Cela vaut la peine de citer, même un peu longuement, les exemples de franc-parler.
Certains évêques ou patriarches n'hésitent pas à être « véhéments » lorsqu'il s'agit de la situation des chrétiens arabes de Palestine ou bien de la situation en Irak. « Si vous ne croyez pas à l'enfer, venez en Irak » a déclaré Mgr Louis Sako, archevêque de Kirkouk des Chaldéens, connu pour son contact très libre avec la presse internationale. Mgr Warduni a également une parole très libre, pour ce qui est des difficultés intérieures ou extérieures de l'Eglise catholique.
S.B. Gregorios III Laham, B.S., patriarche d'Antioche des Grecs-Melkites, archêveque de Damas des Grecs-Melkites a fait observer que « la présence chrétienne dans le monde arabe est menacée par les cycles de guerres qui s'abattent sur cette région berceau du christianisme ».
Pour lui, la « cause principale » est le conflit israélo-palestinien : « les mouvements fondamentalistes, le mouvement Hamas, le Hezbollah sont les conséquences de ce conflit comme les discordes internes, la lenteur dans le développement, la naissance de la haine, la perte de l'espoir chez les jeunes qui sont 60 % de la population des pays arabes ».
L'émigration des chrétiens est pour lui une des conséquences « les plus dangereuses du conflit israélo-palestinien » car « l'émigration fera de la société arabe une société d'une seule couleur, uniquement musulmane face à une société européenne dite chrétienne ». Un Orient « vidé de ses chrétiens » serait une « occasion propice pour un nouveau choc des cultures, des civilisations et même des religions, un choc destructeur entre l'Orient arabe musulman et l'Occident chrétien ».
L'arabité, lieu de dialogue
« Le rôle des chrétiens est, affirme-t-il, de créer l'atmosphère de confiance entre l'Occident et le monde musulman pour travailler à un nouveau Proche-Orient sans guerre ».
Il en appelle à un dialogue très spécifique avec les musulmans « pour leur dire avec franchise quelles sont nos peurs, la séparation de la religion et de l'Etat, l'arabité, la démocratie, nation arabe ou nation musulmane, droits de l'homme et lois qui proposent l'islam comme seule ou principale source des législations qui sont un obstacle à l'égalité de ces mêmes citoyens devant la loi ».
Il évoque les « partis fondamentalistes, l'intégrisme islamique, auxquels sont attribués des actes, de terrorisme, de meurtre, des incendies d'églises, des extorsions, au nom de la religion et qui, forts du fait majoritaire, humilient leurs voisins ».
Pour conclure que « le grand défi » c'est la paix, le « grand bien », la « vraie victoire » et la « vraie garantie pour l'avenir de la liberté, de la prospérité et de la sécurité pour nos jeunes, chrétiens et musulmans, qui sont l'avenir de nos Patries. »
Des timidités raisonnées
D'autres interventions sont sotto tono, essayant de ne pas aggraver par une parole la situation des fidèles qui sont confiés à leurs soins pastoraux. Un journaliste libanais n'a pas hésité à dire que certains pasteurs craignent que dans la salle même se trouvent des personnes mandatées pour répéter leurs prises de position.
Même s'il reconnaît que la convocation du synode à Rome, au Vatican, permet une liberté impensable si les débats avaient eu lieu au Moyen-Orient. Comme le patriarche copte Naguib l'a souligné lors de la conférence de presse de lundi dernier, après son rapport qui sert de fond aux débats du synode, les catholiques en Egypte sont une minorité dans la minorité chrétienne. C'est le cas de la plupart des catholiques du Moyen-Orient.
Différentes interventions ont souligné que la liberté de conscience et donc la liberté de parole est une notion difficile en milieu musulman, tout comme la notion de laïcité : on craint que cela signifie l'exclusion de Dieu du paysage social et politique. Pour la même raison, le terme « laïcité positive » est rejeté par la plupart. Il vaut mieux, estiment les pères du synode employer le terme d'« Etat civique » qui est employé sans problème, et signifie la séparation de l'Etat et de la religion, sans pour cela « exclure » aucune religion du dialogue avec les autorités.
D'autres interventions, posées, n'en sont pas moins très libres, et certainement les plus libres, et ce sont celles de représentants de la curie romaine, qui parlent sans complexe, sans langue de bois, au nom du bien des catholiques représentés au synode, mais aussi de toutes ces populations qui souffrent ou de la violence, ou de situations économiques difficiles.
