président Museveni et celle du chef rebelle Joseph Kony.
C'était le lendemain de Pâques 2008. Nous sommes allés à Juba. Nous avons attendu quelques jours et nous avons reçu un message disant que Joseph Kony ne venait pas signer parce qu'un mandat d'arrêt avait été lancé contre lui par la CPI – la Cour pénale internationale à La Haye.
Q : Donc, il se trouve quelque part dans la brousse ?
Il est dans la brousse, aussi nous avons décidé que puisqu'il ne venait pas, c'est nous qui irions à lui pour qu'il signe le document. Nous sommes retournés en Ouganda avec toutes les parties, mais il n'a pas paru. Après quoi, nous avons fait encore des efforts et convenu plusieurs autres fois d'une date, mais il n'a jamais paru.
Q : La situation reste donc précaire ?
Non… non … après cela il y a eu quelques nouveaux développements : alors que les chefs des différentes tribus et les chefs religieux maintenaient qu'avec plus de temps et de patience on parviendrait peut-être à un accord de paix, tout d'un coup, le 14 décembre 2008, une opération militaire conjointe était menée par les armées ougandaises, congolaises et sud-soudanaises. Ils ont bombardé le bastion des rebelles et les rebelles, affaiblis depuis, se sont éparpillés. Le quatrième plus haut commandant de la rébellion a été capturé. Depuis lors, ce qui était censé n'être qu'une frappe militaire – [Opération] Coup de tonnerre – se poursuit toujours et le résultat certain est que 900 civils environ de plus ont été tués, au Congo cette fois, car c'était là que les rebelles s'étaient retirés, tandis que 130 000 personnes étaient déplacées dans le Sud-Soudan.
Q : Mais le problème à la racine est toujours là ?
Le problème de fond est toujours là, et il est clair que si nous vivons jusqu'à présent en paix, c'est parce que les rebelles sont trop loin de nous pour nous attaquer. Mais le problème est que même si l'opération militaire a réussi, le gouvernement et les autorités se souviendront-ils que le problème n'est pas réglé pour autant et qu'ils doivent faire face aux causes qui ont conduit à ce bain de sang ? Le problème auquel ils doivent s'attaquer est le sous-développement, le manque de possibilités dans la partie nord de l'Ouganda, et cela va être difficile.
Q : Néanmoins, l'Eglise est maintenant dans une situation difficile car vous êtes confrontés à ceux qui restent et aux séquelles de cette période sanglante de convulsions. Vous avez 20 000 enfants, par exemple, qui ont été détruits psychologiquement, traumatisés, et vous avez des personnes déplacées. Que peut faire l'Eglise maintenant, dans cette période de restauration et de reconstruction, pour aider les gens, en particulier dans votre diocèse ?
Les enfants qui ont été capturés et enrôlés de force pour combattre ne sont plus des enfants, quelques-uns sont morts, certains ont été tués durant l'opération militaire. Certains sont revenus, mais le gros problème est celui des personnes déplacées. Il y a eu un changement entre le début des pourparlers de paix et après. Les gens ont commencé à revenir chez eux, en particulier dans mon diocèse à Lira. Dans l'archidiocèse de Gulu, parmi le peuple acholi, la moitié sont encore dans les camps.
La plupart des nôtres sont revenus, mais il n'y a plus de maisons car, après toutes ces années, ces maisons ont été endommagées et n'ont pas été réparées.
Nous sommes donc confrontés aux difficultés de la reconstruction et de l'accompagnement de nos gens, qui sont vraiment seuls, sans aucun moyen pour tout recommencer, reconstruire les églises, les écoles, les centres de santé etc., et cultiver la terre ; cela fait partie de notre mission, mais même s'il s'agit d'un défi énorme du fait des contraintes financières et personnelles, la plus grande difficulté est de reconstruire les gens de l'intérieur et aussi de leur donner de l'espoir. Dans les camps, on constate un taux de suicide élevé non seulement chez les personnes âgées, les anciens qui étaient désespérés de ne plus pouvoir revenir dans leur patrie ancestrale, mais aussi parmi les jeunes …
Q : Quel avenir voyez-vous ?
