Liban quand tu nous tiens: voici mon horloge interne.L’écriture pour se guérir des blessures qu’il nous inflige.
Pardonnez-lui, pourtant, bonnes gens découragés. C’est un superbe enfant-vieillard, mal grandi, mal soigné, mal nourri depuis deux siècles ? C’est pourquoi, il ne parvient pas à assurer la paix de ses fils, ni à les garder au bercail. Depuis 200 ans, à son chevet tournoient des fées carabosses : grandes puissances, empires vermoulus ou en pleine expansion ; systèmes philosophiques passionnés et passionnels le plus souvent mal digérés ou mal compris ; anthropologues en mal de sensationnel journalistique et médiatique ; écrivains de talents qui découvrent émerveillés le bonheur des clichés anthropologiques et leur puissance littéraire et politique. Liban, paradis des agents secrets, comme des poissons dans l’eau au milieu des passions frénétiques. Liban où certains hommes politiques les plus vils ou les plus insignifiants obtiennent tous les noms d’avenue, mais où le nom des poètes, artistes, hommes de lettre sont confinés aux petites ruelles que personne n’emprunte. Liban qui existe dans le monde plus par ses poètes, ses musiciens, ses peintres, ses voix magiques que par sa classe politique et l’élite si satisfaite d’elle-même qui gravite autour d’elle. Liban que ses fils abandonnent, le laissant aux corbeaux et aux vautours qui le pillent et le ravagent. Liban, condensé des douleurs du monde, mais aussi, parfois, de son génie. Liban, porte fragile, pont instable, sur lequel roulent furieusement les contradictions de des mille « Orients » et des mille « Occidents ». Liban, lieu de l’opulence la plus insolente et la plus mal acquise, mais aussi de la fierté et de la générosité des pauvres. Liban, terre des monothéismes en folie qui servent ainsi de prétexte aux projets de puissance et d’asservissement les plus fous. Pour toutes ces raisons, j’écris. Pour mettre de la raison dans ce qui est passion aveugle, Pour mettre de la compassion là où la brutalité de la parole prépare, en toute bonne conscience, les massacres et les assassinats collectifs de Libanais, Pour dénuder les propos mensongers ou les slogans incendiaires que leurs auteurs soient des naïfs de bonne foi, des fanatiques ou des manipulateurs, Pour mettre de la nuance là où elle manque cruellement dans les analyses médiatiques dont les Libanais sont abreuvés à outrance, au point de ressembler aux oies au gosier déformé par la suralimentation pour en extraire du foie gras dont on se régale chez les riches et les grands de ce monde, Pour mettre de la tendresse et de l’admiration à l’endroit du dévouement inlassable de certains Libanais pour leurs prochains en détresse, de leur capacité à survivre dans les plus dures conditions tout en restant intègres, Pour saluer inlassablement la mémoire des 150 000 Libanais massacrés entre 1975 et 1990 par des miliciens que nous honorons, hélas, encore, mais aussi celle des 18 000 Libanais disparus sans laisser de traces : autant de soldats inconnus à qui nous refusons justice et que nous refusons d’honorer jusqu’aujourd’hui, tout comme nous le refusons à nos morts et disparus de 1840, 1845, 1860, 1958. J’écris pour être fidèle à mon patrimoine syriaco-hellénistique et mes racines islamo-chrétiennes pleinement assumées, J’écris pour rappeler tout ce qui est oublié des souvenirs de notre Montagne défigurée et de nos villes torturées par la spéculation foncière effrénée, pour dénoncer les génocides architecturaux qui facilitent les changements de peuplement souhaités par les « grands » de ce monde, sous prétexte d’Holocauste. J’écris pour conserver la mémoire de ce patrimoine que nous piétinons tous les jours sous l’effet de l’adoration du veau d’or, alliée au fanatisme religieux et sectaire le plus outrancier, J’écris pour rappeler que nos racines ne sont pas à Washington ou Paris ou Rome ou à la Mecque sous domination wahhabite, mais à Antioche et aux sources de l’Oronte, dans la vallée sainte de la Kadisha, dans le Jabel Amel, dans la Sainte Sophie de Constantinople byzantine, dans l’Azhar des Fatimides et de Taha Hussein, d’Ahmad Amin, de Ali Abdel Razek et de tant d’autres réformateurs religieux éclairés que l’on calomnie et marginalise depuis des décennies au nom d’un radicalisme puritain et « takfiriste » qui sème la terreur dans nos pays musulmans plus que dans ceux des « infidèles ». J’écris pour rappeler que notre Seigneur Jésus Christ est né à Bethléem et non en Europe ou aux Etats-Unis, que notre prophète arabe, Mohammed, a appelé à l’unité de tous les fils d’Abraham, à la liberté de croyance, qu’il a honoré la Vierge Marie, le Christ et tous ses prédécesseurs dans l’ordre de la Révélation monothéiste, J’écris pour rappeler le combat des nombreux juifs qui refusent la doctrine et la pratique violente de l’Etat israélien et ne se reconnaissent pas en lui, et qui s’obstinent, admirablement à ne pas se taire, malgré toutes les pressions et intimidations qu’ils subissent, J’écris pour défendre tout ce que sont le Liban et la part d’Humanité qui est en chaque homme partout dans le monde. Pour ce combat, je n’ai que ma plume et le juste ordonnancement des mots et des concepts par l’esprit, lorsqu’il refuse de se laisser asservir. Le péché contre l’esprit, dont Dieu nous a doté, est à mon sens, la plus terrible de toutes les tentations que nous tend le Diable. Il se manifeste par la généralisation de la paresse et la facilité intellectuelles. Il engendre toujours le fanatisme, la violence, la guerre et les massacres collectifs et génocides. C’est pourquoi j’écris. Car au commencement était le Verbe et que parmi nos nombreux ancêtres, les Phéniciens ont inventé l’alphabet. Georges G. Corm