fait observer le postulateur de sa cause, Mgr Slawomir Oder, dans ce troisième volet de cet entretien à propos de l'après béatification. Car pour Mgr Oder, « Jean-Paul II est un don pour l'humanité » (Pour la première partie de l'entretien, cf. Zenit du 5 avril, pour la deuxième partie Zenit du 6 avril).
Zenit – Mgr Oder, vous vous sentez au chômage maintenant ? Ou la cause de canonisation continue-t-elle tout de suite avec un miracle présumé déjà documenté ?
Mgr Oder (en riant) – Comme je l'ai déjà dit, ce travail de la postulation s'ajoute aux autres choses, et je ne pense donc absolument pas être au chômage ! En tous cas, oui, maintenant, on prépare la béatification, ce qui, naturellement, implique aussi la figure du postulateur pour certains aspects. Et puis, oui, le mandat que le cardinal vicaire m'a confié est un mandat pour le procès de béatification et de canonisation. Et cela veut dire qu'une fois l'étape de la béatification atteinte, le procès continue, jusqu'à son accomplissement par la canonisation.
Comment se préparer à participer à la béatification ?
C'est sûr que ce temps qui nous est donné – comme tout le temps du procès de béatification – a été pour moi personnellement un temps de retraite spirituelle qui m'a permis d'approfondir à la fois les raisons de ma foi et l'enthousiasme de ma réponse à l'appel du Seigneur à être prêtre, parce que ce fut une rencontre splendide avec un exemple de prêtre réalisé, accompli, heureux, qui a donné sa vie pour le Christ et pour l'Eglise. Et je pense que ce temps dont nous disposons maintenant coïncide heureusement avec le temps du carême : faisons notre chemin spirituel, notre chemin de conversion, notre chemin d'approfondissement de la foi et de l'amour du Christ, pour vivre vraiment une expérience particulière avec la Pâque du Seigneur, qui, d'une certaine façon, se prolongera par cet événement de la béatification. En fin de compte, la Pâque du Seigneur est la référence pour la vie de tous les chrétiens et doit se réaliser dans la vie de chacun de nous. La conclusion de la vie chrétienne, cette Pâque heureuse, est, justement, l'arrivée à la sainteté, arriver au Ciel. Jean-Paul II est un témoin splendide de cette Pâque.
Le pape Jean-Paul II a parlé de la miséricorde comme en quelque sorte son héritage spirituel. Qu'est-ce qu'il entendait par miséricorde ?
Il y a de très nombreuses interventions de lui sur la miséricorde, la magnanimité, la capacité d'imiter la grandeur de l'amour de Dieu qui se penche sur l'homme faible et fragile. Lui-même disait que le pardon – et cela, il l'a dit dans la lettre qu'il pensait publier, la lettre ouverte à Ali Agça après l'attentat, et qui ensuite n'a pas été publiée – il disait que le pardon est le fondement de tout vrai progrès de la société humaine. La miséricorde, essentiellement, signifie la compréhension pour la faiblesse, la capacité de pardonner. Cela signifie aussi l'engagement à ne pas recevoir en vain la grâce que le Seigneur donne, mais produire dans sa vie des fruits dignes de qui a été « grâcié », et revêtu de la miséricorde de Dieu.
Il voyait dans le pardon aussi un instrument politique, un moteur de l'histoire des Nations ?
Oui, absolument, parce qu'il avait une vision chrétienne – théologique – de l'histoire, où tout ne peut pas être réduit à un simple jeu économique ou politique, où les éléments d'humanité – la compassion, la compréhension, le repentir, le pardon, l'accueil, la solidarité, l'amour -, deviennent des élements fondamentaux pour faire une vraie politique de Dieu.
La Pologne s'est sentie en quelque sorte orpheline lorsqu'il nous a quittés. Il est maintenant redonné à tous comme bienheureux : quel est l'impact de la béatification sur l'Eglise de Pologne ?
C'est sûr, pour la Pologne, il a été une pierre miliaire de notre histoire, et c'est un moment très fort, très important, mais Jean-Paul II n'est pas un « phénomène polonais ». C'est quelque chose d'extraordinaire qui m'a beaucoup frappé, et qui est l'un des éléments du charme de Jean-Paul II : il n'avait pas peur de parler de sa patrie, de son histoire, d'user sa langue, de s'identifier avec la religiosité populaire de la Pologne, de parler de ses compatriotes. Et donc cet homme qui ressentait si fortement l'appartenance à sa Nation, a su aussi être un don pour les autres : Jean-Paul II est un don pour l'humanité. La Pologne n'a pas été la seule à le pleurer – elle s'est réjouie d'abord, ensuite, elle a pleuré -. Il suffit de penser au Mexique, mais pas seulement…, le monde entier ! Il est vraiment devenu un don pour l'humanité. Sa grandeur, c'est justement cela : tout en gardant son identité, il a su communiquer un souffle universel, accueillir les gens du monde entier. C'est là un aspect qu'il me semble très important de souligner : lié et en même temps libre. Et c'est peut-être parce qu'il était tellement authentique dans l'amour de sa patrie qu'il a su donner aussi une forte incitation pour que chacun puisse reconnaître son identité, son histoire, ses racines, et, d'une certaine manière, y apporter la réalité de l'humanité, de l'Eglise, cette richesse, pour créer une qualité nouvelle, un sentiment d'être tous enfants de Dieu, ou de se sentir tous frères.
