Nous publions ci-dessous le discours que le pape Benoît XVI a prononcé en recevant, samedi 7 juin, les participants au VIe Symposium européen des professeurs universitaires, qui a eu lieu à l'Université pontificale du Latran.
Monsieur le cardinal,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce
Chers professeurs,
C'est pour moi un motif de grande joie de vous rencontrer à l'occasion du VIe Symposium européen des professeurs universitaires sur le thème : « Elargir les horizons de la rationalité. Perspectives pour la philosophie », promu par des professeurs des universités de Rome et organisé par le bureau pour la pastorale universitaire du vicariat de Rome en collaboration avec les institutions régionales, provinciales et de la mairie de Rome. Je remercie Monsieur le cardinal Camillo Ruini et M. le Professeur Cesare Mirabelli, qui se sont faits les interprètes de vos sentiments, et j'adresse à toutes les personnes présentes ma cordiale bienvenue.
Dans la continuité de la rencontre européenne des professeurs universitaires de l'année dernière, votre symposium aborde un sujet d'une grande importance académique et culturelle. Je souhaite exprimer ma reconnaissance au comité organisateur pour ce choix qui nous permet, entre autre, de célébrer le dixième anniversaire de la publication de la Lettre encyclique Fides et ratio de mon bien-aimé prédécesseur, le Pape Jean-Paul II. A cette occasion déjà, cinquante professeurs de philosophie des universités de Rome, publiques et pontificales, manifestèrent leur reconnaissance au Pape par une déclaration dans laquelle était répétée l'urgence de la relance des études de philosophie dans les universités et dans les écoles. Partageant cette préoccupation et encourageant la collaboration fructueuse entre les professeurs de différentes universités, romaines et européennes, je souhaite adresser aux professeurs de philosophie une invitation particulière à poursuivre avec confiance la recherche philosophique en investissant leurs énergies intellectuelles et en impliquant les nouvelles générations dans cette tâche.
Les événements qui se sont succédé au cours des dix années qui ont suivi la publication de l'Encyclique ont fortement mis en évidence le scénario historique et culturel dans lequel la recherche philosophique est appelée à avancer. En effet, la crise de la modernité n'est pas synonyme de déclin de la philosophie ; la philosophie doit même s'engager dans un nouvel itinéraire de recherche pour comprendre la vraie nature de cette crise (cf. Discours aux participants à la rencontre européenne des professeurs d'université du 23 juin 2007) et identifier des perspectives nouvelles vers lesquelles s'orienter. La modernité, si elle est bien comprise, révèle une « question anthropologique » qui se présente de manière beaucoup plus complexe et articulée que dans les réflexions philosophiques des siècles derniers, surtout en Europe. Sans réduire les tentatives déjà faites, il reste encore beaucoup de recherche à faire et beaucoup de choses à comprendre. La modernité n'est pas un simple phénomène culturel, daté historiquement ; elle implique en réalité une nouvelle perspective d'avenir, une compréhension plus exacte de la nature humaine. Il n'est pas difficile de tirer des écrits de penseurs contemporains remarquables une réflexion honnête sur les difficultés qui s'opposent à la résolution de cette crise prolongée. Le crédit que certains auteurs accordent à certaines religions et, en particulier, au christianisme, est un signe évident du désir sincère de faire sortir la réflexion philosophique de son autosuffisance.