Pour le moment, les gens reviennent. Les jeunes qui sont de retour à l'école ont intériorisé pendant très longtemps cette colère et sont devenus très violents. Ces jeunes ont été, pour la plupart, impliqués eux-mêmes dans des actes de violence et ils traduisent l'énorme colère qui les habite dans leurs actions ; par exemple, s'il y a un problème à l'école, les jeunes réagissent immédiatement par la violence plutôt que d'utiliser la méthode africaine traditionnelle, qui consiste à trouver une solution pacifique en venant s'asseoir ensemble pour discuter du problème. Il faudra du temps et des années pour guérir ce traumatisme psychologique et physique.
Q : Comment pensez-vous guérir ces jeunes enfants qui ont subi un tel traumatisme ? Par où commencer ? Ces enfants qui, à l'âge de 10 à 12 ans, ont reçu un fusil et ont été obligés de tuer des membres de leur famille ?
C'est la question que je me pose, moi aussi. J'ai parlé avec deux de ces « enfants-soldats » qui sont revenus. Ils étaient trois frères qui ont été capturés. Un des frères a tenté de s'échapper, mais il a été rattrapé. Les deux frères ont été forcés de le tuer. Alors, par où commencer ? Cela nécessiterait un suivi massif ; tout le monde est traumatisé. Nous ne disposons pas des moyens et du personnel pour cela.
Donc, voici ce que nous essayons de faire : nous avons traduit la Bible dans la langue locale. Je fais le tour des différentes paroisses, en emmenant avec moi la Bible, et c'est comme « semer » à nouveau la Parole de Dieu, la paix de la réconciliation, et je crois que cela va donner des résultats.
Q : Après tant de violence, les gens sont-ils ouverts à la Parole de Dieu. Sont-ils ouverts à l'Evangile ? Sont-ils ouverts à l'Esprit Saint, comme ce qui va les guérir, eux et leurs proches ?
Ils opposent, bien sûr, une résistance ; il n'y a rien d'automatique. Mais j'ai constaté des changements et je vois que quelque chose est en train de se passer. L'Esprit est à l'œuvre, mais naturellement il faut du temps. Il faut aussi des prêtres, des religieux et religieuses qui soient fidèles à leur vocation, qui soient des témoins de leur foi. Il faut une plus grande unité et communion au sein des Eglises, entre les différents diocèses de l'Ouganda, nord et sud. Le défi est là et comme m'a dit cette mère d'enfants triplés : « Dieu est là ».
Q : Qu'attendez-vous de l'Eglise universelle ?
Je demande toujours aux gens de prier, et face à ces problèmes écrasants, je vois la réaction fréquente des personnes qui disent : « Que pouvons-nous faire ? » Les gens se sentent si petits. Ils sentent qu'ils ne peuvent rien faire. Ils se posent la question de l'aide financière, mais ce n'est pas ça. Non, non, non. Vous pouvez faire beaucoup. Par exemple, laisser cette réalité vous toucher ; si vous l'accueillez et si elle devient l'une de vos préoccupations, vous permettrez à ce peuple, vos frères et soeurs du nord de l'Ouganda, de faire partie de votre prière, tout comme vous priez pour votre grand-mère ou pour la crise économique qui nous affecte aujourd'hui etc. Si vous priez – je crois à la communion des saints – cela fonctionne.
La Conférence épiscopale de l'Ouganda a demandé l'an dernier à tous les chrétiens, à la fin de chaque Messe et Eucharistie, de prier un « Notre Père » en demandant à Dieu le don de la paix. Je l'ai entendu en Europe et dans toute communauté, et je le demanderai dans toutes les communautés que je visiterai ; Je leur demanderai de faire la même chose, au moins de se joindre à nous dans cet effort important de prier un « Notre Père » pour demander à Dieu que vienne son royaume, qui est un royaume de paix et de fraternité, et la paix arrivera.
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