Par cette résolution, Taiwan condamne pour la première fois le « trafic illicite d’organes » en Chine, s’appuyant sur les derniers rapports d’ONG sur la question ainsi que sur le Rapport 2011 des droits de l’homme du Département d’Etat américain, lequel, pour la première fois aussi, a cité les « prélèvements en Chine d’organes sur des prisonniers vivants » qui « touchent principalement les adeptes du Falungong » (1).
Ancien président de l’Association des droits de l’homme de Taiwan, Qiu Huangquan est l’un des promoteurs de cette résolution devant le Parlement. « Il faut que la population taiwanaise soit informée et ne devienne pas à son insu complice de ces violations des droits de l’homme », explique-t-il.
Ces derniers mois, plusieurs campagnes de sensibilisation ont été menées à Taiwan par des médecins, des militants des droits de l’homme et des sympathisants du Falungong. Il y a quelques semaines, un médecin spécialisé dans les greffes a donné une conférence sur les transplantations d’organes en Chine continentale à l’hôpital Cheng Ta de Kaohsiung. Le directeur de l’hôpital, le Dr Lee, s’est dit « sous le choc » après la conférence mais également consterné de ne « pas avoir compris l’évidence plus tôt ». Il reconnaît : « Partout, il faut beaucoup de temps pour recevoir des organes compatibles. Or, des dizaines de milliers de greffes sont effectuées chaque année en Chine continentale, ce qui indique forcément l’existence d’une énorme banque d’organes humains, composée de centaines de milliers de personnes ‘tuées sur commande’. »
Parmi les associations qui militent pour l’information sur les transplantations d’organes en Chine continentale, le CIFD (Centre d’information du Falun Dafa) a multiplié ces derniers temps les interventions auprès de la population, du corps médical, ainsi que des communautés chrétiennes. L’Eglise presbytérienne notamment a apporté son soutien au mouvement et appelé tous les chrétiens à « demander l’arrêt du prélèvement barbare d’organes sur les pratiquants du Falungong ». Soulignant que « défendre les droits de l’homme en Chine, c’était aussi les défendre à Taiwan », le Rév. Lo, secrétaire général de l’Eglise presbytérienne taiwanaise, a évoqué le fait que les chrétiens pourraient « connaître le même sort » un jour.
Une remarque qui n’est pas sans rappeler les déclarations du cardinal Zen Ze-kiun, qui, depuis son diocèse de Hongkong, s’était dès 2002 attiré les foudres des autorités pour avoir défendu les adeptes du Falungong, qualifiés par Pékin d’« ennemis de l’Etat animés d’intentions diaboliques ». Ce type de déclaration, avait averti le prélat, « est très alarmant car les Eglises chrétiennes pourraient être les prochaines cibles ». L’évêque venait de signifier peu auparavant son inquiétude au sujet d’un projet de « loi anti-complot contre l’Etat », qui selon lui pouvait être le signe avant-coureur de persécutions à l’encontre de tous les mouvements religieux n’étant pas sous le contrôle direct de Pékin.
Ces dernières années, de nombreux rapports avaient régulièrement dénoncé des « pratiques illicites » en Chine mais sans que la communauté internationale ne les considère comme suffisamment étayés. Un pas décisif a été franchi en 2006 avec le rapport Kilgour-Matas qui concluait à la réalité d’un vaste réseau lucratif sous le contrôle du gouvernement chinois, ainsi qu’à des « exécutions » d’adeptes du Falungong, « vivier humain » le plus important parmi tous les prisonniers de conscience (2).
En 2006, les auteurs, David Kilgour, avocat et ancien secrétaire d’Etat canadien, et son compatriote David Matas, avocat des droits de l’homme, soulignent la parfaite concordance entre « l’explosion » du marché des greffes en Chine et le début de la répression du Falungong à partir de 1999. Les centres de transplantation, qui étaient un peu plus d’une centaine avant 1999, sont 370 en 2005 puis 600 en 2007. Bien que le don d’organes soit très rare en Chine – la tradition voulant qu’un mort soit enterré sans mutilation –, les centres de greffes pouvaient toujours répondre à la demande, et ce dans des délais extrêmement courts. Selon les deux experts, entre 2000 et 2005, il y aurait eu au moins 41 500 transplantations d’organes de source inconnue (3).
Mais l’enquête reçoit un accueil mitigé et le Département d’Etat américain conclut à une absence de preuves. De son côté, la Chine réagit avec indignation, rappelant qu’elle adhère aux principes de l’Organisation mondiale de la santé interdisant la vente d’organes sans le consentement des donneurs.
Le rapport, réactualisé en 2007 (4), convainc finalement les Nations Unies de confier le dossier à sa Commission contre la torture en 2008. Des investigations sont menées par Ethan Gutmann (Fondation pour la défense de la démocratie) et le vice-président du Parlement européen Edward McMillan-Scott. Comprenant des entretiens avec d’anciens prisonniers, des aveux de médecins chinois ayant demandé asile à l’étranger, ainsi que le témoignage d’enquêteurs s’étant fait passer pour des demandeurs d’organes auprès des hôpitaux chinois, le rapport des deux experts rejoint les conclusions de Kilgour et Matas, confirmant l’existence de viviers de donneurs « exécutés à la demande ».
