Dans la nuit du 17 au 18 août 2008, les locaux des quotidiens privés L’As et 24 heures ont été saccagés au terme d’un conflit opposant M. Farba Senghor, ministre sénégalais de l’Artisanat et des Transports aériens, et certains journaux privés de Dakar.
Reporters sans frontières s’est adressé au président Abdoulaye Wade, lui demandant de mettre "tout en œuvre pour que la situation s’améliore et que les responsables d’actes illégaux soient sanctionnés".
M. Abdoulaye Wade
Président de la République
Palais présidentiel
Avenue Leopold Sedar Senghor
BP 4026
Dakar, Sénégal
Paris, le 19 août 2008
Monsieur le Président de la République,
Reporters sans frontières souhaite attirer votre attention sur le bras de fer opposant M. Farba Senghor, ministre de l’Artisanat et des Transports aériens de votre gouvernement, à certains journaux privé de Dakar. Le conflit, circonscrit à des menaces verbales jusqu’à récemment, a pris des proportions inquiétantes dans la nuit du 17 au 18 août et pourrait avoir de graves conséquences si rien n’était fait pour que le climat s’apaise. C’est pourquoi nous vous demandons d’intervenir, en tant que garant de l’Etat de droit et de la paix civile.
Dans la nuit du 17 au 18 août 2008, une dizaine d’hommes munis d’armes blanches et de bombes lacrymogènes ont fait irruption dans les locaux des quotidiens privés 24 heures et L’As, dans le quartier résidentiel Sacré-Coeur 3 Polytechnique, et ont détruit le matériel de fabrication de ces journaux. Ces hommes circulaient à bord d’un véhicule 4×4 immatriculé « AD », le code minéralogique utilisé par les véhicules de l’administration.
Le saccage inacceptable de ces propriétés privées fait suite à des menaces verbales proférées par M. Farba Senghor à l’encontre de ces journaux. Après la publication d’informations relatives à sa vie privée, le ministre avait en effet déclaré, par voie de presse, se « réserver le droit de riposter à la hauteur des agressions ».
Les relations entre M. Farba Senghor et une partie de la presse privée se sont considérablement détériorées ces dernières semaines, avec une série d’incidents et d’actes d’intimidation qui ont envenimé la situation. Ainsi, le 27 juillet, le ministre avait demandé aux ministres et fonctionnaires de ne plus « acheter certains journaux jugés trop hostiles au gouvernement », ajoutant qu’il promettait un « redressement fiscal » à ces derniers. Le même jour, des instructions ont été données pour que les services publics pratiquent un boycott publicitaire des journaux incriminés. Le 1er août, interrogé par Walf TV sur son possible mariage avec l’une de ses collaboratrices, le ministre a menacé de mort le journaliste Papa Ngagne Ndiaye, selon ce dernier. Le 8 août, le quotidien Walf Grand Place a affirmé que le ministre avait décidé de retirer les prévisions météorologiques traditionnellement fournies par ses services à plusieurs journaux.
De plus, ces incidents interviennent au terme d’une année difficile pour les journalistes sénégalais, marquée par plusieurs convocations à la brigade criminelle et des violences policières restées impunies.
Nous sommes conscients que, dans une démocratie, les relations entre les responsables gouvernementaux et la presse privée peuvent être conflictuelles sans que cela ne fasse naître d’inquiétude particulière, et que la défense des libertés mérite, de part et d’autre, de la retenue et du professionnalisme. Or, s’il existe des organes de régulation des médias, seul le chef de l’Etat est en mesure de mettre de l’ordre dans les services publics, et notamment au sein du gouvernement. Si la publication, par certains journaux, d’informations sur la vie privée d’un ministre peut nécessiter un examen de conscience de la part de la profession, le passage de l’invective à la violence physique n’est pas acceptable, d’autant que, dans le cas d’espèce, les soupçons se portent sur un ministre en exercice, devant privilégier en théorie l’intérêt général et adopter une attitude exemplaire. Il nous semble donc important que, dans l’intérêt du Sénégal, vous mettiez tout en œuvre pour que la situation s’améliore et que les responsables d’actes illégaux soient sanctionnés.
Nous vous remercions par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à notre requête.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général
RSF 20.08.2008