Dé Certes cette consommation n’est pas que mono-centrée, mais assez souvent en usage « tapisserie » par rapport à d’autres activités. Elle s’organise autour de quatre écrans, celui du téléviseur, de l’ordinateur, de la console de jeux et du téléphone portable. Une de leurs caractéristiques, c’est leur dimension immatérielle, les situant loin d’objets bien identifiés comme les livres. De plus, ils se déploient dans des univers « non visibles », inscrits dans des environnements technologiques non stabilisés. Internet y joue un rôle central apparaissant comme le média des médias. A partir de nos pratiques de terrain auprès des enfants et des jeunes, dans les espaces d’éducation aussi bien formelle que non formelle, il nous semble utile de resituer l’éducation aux médias dans un projet culturel global et d’en rappeler les fondements. Une vision nécessairement pluri-média Une donnée paraît essentielle : on ne peut isoler un seul écran, un seul média, nous devons nous situer dans une vision pluri-média, trans-écrans, tant les jeunes passent de l’un à l’autre, tant les contenus sont hybrides et inter-dépendants, l’écriture jouant un rôle central et apparaissant comme un méta-média. Les pratiques des jeunes se situent bien au delà des clivages hâtifs actif/passif ou éducatif/divertissant. La réception des images est un processus actif. L’enfant est en permanence sollicité, il entre dans les images, s’y déplace en pensée. Des interactions s’opèrent entre l’image symbolique vue et la représentation antérieure que l’enfant a de ce qu’il est en train de voir, des représentations se déconstruisent et se reconstruisent. Les médias sont des espaces d’apports de connaissances et de savoirs importants. Au-delà de la mobilisation d’émotions, de sentiments, l’enfant s’implique également corporellement. Les jeunes peuvent y trouver un espace d’expression, d’échanges et d’écoute sur des sujets les concernant. Enfin, on ne peut faire l’impasse sur les dimensions socio-économiques des médias qui plongent les jeunes, dans un bain commercial permanent, instrumentalisant leur parole et leur participation, et placent les parents sous une forte pression publicitaire où modernité technologique rimerait avec réussite. Les publics jeunes ont à la fois une certaine autonomie par rapport aux médias, mais en même temps, ils sont fortement influencés dans la construction de leurs univers, de leur imaginaire, de la vision qu’ils ont du monde et des autres. Les rapports sont très complexes. L’immersion dans des univers entièrement virtuels où les jeunes se recontruisent une « seconde vie » pose également la question du rapport des jeunes au réel. Tous ces éléments nous invitent à mettre en place des politiques éducatives et culturelles et des actes pédagogiques précis, globaux et permanents. Au-delà de la corégulation, une nécessaire coresponsabilité Une dimension de protection de l’enfance est nécessaire mais elle se situe dans une démarche en quelque sorte d’après coup, d’accompagnement ou de rattrapage. Cependant, elle dépend de l’âge des enfants, on le voit par exemple pour les dispositifs de contrôle parental qui sont utiles, malgré les améliorations nécessaires, pour les parents de jeunes enfants ; le principe de l’accès à une autonomie critique restant un objectif éducatif important. Cette démarche de protection n’a de sens que si elle est fortement articulée et surtout ancrée dans des politiques de l’amont, en matière d’offre de programmes ambitieuse pour les publics jeunes, d’anticipation et de prévention, en un mot d’éducation. Ainsi le CIEM est impliqué pour œuvrer avec les instances de régulation (le CSA, par exemple) et les éditeurs-concepteurs de programmes, dans cette direction. L’approche de type protection pose de fait la question du lien avec les familles. Il s’agit bien de mettre en place au-delà d’une corégulation, des coresponsabilités « familles, pouvoirs publics, éditeurs », non seulement au regard de l’accessibilité de l’offre (cf les diverses politiques « d’étiquetage »), mais aussi et surtout, dans l’élaboration de cette offre. Si l’on ne veut pas voir l’éducation être dans une perpétuelle « course derrière » les évolutions médiatiques imposées, il est donc nécessaire de poser en amont, le problème de la création et de la production de programmes de qualité. Des contenus et programmes de qualité pour les jeunes Pour favoriser l’émergence de contenus et de programmes de qualité s’adressant aux jeunes, l’action à mener se situe à un triple niveau. Elle doit se positionner d’abord, auprès des décideurs politiques notamment du service public mais aussi des éditeurs privés indépendants. Ils ont la responsabilité de mettre en place des programmes s’appuyant sur des valeurs positives, échappant aux logiques commerciales, qui transformeraient les jeunes non en super consommateurs, mais en jeunes citoyens. Le service public a un rôle majeur à jouer en proposant des programmes s’adressant spécifiquement aux adolescents. Il faut renforcer la mobilisation citoyenne sur cette question de la qualité et des exigences que l’on peut avoir auprès des éditeurs de contenus, en pesant sur leurs orientations à travers le CSA, la représentation nationale et les directions des programmes. Elle concerne aussi le soutien ou la promotion que nos associations et tous les espaces d’intérêt public peuvent apporter à la création, aux créateurs et auteurs eux-mêmes. Nos associations portent des espaces de rencontres, de coopération interculturelle qui rassemblent des éditeurs, des auteurs et des collectivités publiques pour soutenir des programmes de qualité. L’émergence d’outils pour faire connaître les contenus et les programmes est également essentielle, il y a trop peu aujourd’hui d’espaces indépendants d’analyse critique des programmes pour les enfants et les jeunes quels qu’en soient les supports. Enfin, certaines de nos associations ont fait le choix de s’engager elles-mêmes, dans une politique de conception et