Reporters sans frontières a recueilli le témoignage de Munir Mengal, un homme d’affaires de la minorité baloutche, qui a été arrêté pour avoir créé la chaîne de télévision satellitaire Baloch Voice et détenu pendant vingt-deux mois par les services de renseignement militaires (Military Intelligence) et la police. Il a, depuis, trouvé refuge dans un pays européen.
Pendant sa détention au secret, Munir Mengal affirme avoir eu un entretien en tête-à-tête avec l’ancien chef d’Etat, le général Pervez Musharraf, qui lui a demandé d’abandonner son projet de télévision en échange de sa libération. "Dans la soirée du 26 octobre 2006, alors que j’étais détenu au secret depuis six mois, on m’a conduit à la caserne Saddar, près de Karachi. Pervez Musharraf m’attendait dans une salle, avec le général Azeem et le major général Bajwa. Après s’être excusé pour le traitement qui m’était réservé, le Président m’a demandé, en anglais, d’abandonner mon projet de chaîne de télévision. Il m’a promis de me libérer si j’abandonnais le domaine des médias. Le général m’a également offert son livre pour me faire réfléchir sur son engagement en faveur du Pakistan. Après avoir refusé son marché, j’ai été de nouveau placé dans ma cellule et torturé par des agents du MI", a-t-il expliqué à Reporters sans frontières. Munir Mengal met également en cause Tariq Aziz, conseiller de Pervez Musharraf, qui lui a offert un poste politique et de l’argent en échange de l’abandon de Baloch Voice.
"Le témoignage terrifiant et accablant de Munir Mengal doit inciter les autorités civiles pakistanaises à ouvrir au plus vite une enquête sur cette affaire. Il serait impensable que les auteurs de cet enlèvement politique ne soient pas punis. Munir Mengal a été arrêté, torturé physiquement et psychologiquement, humilié et volé par des dépositaires de la force publique, plus particulièrement les renseignements militaires. Si le Pakistan veut en finir avec ces pratiques illégales et barbares, justice doit être faite dans cette affaire, laquelle a retenu l’attention de nombreux médias, et de personnalités pakistanaises et étrangères", a affirmé Reporters sans frontières.
Munir Mengal a été arrêté, le 4 avril 2006, alors qu’il venait d’atterrir à l’aéroport international de Karachi. Un militaire en habit civil lui a confisqué son passeport et l’a conduit dans un centre de détention de l’armée. "Dans la caserne Malir, j’ai été torturé physiquement et psychologiquement par le colonel Muhammad Raza et les majors Nadim et Atta. Après 48 heures sans sommeil, ils ont intensifié leurs questions : ’Pourquoi veux-tu créer cette chaîne de télévision ?’, ’Qui a eu cette idée et qui te soutient ?’ Puis, ils m’ont jeté dans une petite cellule souterraine. J’ai passé plusieurs mois avec les yeux bandés et les mains enchaînées. (…) Les trois premiers jours de torture ont été terribles. J’ai encore des douleurs dans le dos à cause des coups de bottes que j’ai reçus. Mais les longues séances d’interrogatoires lors des 5 premiers mois étaient des tortures mentales épuisantes."
Munir Mengal a été témoin, dans cette prison tenue par l’armée, de nombreuses violations des droits de l’homme. "Une jeune femme baloutche, Zarina Marri, était utilisée comme esclave sexuelle par des officiers et, pour m’humilier, ils l’ont même jetée une fois, nue, dans ma cellule. Je ne sais pas ce qui est arrivé à cette mère de famille arrêtée par l’armée dans notre province."
L’ancien prisonnier affirme également avoir été interrogé en juin ou en juillet 2006 par des agents iraniens qui s’intéressaient à ses activités en faveur des Baloutches, peuple installé à cheval sur le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran.
Le 4 août 2007, les services secrets l’ont relâché après plus de seize mois de détention au secret. La mobilisation publique et les décisions de justice rendues en sa faveur ont obligé les autorités militaires à l’exfiltrer de la province du Sind, où il était détenu.
Son calvaire aurait dû s’achever le 10 septembre 2007, après que la Haute Cour du Baloutchistan avait déclaré qu’il n’était coupable d’aucun crime et ordonné sa mise en liberté immédiate. Mais, deux jours plus tard, Munir Mengal a été de nouveau arrêté et incarcéré dans la prison de Khudzar, au Baloutchistan. Le responsable de la police de Qalat, Abdul Aziz Jhakrani, avait confirmé l’arrestation de Munir Mengal, en vertu de la loi Maintenance of Public Order. "Comment peut-il troubler l’ordre public, alors qu’il est déjà aux mains des forces de sécurité ?", s’était interrogé son avocat.
Enfin, le 23 février 2008, des policiers baloutches l’ont aidé à quitter le centre de détention de Khudzar, alors que des militaires tentaient de l’arrêter. "Comme je refusais toujours leur chantage, un officier était venu dans la prison pour me menacer de mort", précise Munir Mengal, qui a pu ensuite rejoindre sa famille. Il s’est caché, pendant quelques semaines, avant de parvenir à quitter le pays depuis l’aéroport de Turbat.
Munir Mengal a eu l’idée de créer une chaîne pour la minorité baloutche en novembre 2005, alors que se multipliaient les violations des droits de l’homme dans cette province pakistanaise. "J’étais un comptable renommé et un homme d’affaires assez prospère. Le président Musharraf m’avait même donné le titre de ’Legend of the year’ en août 2005. Mais je voulais monter un média qui donnerait la voix aux Baloutches. J’ai donc vendu toutes mes propriétés et actions pour rassembler 13 millions de roupies nécessaires au lancement de cette chaîne. Pendant ma détention, l’armée m’a volé tout cet argent. Ils ont vidé mes quatorze comptes en banque", a précisé Munir Mengal.
Le projet d’une chaîne de télévision pour les Baloutches
Les Baloutches sont la seule minorité du Pakistan qui ne dispose pas de chaîne de télévision privée dans sa langue. Baloch Voice devait commencer sa diffusion sur le satellite en juin 2006, après avoir été dûment enregistré par Munir Mengal aux Emirats arabes unis. Il comptait s’adresser aux six millions de Baloutches répartis en Asie du Sud et au Moyen-Orient.
Lors d’un événement public en février 2006 à Quetta, Munir Mengal avait annoncé le lancement de la chaîne devant plus de trois mille personnes, dont des ministres de la province. Se sachant menacé, il avait décidé de s’installer aux Emirats arabes unis, où il avait installé la plupart des opérations de sa chaîne. Mais le 14 mars, il a reçu un appel d’un responsable de l’organe pakistanais de régulation des médias audiovisuels, PEMRA, qui l’a convoqué à Karachi, à propos de sa demande de licence pour Baloch Voice.
Dans le cadre de la lutte contre le séparatisme baloutche, les forces de sécurité pakistanaises ont multiplié les détentions au secret et les exécutions extrajudiciaires de civils baloutches.
RSF 11.12.2008