Naturellement, ils ne peuvent se tenir qu’au Liban, le seul pays de la région où les chrétiens ont encore un poids politique et une certaine liberté d’action, même si leur pouvoir est relativement en déclin, notamment depuis l’accord de Taëf. Le week-end dernier, l’Assemblée des chrétiens d’Orient a tenu ses premières assises et ce week-end, c’est la « Rencontre chrétienne » qui a organisé le congrès des chrétiens d’Orient, lequel a élaboré un document de travail qui constitue une sorte de charte des chrétiens d’Orient et défini leurs revendications pour une participation réelle au pouvoir en tant que partenaires à part entière.
Les points communs des deux congrès est qu’ils posent le problème de la présence chrétienne en Orient à un moment particulièrement délicat pour cette région, où les images des églises détruites et des statues de la Vierge brisées circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux. Si le premier congrès est plus académique et religieux, le second est incontestablement politique. En fait, les deux se complètent, avec, toutefois, une absence remarquée des chrétiens du 14 Mars, qui considèrent que les dangers encourus par les chrétiens d’Orient sont amplifiés pour servir les revendications politiques des chrétiens alliés au Hezbollah, ainsi que pour renflouer d’une manière ou d’une autre le régime du président syrien Bachar el-Assad.
Toutefois, l’argument de la récupération politique de la cause des chrétiens d’Orient n’annule pas l’existence de cette cause et n’efface pas les agressions dont les chrétiens sont actuellement victimes, en Syrie, en Irak, en Égypte et ailleurs. Le message qui s’est d’ailleurs dégagé des réunions du week-end à l’hôtel Habtour se veut au-delà des clivages politiques et tire la sonnette d’alarme sur un danger réel qui menace la région dans son ensemble, sa civilisation et ses composantes.
C’est sans doute le général Michel Aoun qui a le mieux résumé la situation en affirmant que « les agressions dont sont victimes les chrétiens d’Orient se rapprochent dangereusement de la discrimination raciale », ajoutant que les noms des groupes takfiristes sont multiples, mais leur essence est la même. ils sont tous contre les droits de l’homme et la démocratie, qu’ils considèrent contraires à la charia. Selon Aoun, l’islam est le premier à être menacé par ces groupes et la présence libre dans cette région est un défi pour les chrétiens et pour leurs partenaires musulmans, s’ils veulent vraiment que cet Orient reste un espace de rencontre, de pardon et de dialogue. Aoun s’est demandé ce qui arrive aux États arabes qui remplacent leur guerre contre Israël par des guerres intermusulmanes, alors que les chrétiens et les musulmans arabes se sont battus ensemble contre Israël parce qu’ils partagent des valeurs communes. Selon lui, il est faux d’aborder les composantes de la région sous l’angle de la majorité et des minorités. Il a rappelé que les chrétiens veulent vivre en sécurité et leur rôle ne peut pas être mesuré à leur quantité mais à leur qualité, invitant les États arabes à les rassurer, par le biais de l’instauration de démocraties. Aoun a insisté sur le fait que les chrétiens d’Orient veulent des États forts et justes, et forts, cela ne signifie pas militarisés…
Témoignages
Aoun a été précédé à la tribune par de nombreux orateurs, notamment les représentants des chrétiens d’Irak, de Palestine, de Syrie, d’Égypte et de Jordanie, qui ont, chacun à sa manière, témoigné de la situation des chrétiens dans ces pays. Tous les orateurs ont ainsi mis l’accent sur le danger que représentent les takfiristes et les extrémistes musulmans. Le représentant des coptes a ainsi qualifié les Frères musulmans de « courant islamiste fasciste qui lance des agressions systématiques contre les chrétiens, en tuant et violant les filles et en attaquant les églises »… Le représentant des chrétiens de Palestine a dénoncé les exactions israéliennes et a appelé à la tenue d’un congrès pour Jérusalem, menacée de judaïsation totale. Le représentant des chrétiens de Jordanie a rendu hommage aux efforts du roi Abdallah II pour lutter contre l’extrémisme et faire des réformes, alors que la représentante des chrétiens d’Irak a exposé les agressions dont ceux-ci sont victimes, appelant à la création d’une province pour les chrétiens dans la région de Ninive. Enfin, la députée syrienne Maria Saadé a rappelé que les chrétiens de Syrie sont en train d’être tués au nom de la démocratie et des libertés. Elle a appelé les pays occidentaux à cesser d’aider ceux qui prétendent vouloir la démocratie et commettent des massacres, réclamant un arrêt des ingérences internationales en Syrie, ainsi que l’instauration d’un État laïc.
Auparavant, un résumé du document élaboré par les nombreuses personnalités religieuses (représentant toutes les Églises d’Orient) et politiques participant à ce congrès de deux jours a été lu, le ministre Sélim Jreissaty, l’ancien ministre Karim Pakradouni, l’ambassadeur Abdallah Abou Habib, le secrétaire général de la Ligue des chrétiens Habib Ephram et le journaliste Jean Aziz s’en étant partagé les volets.
Jean Aziz a ainsi affirmé que la responsabilité de la situation actuelle des chrétiens d’Orient incombe à une partie de l’Occident, à cause de sa politique dans la région, à Israël, aux musulmans et aux chrétiens eux-mêmes. Sélim Jreisssaty a insisté sur le fait que les chrétiens ne sont pas une minorité et ils doivent avoir pleinement leur place et leur rôle dans la vie publique, car la perte de ce rôle est le début de la fin de leur présence. Il a surtout mis l’accent sur l’importance d’une loi électorale juste pour les chrétiens ainsi que sur l’élection d’un président fort au sein de sa communauté et de sa patrie. Abdallah Abou Habib a parlé de la neutralité du Liban à l’égard des conflits arabes, mais non dans le cadre du conflit arabo-israélien, demandant aux « armes de la résistance » de dissiper les appréhensions de leurs compatriotes de toutes les communautés et de les rassurer. Karim Pakradouni a dénoncé un plan visant à changer l’identité démographique et géographique par le biais de la vente de terrains et d’appartements appartenant à des chrétiens à des non-chrétiens ou à des étrangers. Il a précisé que les surfaces appartenant à des chrétiens et sur lesquelles il y a eu une mainmise non chrétienne sont de 23 millions de mètres carrés, alors que selon les registres fonciers, les non-Libanais détiennent désormais 40 millions de mètres carrés… Enfin, Habib Ephram a lancé un appel émouvant pour préserver l’identité des chrétiens d’Orient par respect pour l’histoire, pour le droit et pour l’humanité.
L'orient le jour