d’édition de contenus à finalité citoyenne, culturelle et éducative, notamment dans le domaine du multimédia. Doit exister à côté de l’offre marchande lucrative, une offre indépendante animée par le sens du bien public, portant des valeurs de partage, de coopération, de laïcité, du vivre ensemble et de la solidarité. Réaffirmer l’enjeu incontournable d’une éducation aux médias L’éducation aux médias, malgré l’existence de pratiques depuis plusieurs années, est encore trop peu présente massivement dans les politiques éducatives. Pourtant l’évolution et le renforcement de l’environnement médiatique, la rendent aujourd’hui encore plus incontournable. Elle doit être présente aussi bien à l’école, à tout niveau, de manière transversale et spécifique, que dans les espaces d’éducation non formelle que sont les différents temps de loisirs collectifs. Il est donc essentiel d’en réaffirmer les principes généraux et les objectifs. Les médias ne reflètent pas la réalité, ils la représentent. Il faut donc travailler sur ces représentations du réel pour que les enfants accèdent à une meilleure compréhension du monde dans lequel ils vivent et agissent. Les images médiatiques ne sont pas naturelles. Il faut les déconstruire et pour cela traiter les questions de production et examiner toutes les techniques qui créent l’effet de réel. L’éducation aux médias se situe en amont des autres apprentissages, scolaires notamment, elle constitue un préalable pour aller au-delà des premières représentations construites par les médias chez les enfants. Les médias jouent un rôle culturel et idéologique non négligeable. Il faut développer le sens critique, les attitudes de mise à distance permanente des jeunes sur leurs propres utilisations des médias et des écrans. L’objectif est de leur transférer une autonomie critique tout au long de leur vie en tant que citoyen consommateur d’images, de sons et d’écrits. Les médias agissent sur la construction de l’opinion publique. L’éducation aux médias contribue au développement d’une expression réelle de l’intérêt public. En ce sens elle pèse sur l’avenir du service public et elle participe d’une éducation à la démocratie. Les médias sont divers et de plus en plus interpénétrés. La posture de réception pose la question de la lecture des médias. Cette étude textuelle pluri-média doit être systématique dans la formation de tous les enfants et les jeunes. Ceci passe par l’approche d’un ensemble de concepts : connotation/dénotation, sélection/construction, réalité/virtualité/subjectivité, codage/encodage/décodage, médiation/représentation et la maîtrise des structures de récits et des langages médiatiques par tous. Les médias ont une histoire, celle de la création, de la production et des usages des signes et des images, c’est-à-dire celle du langage. L’éducation aux médias doit s’insérer dans cette histoire des signes, des images, de leurs usages et des outils qui en sont les supports et les vecteurs. Les médias sont un système économique. L’avènement de la civilisation des écrans et des sociétés de l’information et la communication est le fruit d’une organisation économique nouvelle mobilisant des facteurs de production de plus en plus immatériels. L’éducation aux médias doit intégrer la dimension économique de leur développement planétaire. Des actions d’éducation aux médias diversifiées, inscrites dans un projet global En référence aux valeurs de l’éducation populaire, de ses pédagogies actives et de son projet d’émancipation, les actions pour mettre en œuvre cette éducation aux médias, sont caractérisées par quelques parti-pris et une approche globale et diversifiée. Travailler sur la dimension de réception tout en mettant les jeunes dans des situations de conception, de création de contenus, ancrées dans des situations réelles de communication. Faire produire des médias par les jeunes et par là même déconstruire ces médias ; inventer des situations de médiation et d’accompagnement permettant une véritable appropriation de contenus culturels ou cognitifs, synonyme d’apprentissage. Dépasser la seule vision technologique et travailler sur l’expression des jeunes ; articuler les pratiques amateurs avec les situations de consommation quotidienne des médias de masse, notamment la télévision et la radio. Mettre en perspective une éducation aux médias avec une éducation à la consommation, travailler sur la dimension économique des médias et le bain consumériste dans lequel sont plongés les jeunes. Pour aller plus loin… vers une prise de conscience à la hauteur des enjeux L ’ensemble des projets menés par les associations du CIEM, ont également comme orientation forte d’être conduits en partenariats inter associatifs, avec des établissements publics, avec les professionnels des médias (individus et entreprises). C’est une des conditions de la réussite, tant l’enjeu est immense et les défis posés par la vague déferlante qui balaie notre environnement en matière de contenus médiatiques, est grande. C’est aussi là qu’existent de vraies difficultés. Il faut agir au niveau de la formation des acteurs pas seulement de l’école et du secteur de la jeunesse mais aussi des médias… Il faut réussir des politiques d’intervention non seulement dans l’école et autour de l’école mais aussi avec les parents et l’ensemble des citoyens. Faire émerger une politique ambitieuse de soutien à la création passe par un engagement fort, notamment du secteur public qui doit être inscrit précisément dans leurs cahiers des charges. Il faut mobiliser les décideurs ainsi que les auteurs, les concepteurs pour travailler sur des concepts d’émission innovants, donnant accès aux médias (télévisions, radios, presse…) à tous les publics jeunes. L’enjeu d’éducation et de culture, nous l’impose… Soyons ambitieux pour la jeunesse ! Pour le groupe de travail du CIEM, « Education aux médias », Christian Gautellier, Vice président du CIEM Autrans – Janvier 2007
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