Le franc parler de Benoît XVI
Cette solidarité ne peut pas passer inaperçue. C'est d'abord celle de Benoît XVI qui n'a pas hésité à poser un diagnostic spirituel sur les idolâtries destructrices, lors de sa méditation, lundi matin, 11 octobre, à l'ouverture des travaux. Il a aussi annoncé leur « chute », la révélation que ces idoles, ces « grandes puissances de l'histoire d'aujourd'hui » ne sont pas Dieu mais des faux dieux.
Le pape discerne l'idolâtrie des « capitaux anonymes qui réduisent l'homme en esclavage (…), qui constituent un pouvoir anonyme que les hommes servent, par lequel les hommes sont tourmentés et même massacrés ». Il y voit un « pouvoir destructeur, qui menace le monde ».
L'idolâtrie du « pouvoir des idéologies terroristes » : « La violence est apparemment pratiquée au nom de Dieu, mais ce n'est pas Dieu : ce sont de fausses divinités qui doivent être démasquées, qui ne sont pas Dieu ».
Le pape cite deux autres puissances destructrices : « La drogue, ce pouvoir qui, telle une bête vorace, étend ses mains sur toutes les parties de la terre et détruit: c'est une divinité mais une fausse divinité qui doit tomber » ou bien aussi la confusion des valeurs qui se manifeste dans « la manière de vivre répandue par l'opinion publique: aujourd'hui, on fait comme ça, le mariage ne compte plus, la chasteté n'est plus une vertu, et ainsi de suite ».
La parole, libre, de la curie
Mardi matin, le cardinal Angelo Sodano, doyen du collège des cardinaux, a déclaré : « Nous devrions travailler tous ensemble pour préparer une aube nouvelle pour le Moyen-Orient, en se servant des talents que Dieu nous a donnés. Il est, bien sûr, urgent de favoriser la solution du tragique conflit israélo-palestinien. Il est, bien sûr, urgent d'oeuvrer pour que prennent fin les courants agressifs de l'islam ».
Il insiste sur le point névralgique : « Nous devrions, bien sûr, toujours demander le respect de la liberté religieuse de tous les croyants ».
Il n'hésite pas à parler du « drame » qui se joue et redit la solidarité de l'Eglise : « C'est une mission difficile celle que vous, vénérés Pasteurs de l'Église au Moyen-Orient, devez accomplir dans un moment historique aussi dramatique. Sachez, cependant, que vous n'êtes pas seuls dans votre sollicitude quotidienne pour préparer un avenir meilleur à vos communautés ».
Mais à côté des timidités ou des audaces pour parler des menaces pour les catholiques du Moyen-Orient, il y a aussi des prises de position courageuses pour ce qui est de l'état de l'Eglise catholique même, avec une réelle auto-critique de l'Eglise.
L'audace ad intra et ad extra
Certains, comme l'évêque irakien Slemon Warduni, évêque de curie de Babylone des Chaldéens, regrettent qu'une telle rencontre des catholiques des sept rites ait tardé. Il est temps d'agir : « Nous devons poser des bases solides et réparer les fondements minés ou affaiblis si nous voulons témoigner de Jésus Christ et vivre les préceptes divins qu'il nous a donnés, afin qu'ils animent notre comportement et que la communion entre nous se réalise ».
Il cite les obstacles à la communion : « Nul ne peut affaiblir cette communion : ni les intérêts propres, ni le confessionnalisme, ni l'égoïsme ; nous devons au contraire la vivre pleinement, autrement nos divergences nous détruirons ; nous devons faire appel à l'amour mutuel et le vivre, car il nous conduira à l'unité qui nous donnera la force ».
Il préconise cinq remèdes, pour la réforme ad intra et pour le témoignage et la place des catholiques dans la société.
Cinq remèdes
L'amour étant « au-dessus de tout », il faut, demande Mgr Warduni, (1) « créer un comité du Moyen-Orient avec toutes les Églises liées au Conseil des Patriarches qui serait chargé du dialogue entre les Églises catholiques et de leur rapprochement réel, afin d'abattre les barrières, de nouer des relations étroites, d'encourager la réciprocité dans les services et d'examiner les points faibles des Églises sœurs ».