Depuis le début de mon pontificat, j'ai écouté avec attention les demandes qui m'arrivent d'hommes et de femmes de notre époque et, à la lumière de ces attentes, j'ai voulu offrir une proposition de recherche qui, me semble-t-il, peut susciter de l'intérêt pour la relance de la philosophie et de son rôle irremplaçable au sein du monde académique et culturel. Vous en avez fait un objet de réflexion de votre symposium : c'est la proposition d'« élargir les horizons de la rationalité ». Cela me permet de m'arrêter sur cette proposition avec vous, comme entre des amis qui désirent poursuivre un itinéraire de recherche commun. Je voudrais partir d'une conviction profonde, que j'ai souvent exprimée : « La foi chrétienne a fait un choix clair : contre les dieux de la religion pour le Dieu des philosophes, ce qui revient à dire contre le mythe de la seule tradition pour la vérité de l'être » (J. Ratzinger, Introduction au christianisme, ch.3). Cette affirmation, qui reflète le parcours du christianisme depuis ses premières lueurs, se révèle pleinement actuelle dans le contexte historique et culturel que nous vivons. Ce n'est, en effet, qu'à partir de cette prémisse, qui est en même temps historique et théologique, qu'il est possible de répondre aux nouvelles attentes de la réflexion philosophique. Le risque que la religion, y compris la religion chrétienne, soit instrumentalisée comme phénomène subreptice est très présent, même aujourd'hui.
Mais le christianisme, comme je l'ai rappelé dans l'Encyclique Spe salvi n'est pas seulement un message informatif, mais un message performatif (cf. n. 2). Cela signifie que depuis toujours la foi chrétienne ne peut pas être renfermée dans le monde abstrait des théories, mais doit s'inscrire dans une expérience historique concrète qui atteint l'homme dans la vérité la plus profonde de son existence. Cette expérience conditionnée par les nouvelles situations culturelles et idéologiques, est le lieu que la recherche théologique doit analyser et à propos duquel il est urgent de nouer un dialogue fécond avec la philosophie. Si, d'un côté, la compréhension du christianisme comme transformation réelle de l'existence de l'homme, pousse la réflexion philosophique à faire une nouvelle approche de la religion, de l'autre, elle l'encourage à ne jamais perdre la confiance de pouvoir connaître la réalité. La proposition d'« élargir les horizons de la rationalité » ne doit donc pas simplement être envisagée comme une nouvelle orientation de la pensée théologique et philosophique, mais comme la requête d'une nouvelle ouverture à l'égard de la réalité à laquelle la personne humaine est appelée dans son uni-totalité, en dépassant les anciens préjugés et les simplifications, pour s'ouvrir ainsi également la route vers une véritable compréhension de la modernité. Le désir d'une plénitude d'humanité ne peut pas être déçu : il attend des réponses adaptées. La foi chrétienne est appelée à prendre en charge cette urgence historique, en impliquant tous les hommes de bonne volonté dans une entreprise semblable. Le nouveau dialogue entre foi et raison, requis aujourd'hui, ne peut pas avoir lieu dans les termes et de la manière dont il a eu lieu par le passé. S'il ne veut pas se réduire à un exercice intellectuel stérile, il doit partir de la situation concrète de l'homme, et il doit développer à partir de cette situation une réflexion qui en recueille la vérité ontologique et métaphysique.
Chers amis, vous avez devant vous un chemin très exigeant. Il est tout d'abord nécessaire de promouvoir des centres universitaires de haut niveau, où la philosophie puisse dialoguer avec les autres disciplines, en particulier avec la théologie en favorisant de nouvelles synthèses culturelles adaptées pour orienter le chemin de la société. La dimension européenne de votre réunion à Rome, – vous provenez en effet de 26 pays – peut favoriser une confrontation et un échange assurément fructueux. Je suis certain que les institutions académiques catholiques seront disponibles pour la réalisation de véritables laboratoires culturels. Je souhaite également vous inviter à encourager les jeunes à s'engager dans les études philosophiques, en favorisant des initiatives d'orientation opportunes. Je suis assuré que les nouvelles générations, avec leur enthousiasme, sauront répondre avec générosité aux attentes de l'Eglise et de la société.
Dans quelques jours, j'aurai la joie d'inaugurer l'Année Saint-Paul, durant laquelle nous célébrerons l'Apôtre des Nations : je souhaite que cette singulière initiative constitue pour vous tous une occasion propice pour redécouvrir, sur les traces du grand Apôtre, la fécondité historique de l'Evangile et ses extraordinaires potentialités également pour la culture contemporaine. Avec ce souhait, je vous donne à tous ma Bénédiction.
ROME, Lundi 9 juin 2008 (ZENIT.org)