Sauf qu'il y a neuf ans, l'histoire n'était pas parvenue à la foudroyante accélération qu'elle connaît maintenant, et les ravages conjugués des guerres saintes de George Bush fils – avec des relents de pétrole – et des jihadistes d'el-Qaëda n'avaient pas atteint de tels sommets. Ce sont d'ailleurs ces ravages qui, au lendemain de la visite de Benoît XVI en Terre sainte ( 2009), avaient poussé ce dernier à lancer son cri d'alarme.
Ce synode n'est pas autre chose.
Mais que peut-il faire, humainement parlant, contre les forces tantôt ouvertes, comme le chômage, tantôt obscures, comme la sourde menace d'une islamisation progressive, qui poussent les chrétiens au départ ? La réponse est évidente : rien. Et le jeune chrétien à qui l'on demande ce qu'il attend d'un synode, qui, qu'on le veuille ou non, crée des attentes, n'a pas d'autre réponse. C'est aussi : rien.
Le jeune Arabe, qu'il soit chrétien ou musulman, a jeté l'éponge. Tous les matins, en se lavant le visage avant de se rendre au travail, quand il en a trouvé, il se demande quand on lui proposera un salaire assez décent pour qu'il puisse épouser une fiancée à laquelle il s'est promis depuis cinq ou dix ans. Le jeune Arabe chrétien se moque de ce que peut lui apporter le synode. Tout ce qu'il demande, c'est ne pas mourir célibataire, tué par une rafale à la sortie de la messe de minuit. Sinon la pauvreté, les supplications de sa mère, ou la pure paresse, plus rien ne le retient de quitter cette région inhospitalière qu'on lui a appris à appeler patrie.
Non, ce synode n'est pas pour le jeune Arabe chrétien, qui en entend vaguement parler aujourd'hui, et à la préparation duquel on n'a même pas fait semblant de l'associer. Le synode, c'est pour les clercs, pour la hiérarchie, pour ceux qui portent la croix d'or sertie de pierres précieuses ou le clergyman ou la soutane. Ou le pantalon gris.
Pour le meilleur et pour le pire
Pour le meilleur et pour le pire, ils étaient 185 hier matin à se pencher pour la millième fois sur cette « chronique d'une mort annoncée » qu'ils doivent à tout prix détromper. Mais dès l'après-midi, certains avaient déjà cédé à l'appel des vitrines de Rome, et ils seront moins nombreux encore, dans les jours qui viennent, beaucoup ayant décidé, après avoir fait acte de présence, qu'ils ont mieux à faire que de perdre leur temps en d'interminables séances de congrégations générales et de carrefours dont il ne sortira rien qu'ils ne savent déjà. « Communion et témoignage », le thème du synode n'a pas l'air d'être autre chose, pour beaucoup de présents, et une bonne partie de l'opinion, qu'un lieu commun. Dans une conférence de presse tenue au sortir d'une longue séance matinale durant laquelle les deux rapporteurs du synode, le patriarche copte catholique, Antonios Naguib, et l'évêque maronite de Chypre, Youssef Soueif, se ont relayés pour lire un texte de 24 pages d'une écriture serrée résumant l'essentiel des sentiers battus que le synode doit faire mine d'explorer, le patriarche, secondé par Mgr Béchara Rahi ont tenté d'en parler, sans convaincre, et surtout sans apporter rien de neuf.
Une chose en ressort clairement. Il ne faut pas s'attendre à « des fruits rapides », a assuré à raison – et honnêtement – l'archevêque maronite de Jbeil.
De son côté, à une question sur l'unification des fêtes, le patriarche Naguib a répondu en plaisantant sur l'avantage d'avoir deux congés à Noël. On mesure la distance qu'il faut encore franchir, avant que le synode n'embraye sur du sérieux.
Au demeurant, dit le patriarche, le problème de l'émigration, en Égypte, est moins dû aux « persécutions » – un terme qu'il récuse – qu'à une croissance démographique qui engloutit, par ses effets, tous les efforts économiques. L'Égypte en est aujourd'hui à 1,7 million de nouvelles naissances par an, pour un pays de 90 millions d'habitants, où les coptes catholiques ne sont que 250 000, une infime minorité à l'intérieur d'une autre minorité de 8 à 10 millions de coptes orthodoxes. Où donc trouver un demi-million de nouveaux emplois par an, et combien d'entre eux devraient aller aux catholiques ?
Laissés à eux-mêmes
Les deux hommes ont également défendu hier le concept de « laïcité positive » ou « d'État civil », cité dans le rapport matinal comme alternative au système où l'islam est religion d'État. Mgr Rahi n'a pu s'empêcher d'y aller de son couplet sur le « Liban message ». Mais aucun d'eux n'a évoqué les moyens dont dispose l'assemblée pour concrétiser cette mutation constitutionnelle dans les pays arabes. Car le synode, qu'on le veuille ou non, par un effet de vases communicants, se tient non pour une communauté, mais pour toutes les communautés du Moyen-Orient. Il est indissolublement chrétien et musulman.
Non, les chrétiens d'Orient sont, cette fois, vraiment laissés à eux-mêmes, et aucun effort politique ou diplomatique, pas plus de la France que de l'Union européenne ou des États-Unis, ne sera capable de les « sauver », comme titre Le Figaro. Par contre, ce qui peut les sauver, c'est peut-être leur « communion » à Jérusalem, où un musulman tient les clés de la chapelle du Saint-Sépulcre, pour empêcher Arméniens et orthodoxes de se déchirer à chaque fête de Pâques.
Ce qui peut sauver les chrétiens, c'est qu'on leur trouve des emplois, plutôt que de gaspiller l'argent en dépenses somptuaires. C'est qu'on accueille les réfugiés d'Irak comme des frères, plutôt que de les ignorer, sans savoir qu'on vient juste après eux sur la liste. Ce qui peut les sauver, c'est la sainteté de vie de leurs pasteurs. Ce dont les chrétiens doivent être sauvés, en effet, c'est d'abord d'eux-mêmes, de leurs divisions, de leur égoïsme, et cela, eux seuls pourront le faire. C'est seulement alors qu'ils pourront dire, avec l'Instrumentum laboris : « Nous avons un avenir. Nous devons le prendre en main. »
Faut-il en désespérer ?
Fady Noun/ L'orient le jour