Les évêques catholiques du Soudan, réunis en assemblée plénière extraordinaire à Juba du 15 au 22 juillet, pour discuter du prochain référendum prévu dans le pays le 9 janvier 2011, ont adressé «un message d'espoir et d'appel à l'action»
aux dirigeants soudanais et « aux personnes de bonne volonté» en général.
Les évêques ont rédigé leur document avec l'aide du « Denis Hurley Peace Institute », une institution du Département justice et paix de la Conférence épiscopale du sud de l'Afrique, dont la mission est d'aider à former un leadership catholique qui ait la capacité d'influer aussi sur les processus de paix d'autres pays africains.
« Nous encourageons, écrivent les évêques, tous ceux qui ont droit de vote au référendum au Sud Soudan et en Abyei à choisir un avenir qu'eux-mêmes, leurs enfants et les prochaines générations aimeraient avoir. Nous les encourageons à opter pour un mode de vie qui leur garantissent la liberté, la justice et les mêmes droits pour tous ».
Au Soudan, le plus grand des États du continent africain, les Églises, pas seulement l'Église catholique, se sont faites les promotrices de groupes de travail interprofessionnel et de séminaires afin que la population du sud ait accès à toute information concernant ce référendum. « C'est un moment historique, soulignent les évêques. Le Soudan ne sera plus jamais comme avant. Après des siècles d'oppression et d'exploitation, après des décennies de guerre et de violence (…), 5 ans après l'Accord global de paix (Comprehensive Peace Agreement, CPA), le moment est arrivé d'agir et de se préparer au changement ».
Le CPA a été approuvé par le nord et le sud à l'issue d'un conflit sanglant sur l'appartenance ethnique, la religion et l'accès aux ressources naturelles, dont l'or, le coton et le pétrole. L'accord donne au sud le droit de choisir s'il veut continuer à faire partie d'un Soudan uni ou opter pour l'indépendance.
Dans un entretien, John Ashworth, qui assume momentanément la charge de directeur du Denis Hurley Peace Institute (Fr. Sean O'Leary ayant pris une année sabbatique), fait un tour d'horizon de la situation politique, sociale et religieuse actuelle du pays et des divers scénarios possibles après le référendum.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cet Accord global de paix (CPA)?
John Ashworth : En réalité il ne s'agit en rien d'un accord « global » car il n'affronte qu'un seul des conflits au Soudan (par exemple il ne touche pas à la question du Darfour). De plus, il ne considère que deux des parties en guerre, excluant tous les autres partis politiques et les factions militaires, ainsi que la société civile elle-même. Il ne s'agit pas plus d'un document qui affronte la « paix », mais tout simplement un cessez-le-feu qui prévoit un agenda de mesures devant conduire à la paix.
Naturellement, en déplaçant le conflit d'un niveau militaire à un niveau politique, un grand pas en avant a été fait, mais le conflit demeure de toute façon. Enfin, on ne peut pas parler non plus d'un « accord » : il a été signé en 2005 par Khartoum sous une forte pression diplomatique. Autrement dit, les soudanais du sud voient ce CPA presque exclusivement en termes de préparation au référendum de 2011.
Quelle est la situation religieuse au Soudan?
John Ashworth : Au niveau de tous les jours, chrétiens, musulmans et adeptes de religions traditionnelles africaines vivent côte à côte sans problèmes. Toutefois le gouvernement du Soudan est un régime islamique, voire même une dictature militaire (« légitimé » récemment par des élections qui, selon la plupart des gens, n'ont pas été libres et correctes), et les gouvernements successifs du nord ont mis en œuvre une politique d'islamisation qui a porté préjudice aux non musulmans.
Toutes les statistiques au Soudan sont suspectes, mais la répartition religieuse est probablement celle-ci : 60% musulmans, 40% non musulmans. Les adeptes de la religion traditionnelle africaine sont encore une minorité consistante parmi les non musulmans. Des chrétiens, les catholiques, les anglicans (Église épiscopale) et les presbytériens sont les trois groupes majoritaires, avec une série de petites Églises évangéliques indépendantes et quelques Églises orientales qui, toutes ensembles, ont toujours bien travaillé. L'Église catholique est par ailleurs un des membres fondateurs du Conseil des Églises du Soudan.
Unité ou sécession, qu'est-ce que cela signifie pour la population ou pour les personnalités politiques? Un référendum peut-il résoudre les problèmes humanitaires et économiques du pays?
John Ashworth : Les causes profondes des conflits au Soudan sont généralement de nature identitaire et liées à la dynamique centre-périphérie. Le Soudan est une société multiculturelle, multiethnique, multilingue et multireligieuse, mais concrètement, une seule identité culturelle et religieuse, arabo-islamique, a été imposée à tous, cherchant à assimiler les autres mais en en faisant des citoyens de seconde classe. Cela a été fait par tous les gouvernements du nord, pas seulement par le régime islamique actuel.
La gouvernance du Soudan, qui comprend aussi l'accès au pouvoir et aux ressources, est par contre fortement centralisée tandis que les zones périphériques sont marginalisées. Par ailleurs, le pétrole est devenu un facteur important dans les conflits, même s'il n'est pas une des premières causes. Ces problèmes n'ont jamais été résolus par un Soudan uni, si bien que le peuple du Soudan pense que la sécession est la seule solution.
Dans un État véritablement indépendant, le sud n'aura pas à affronter l'islamisation et l'arabisation, ni l'exclusion du pouvoir, et aura la plus grande partie du pétrole sur son territoire. Mais en réalité, le sud fonctionne déjà comme un véritable État, si bien que la sécession ne serait pas un changement important. On espère que les progrès se poursuivent et que certaines faiblesses du gouvernement puissent être débattues. Les Églises sont en train de préparer un programme de dialogue pour aider aussi dans ce domaine.
Quant au nord, il dépend du pétrole du sud, mais il est probable qu'une solution à l'amiable puisse être négociée pour lui permettre de continuer à percevoir les gains des ressources pétrolières. Le sud quant à lui, a besoin du gazoduc du nord pour exporter son pétrole, et ne veut pas d'un voisin instable et en faillite. Comment oublier le conflit au Darfour? Destiné à se poursuivre vu qu'aucune solution n'est pas encore au centre des débats. Enfin, s'il y a sécession, la vie deviendra probablement plus difficile pour l'Église du Nord car, même si elle y est habituée, elle continuera à vivre sous l'oppression d'un régime islamique.
Les Églises d'Afrique se sont mobilisées pour que le sud ne déserte pas le référendum. Qu'attend la Conférence épiscopale du Soudan? Peut-elle se dire neutre face aux résultats des urnes?
John Ashworth : En tant qu'Église, les évêques s'en tiennent à leur dernière déclaration. Ils y analysent la situation du pays, présentant les aspects positifs et négatifs qu'entraînerait inévitablement aussi bien le vote pour l'unité que celui pour la sécession. Ils appellent enfin les populations à choisir elles-mêmes leur « vie ». En tant que simple citoyen, chaque évêque a par contre sa propre opinion et sait bien comment il votera ce jour-là.
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