Le journal du Vatican vient de démentir une rumeur qui courait depuis trois ans dans les médias profanes : non, Benoît XVI ne se chausse pas en Prada, et la couleur rouge des escarpins du pape est une référence au sang des martyrs, pas un signe de coquetterie.
La mise au point, tardive, de l’Osservatore Romano laisse percevoir l’agacement des responsables de la liturgie au Vatican face à la multiplication des commentaires frivoles sur le style du pape allemand, que certains n’ont pas hésité à qualifier de « vintage », ou le parfum rétro respiré dans ses messes.
Prie-Dieu, rochets de dentelle, surplis richement brodés, mitres antiques, ombrellino, camauro, la réapparition d’accessoires liturgiques ou vestimentaires tombés en désuétude après les réformes du concile Vatican II (1962-65) a en effet donné lieu à une ample couverture médiatique. Ils ont suivi l’arrivée en octobre 2007 d’un nouveau maître des célébrations liturgiques, Mgr Guido Marini, un prélat discret dont on aperçoit la mince silhouette, mains jointes et regard concentré, dans l’ombre du pape lors des cérémonies publiques. Sollicité par l’AFP pour un entretien à la mi-mai, Mgr Marini a demandé à recevoir les questions par écrit avant de faire répondre qu’il ne serait pas disponible avant les journées mondiales de la Jeunesse de Sydney (17-20 juillet). Il est vrai qu’un quotidien italien, Il Giornale, venait juste de publier le premier entretien avec Mgr Marini, dont le ton très sérieux et argumenté était ruiné par un titre calamiteux, selon les critères du Vatican : « Le pape vintage. »
C’est donc dans l’Osservatore Romano, à côté d’un article démentant l’affaire des chaussures Prada, que le nouveau « cérémoniaire » a choisi mercredi d’expliquer ce retour à l’ancien dans le domaine liturgique par le souci de mettre en valeur « le sens du mystère » et du « sacré ». « L’herméneutique de la continuité a toujours été le critère exact pour lire le chemin de l’Église à travers le temps, et cela vaut aussi pour la liturgie », a-t-il ainsi argumenté. Le recours à des vêtements liturgiques remontant au concile de Trente (1545-63) et à la « contre-Réforme catholique » ainsi que la réintroduction de détails rituels abandonnés depuis le concile Vatican II « veulent souligner cette continuité avec les célébrations qui ont marqué la vie de l’Église dans le passé », a-t-il indiqué.
Benoît XVI a pris le contre-pied de la thèse présentant Vatican II comme une rupture dans la vie de l’Église, défendue pour des raisons opposées par les courants progressistes et traditionalistes de l’Église catholique. Il a libéralisé la célébration de la messe ancienne en latin, la seule reconnue par les intégristes, soulignant que les formes ancienne et moderne de la messe devaient « s’enrichir réciproquement ». L’opposition entre l’avant et l’après-Vatican II « est typique d’une vision idéologique très réductrice » de l’Église, estime son cérémoniaire. Mgr Marini s’est aussi déclaré convaincu que le pape donnerait dorénavant toujours la communion comme il l’a fait lors de ses deux dernières messes en public, dans la bouche des fidèles agenouillés sur un prie-Dieu. Cette pratique ancienne très en vogue chez les traditionalistes a été abandonnée dans la plupart des paroisses où l’hostie est reçue debout, dans la main ou la bouche, selon le choix des fidèles.
Il est difficile de trouver un prélat chargé de la liturgie acceptant de parler à visage découvert des réformes en cours au Vatican. Sous le couvert de l’anonymat, l’un d’entre eux confie son malaise à l’AFP : « La célébration liturgique, c’est d’abord une rencontre spirituelle des croyants avec le Christ, mais le rappel de plus en plus insistant à la ritualité risque de donner à cette rencontre un caractère contraint », dit-il.
L'Orient Le Jour 01.07.2008