L’ancien professeur à l’Université pontificale urbanienne et vice-président de l’Institut pontifical Saint-Apollinaire évoque avec émotion et émerveillement les événements conciliaires qu’il a suivis comme jeune séminariste à Rome.
Dans la matinée du 25 janvier 1959, en la fête de la conversion de saint Paul, Jean XXIII célébra, dans la basilique Saint Paul de Rome, la messe solennelle de clôture de la neuvaine de prière pour l’unité des chrétiens. Mais ce jour-là, à la fin de la messe, le pape ne sortit pas immédiatement pour rentrer au Vatican, selon son habitude.
J’étais présent à la célébration et je ne voulais pas retourner au séminaire sans voir le pape. L’attente fut longue. Nous ne comprenions pas pourquoi. C’est en écoutant Radio Vatican que nous avons appris la nouvelle : le pape, après la messe, s’était arrêté dans une salle du monastère pour communiquer aux cardinaux présents sa volonté de convoquer un nouveau concile : Vatican II.
J’ai éprouvé, avec les autres séminaristes, une joie immense. A cette époque, j’étudiais à la faculté de philosophie d’abord, puis de théologie, de l’Université du Latran. Ces trois années de préparation conciliaire furent intenses. Je me souviens des diverses tendances, en particulier sur les questions de dogmatique et sur la Bible, qui émergeaient des universités pontificales romaines.
Le 11 octobre 1962, jour de l’ouverture solennelle du concile Vatican II, fut un moment de grande émotion ecclésiale. Toute l’Eglise se trouvait réunie dans la basilique Saint-Pierre : le pape, les cardinaux, les évêques, les experts conciliaires. A travers les très nombreuses télé-caméras, les yeux du monde entier étaient tournés vers la basilique transformée en salle conciliaire. Une ombre de tristesse a cependant assombri la splendeur de cette journée : les évêques et cardinaux de Chine, d’Union soviétique et des pays qui lui étaient soumis n’étaient pas là, prisonniers ou empêchés par les autorités d’obtenir leur visa pour se rendre à Rome ; la délégation de l’Eglise orthodoxe russe était aussi absente (elle est arrivée plus tard).
Ce fut une grande grâce de participer au concile. Je fus surpris, d’une certaine façon, par un élément important : c’était la grande liberté avec laquelle les évêques pouvaient s’exprimer, une liberté parfois même audacieuse. Cela montre justement le grand respect dont l’Eglise fait preuve. Après la proclamation du dogme sur l’infaillibilité pontificale (concile Vatican I, 1870), certains avaient pensé que l’Eglise avait désormais fermé la bouche aux évêques. Au contraire, non seulement ce n’est pas ce qui s’est passé, mais en fait, grâce au débat libre, le dogme a pu se développer encore davantage. Cette liberté de parole a beaucoup impressionné, en particulier les délégations des différentes Eglises orthodoxes. C’était la première fois qu’elles pouvaient participer à un débat conciliaire, et elles furent très étonnées de cette liberté d’expression qui existait dans l’Eglise catholique. Ce fut un pas en avant vers l’œcuménisme.
Les jours de la mort de Jean XXIII furent aussi chargés d’émotion. Conformément au Code de droit canonique, à la mort du pape, le concile fut suspendu. Il revenait à son successeur de le poursuivre ou non. Mais désormais les travaux conciliaires étaient lancés et il n’était pas opportun de les interrompre. Dans sa grande sagesse, le nouveau pape Paul VI exprima le désir de continuer. C’était une décision un peu attendue mais tout le monde en fut très content.
Deux événements majeurs, extérieurs au concile mais insérés dans ce contexte, ont retenu mon attention : le voyage de Paul VI en Terre sainte (janvier 1964) et celui aux Nations-Unies à New York (octobre 1965).
On a dit que le pape exportait le concile. C’était la première fois, après saint Pierre, qu’un de ses successeurs retournait en Terre sainte. La curiosité portait sur ce que Paul VI allait dire dans ses différents discours, dans la mesure où la situation politique était très complexe et où le Saint-Siège n’avait pas encore noué de relations diplomatiques complètes avec l’Etat d’Israël. J’ai su plus tard que certains discours avaient été « retouchés » la veille du jour où ils devaient être prononcés parce qu’il s’était avéré prudent de modifier quelques expressions. Mais ce fut un triomphe. L’Eglise en est sortie fortifiée et les distances se sont raccourcies.
Au palais de Verre des Nations-Unies, le problème était sérieux : un pape, invité officiellement par le Secrétaire général U-Thant, pouvait parler aux puissants de ce monde, dont beaucoup n’étaient pas catholiques et quelques-uns étaient hostiles à l’Eglise et contre la religion. Dans une interview qu’il a accordée plus tard, Paul VI lui-même a confié qu’il avait eu un peu peur. A son retour, tous les évêques attendaient le pape dans la basilique où il s’est rendu directement de l’aéroport. Je me souviens combien ce fut aussi un moment très émouvant. Les applaudissements couvraient complètement le chant « Tu es Petrus ».
Il y eut d’autres temps forts, en particulier lorsque la majorité des documents en discussion furent signés : jusqu’au dernier moment, on n’était pas sûr que certains d’entre eux seraient approuvés.
Pour moi, le comble de l’émotion fut la vigile de clôture, le 7 décembre 1965. A la même heure, Paul VI dans la basilique Saint Pierre, et le patriarche Athénagoras dans l’église patriarcale du Phanar à Constantinople, levèrent les excommunications qui avaient été prononcées, de triste mémoire, le 16 juillet 1054 par le pape d’alors, Léon IX, et le patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire. Presque 900 ans plus tard, ces excommunications étaient enfin abrogées et la distance entre les deux Eglises en était fortement réduite. Dans la basilique, un frémissement d’émotion envahit tous ceux qui étaient présents.
C’est ici que prennent fin les souvenirs. Le reste appartient à l’histoire.
zenit