En Chine, un rein compatible peut être disponible en moins d’une semaine, rapportent-ils, alors que le temps d’attente aux Etats-Unis est de plus de trois ans. « Certains sites Internet d’hôpitaux déclarent même que leurs greffes sont meilleures parce qu’ils contrôlent le fonctionnement du rein avant son prélèvement », rapporte le Dr Damon Noto, porte-parole de l’ONG ‘Médecins contre les prélèvements forcés d’organes’ (DAFOH). « A raison de 10 000 transplantations par an – le nombre moyen de greffes officiellement effectuées en Chine –, il faut, précise-t-il, une « réserve » de 150 000 personnes si l’on veut faire correspondre le groupe sanguin et le type tissulaire avec celui des receveurs. »
Ethan Gutmann rapporte quant à lui les témoignages d’anciens prisonniers adeptes du Falungong qui subissaient tous des examens médicaux réguliers (analyses de sang, d’urine, examen de la cornée, etc.), jamais effectués sur les autres prisonniers. Selon eux, il y aurait au moins une quarantaine de camps de travail forcés dans le pays comprenant chacun environ 100 000 personnes. Le rapport confirme également que d’autres groupes sont également victimes de ces « atrocités », tels les Ouïghours, les Tibétains ou encore des membres des Eglises chrétiennes non enregistrées.
En octobre dernier, après une audition de plusieurs témoins ayant attesté de la véracité de « prélèvements forcés d’organes sur les dissidents religieux et politiques », 106 membres du Congrès américains et 44 universitaires ont écrit à la secrétaire d’Etat Hillary Clinton pour lui demander de « divulguer toutes les informations » que pourrait détenir le Département d’Etat « liées aux allégations très sérieuses indiquant des atrocités inimaginables » en Chine, dont des « prélèvements forcés d’organes sur des prisonniers du mouvement spirituel Falungong, des Ouïghours et des chrétiens, alors qu’ils sont encore vivants ».
Peu après la publication de cette lettre ouverte, les autorités chinoises ont réaffirmé que les greffes provenaient à 90 % des organes des condamnés à mort, prélevés après leur décès et avec leur consentement préalable. Bien que cette pratique soit condamnée par les lois internationales et que le nombre de greffes soit six fois supérieur à celui des exécutions, Pékin continue depuis 2005 à maintenir cette version, assurant néanmoins que « d’ici deux ans, les transplantations d’organes vont cesser de dépendre de dons de prisonniers exécutés ».
Depuis le 2 décembre dernier une pétition sur Internet (5) demande au gouvernement américain de « condamner publiquement les prélèvements d’organes effectués sur des adeptes du Falungong en Chine ». De son côté, le Comité des droits de l’homme du Parlement européen, saisi par Amnesty International, a demandé à l’Union européenne d’engager une action pour « mettre fin à ces pratiques ». Les militants des droits de l’homme ont notamment proposé que soit adoptée une législation extraterritoriale qui obligerait chaque Etat à rendre compte des transplantions d’organes à l’étranger et à interdire le remboursement des greffes réalisées en Chine par l’assurance santé, comme vient de le faire le gouvernement de Taiwan.
Notes
(1) Le Falungong, forme de qi gong mêlé de bouddhisme, a été popularisé en Chine dans les années 1990, réunissant plusieurs dizaines de millions d’adeptes jusqu’en 1999, où le mouvement a subitement été interdit, des milliers d’adeptes emprisonnés, soumis à la torture ou exécutés. (2) Selon certains experts, les membres du Falungong représenteraient le plus grand groupe de prisonniers de conscience de Chine, et seraient particulièrement visés par ces pratiques car ils ne possèderaient pas de caractéristiques ethniques marquées (comme les Tibétains ou les Ouïghours) et que leur disparition ne laisserait pas de traces, la plupart d’entre ne divulguant pas leur identité, de peur de livrer leurs proches. (3) Les deux avocats exposent entre autres le fait que la Chine ait réalisé 60 000 greffes d’organes de 2000 à 2005 dont Pékin a assuré que 90 % provenaient de condamnés à mort ayant donné leur consentement. Or, selon Amnesty International, environ 2 000 prisonniers sont exécutés en Chine chaque année ce qui laisse plus 40 000 transplantations de source inexpliquée. (4) Il s’agit du rapport « Bloody Harvest: Revised Report into Allegations of Organ Harvesting of Falun Gong Practitioners in China » qui sera publié sous la forme d’un livre en 2009. La même année, les auteurs reçoivent plusieurs prix pour les droits de l’homme et sont nominés pour le prix Nobel de la paix. (5) Son lancement est l’œuvre d’un collectif : le Dr Alejandro Centurion, neurologue, membre de la DAFOH, le Pr. Arthur Caplan, directeur du département de bioéthique à la Faculté de Médecine de New York, et le Pr Jiangchao Xu, de la Faculté de médecine du Mont Sinaï à New York, également membre de la DAFOH.
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