Pour que les catholiques et les autres chrétiens, mais aussi les autres confessions religieuses (2), deviennent « un seul cœur », c'est le thème du synode, il faut « créer un comité pour l'oecuménisme et les relations avec les Églises orthodoxes soeurs et avec les communautés protestantes, ainsi qu'un comité pour le dialogue entre les religions au Moyen-Orient, qui organiserait des réunions constructives entre les trois grandes religions et avec d'autres religions ».
Il demande aussi un « comité fort visant à défendre les opprimés et ceux dont les droits ont été piétinés », et de « s'ériger avec courage et audace contre les groupes politiques fanatiques et partisans ».
Il invite (3) à encourager l'engagement politique des laïcs chrétiens « parce qu'ils sont des citoyens autochtones qui ont leurs droits et leurs devoirs et qui doivent prendre la responsabilité de faire fonctionner l'État en conformité avec les principes des droits de l'homme ».
La liberté à défendre
Spécialement, pour « sensibiliser les personnes à défendre la liberté de religion, la liberté de conscience et la liberté d'expression, nous évoquons ici en particulier la question des mineurs qui peut créer des problèmes dans les familles chrétiennes car il n'y a pas de liberté dans ce domaine ».
L'engagement pour la paix (4) : « Nous devons rechercher la paix et la stabilité dans nos pays et crier d'une seule voix : non à la guerre, oui à la paix ; non aux armes de destruction, oui au désarmement; non au terrorisme, oui à la fraternité universelle; non aux divisions, aux conflits et au fanatisme, oui à l'unité, à la tolérance et au dialogue ».
Répondre au désenchantement
« Et nous devons bien nous concentrer sur le fait que les chrétiens du Moyen-Orient sont de vrais citoyens et qu'ils ont, en vertu des statuts internationaux, deux privilèges : primo, le droit à la citoyenneté, secundo, le droit de continuer à assurer leur présence et de ne pas être exclus de la construction des pays du Moyen-Orient », ajoute l'évêque irakien.
Enfin, ad intra également, face au poids de la hiérarchie et du clergé, il invite à « être à l'écoute des laïcs, à leur attribuer leur vrai rôle dans l'Église et à créer un comité pour les familles et pour les jeunes ».
D'Irak encore, la voix de Mgr Sleiman, carme, qui suggère la tenue, – par exemple tous les cinq ans -, d'une assemblée de l'épiscopat catholique au Moyen-Orient.
Il souligne la nécessité de renforcer la communion : « La communion revient une trentaine de fois dans le Document de travail. C'est qu'elle est le coeur de notre identité ecclésiale, la dynamique de l'unité et de la multiplicité de nos ·glises. D'elle dépendent notre présent et notre avenir, notre témoignage et notre engagement, nos efforts pour endiguer l'émigration qui nous affaiblit et pour exorciser le désenchantement qui nous érode ».
Enfin, une présence pour le moins difficile, dont témoigne le Rév. P. David Neuhaus, S.J., vicaire du patriarche de Jérusalem des Latins pour la pastorale des catholiques de langue hébraïque.
Le défi du vicariat de langue hébraïque
Il fait en effet remarquer que « l'hébreu est également la langue de l'Église catholique au Moyen-Orient » : « Des centaines de catholiques israéliens expriment tous les aspects de leur vie en hébreu, inculturant leur foi au sein d'une société qui est définie par la tradition hébraïque ».
Il évoque le phénomène migratoire vers Israël : « Aujourd'hui, il y a aussi des milliers d'enfants, de foi catholique, appartenant à des familles de travailleurs étrangers, de réfugiés, et des arabes qui fréquentent des écoles de langue hébraïque et qui ont besoin de recevoir le catéchisme en hébreu. Aujourd'hui, le vicariat de langue hébraïque doit affronter un profond défi ».
Pour le vicaire patriarcal, le vicariat catholique de langue hébraïque cherche des moyens de « servir de pont entre l'Église, parlant surtout l'arabe, et la société israélienne hébraïque, afin de promouvoir aussi bien l'enseignement du respect pour les peuples de l'Ancienne Alliance qu'une sensibilité au cri de justice et de paix pour les Juifs et les Palestiniens ».
« Ensemble, les catholiques parlant l'arabe et ceux parlant l'hébreu doivent témoigner et travailler en communion pour l'Église dans la terre où elle a vu le jour », insiste le P. Neuhaus.
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