Et un second aspect concerne aussi la Pologne : je dois dire que j'ai été très édifié au moment de l'élection du pape Benoît XVI. Place Saint-Pierre, parmi la foule, il y avait de très nombreux Polonais venus aux funérailles et restés parce que pendant toutes ces années, pour nous, les Polonais, Rome était devenue comme pour Jean-Paul II, un peu une seconde patrie, et justement grâce à l'esprit romain, qui est si hospitalier, généreux. Au moment de l'élection, la foule a crié dans les deux langues, en italien, « Viva il Papa » et en polonais : « Niech żyje Papież ». Vraiment, cela m'a fait comprendre la foi de ces personnes, de cette Eglise. Elle avait vraiment grandi, mûri, aux côtés de ce grand Pape qui a su vivre son ministère avec une personnalité aussi forte, aussi charismatique, et en même temps, qui a su donner sa juste valeur à sa charge, à Pierre vicaire du Christ. Et donc, lui n'était plus, mais il y avait l'Eglise, Pierre, le nouveau pape, un pape allemand, et la foule acclamait en polonais et en italien : « Vive le Pape ». Pour moi, c'est une chose magnifique.
Lorsqu'il a convoqué les jeunes pour la Journée mondiale de la jeunesse, il y avait des méfiances ?
Mais ce n'était la méfiance ni du Pape ni des jeunes mais de qui pensait à la façon ancienne. Lui, pensait de façon très moderne. C'était un prêtre qui sentait cela. Il a dit que le don du sacerdoce est « un mystère » et que le prêtre ne doit pas chercher à être « à la mode », parce qu'il est toujours à la mode, il est toujours à jour, parce que celui que le prêtre représente c'est le Christ, et le Christ est toujours le même. Ainsi, la vraie nouveauté qui porte le prêtre, c'est le Christ. Et lui a su convoquer ces jeunes justement en misant sur la nouveauté qu'est le Christ.
Lors de la première JMJ, on n'a pas hésité à héberger les jeunes jusque dans les couloirs du Conseil pontifical pour les laïcs, au Palais San Callisto, c'était une révolution ?
Qui aurait pu imaginer une telle révolution ? Mais cela, on l'a vu dès le premier jour, dès le début du pontificat, lorsqu'il a élevé la croix – contre tout protocole – lorsqu'il s'est approché de la foule, contre toute tradition. On voyait déjà sa nouveauté dès son élection, lorsque de la loggia de la basilique Saint-Pierre, alors qu'il ne devait rien faire de plus que la bénédiction, il a parlé ! On imagine le bouleversement !
Qu'est-ce que nous devrons transmettre de lui aux jeunes qui n'auront pas connu Jean-Paul II ?
Je pense que ce seront les jeunes de la génération Jean-Paul II qui parleront à leurs enfants de ce Père parce qu'effectivement, la figure de Jean-Paul II incarnait pour cette génération la paternité. C'était un père, ils l'ont aimé, ils se sont bagarrés avec lui. Je me souviens, je crois que c'était au Mexique, d'une rencontre dans laquelle le pape dialoguait avec les jeunes et demandait : « Vous renoncez à la richesse ? », « Oui, nous y renonçons », « Renoncez-vous à la domination ? » « Oui, nous y renonçons », « Renoncez-vous au sexe ? ». Ils ont hurlé : « Cela, noooon ! » Il a eu un dialogue que je dirais quasi dialectique avec les jeunes, et pourtant, ils l'ont aimé. Ils n'ont pas mis tout en pratique, mais ils ont voulu l'écouter, et pour moi, voilà le mystère de cette paternité. Ce n'était pas seulement le fait de savoir être avec les jeunes, quand il jouait avec sa canne, quand il se balançait avec eux, quand il chantait, quand il se mettait à les prendre par la main, qui sont des gestes très beaux. Mais la vraie paternité qu'il a su aussi exercer c'est de leur présenter des objectifs, parce qu'un père qui aime ses enfants ne peut pas se contenter du fait qu'ils vivent dans la médiocrité. Comme il connaît ses enfants, il sait qu'ils ont un potentiel, une richesse. C'est un père. Il ne peut pas ne pas exiger, ne pas prétendre, vouloir, stimuler, et lui, il le faisait. Même si parfois eux ne répondaient pas, ils savaient pourtant que lui avait confiance en eux, que pour eux il était un père qui vraiment comptait sur eux. Il me semble que c'était un aspect très important.
Et moi, personnellement, il y a une pensée qui m'a frappé, qui est restée en moi dès la première fois que je l'ai rencontré en Pologne, lorsqu'il nous a parlé, à nous, jeunes de Pologne. Dans cette grisaille communiste, il a été le premier rayon de soleil lorsqu'il est venu et nous a dit : « Vous, les jeunes, souvenez-vous que vous devez exiger beaucoup de vous-mêmes, même si personne n'exige rien de vous. Soyez exigeants avec vous-mêmes ». Ce sont les paroles d'un père.
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