Avec les années qui nous séparent désormais de la Seconde Guerre Mondiale, il est de plus en plus rare de voir réunies durant cette toujours émouvante cérémonie, la personne sauvée et la personne qui a permis le sauvetage. Ce fut pourtant le cas à Yad Vashem mardi dernier. Sr Émilienne est arrivée au bras de Gaby. Et elles sont restées côte à côte durant la célébration dans la pénombre de la Chambre de la mémoire où Sr Marie Émilienne a ravivé la flamme du souvenir.
Gaby avait deux ans et demi, Sr Marie-Émilienne 21 quand leurs destins se sont croisés. Les parents de Gaby, David et Héla-Zissa Hochman, émigrés de Pologne en France en 1923 fuyaient devant l’avancée Allemande. En septembre 1943, ils confièrent leurs deux filles à l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), une association juive d’entraide qui les cacha dans ce couvent servant aussi de refuge à la Résistance. Hélas, la maman, fut arrêtée par la Gestapo en voulant aller rendre visite à ses filles. Déportée à Auschwitz, elle y fut assassinée le 2 novembre 1943.
En décembre 1944, David récupéra ses filles. Il ne leur parla plus jamais des années de la guerre. Ce n’est qu’en 1990, que Gabrielle, la dernière, voulut savoir et entreprit des recherches. En 1994, elle découvrit avoir été accueillie dans le couvent des sœurs de La Providence de Mende en Lozère (France). Ses recherches lui firent identifier le père Joseph Caupert, aumônier de la communauté et la supérieure, Mère Marie-Rose Brugeron, pour ses sauveurs et ils le furent effectivement, l’un et l’autre ont d’ailleurs également été reconnus Justes parmi les Nations.
Sr Marie-Émilienne, elle, resta dans l’ombre et le secret malgré les démarches de Gaby jusqu’en 1997. À cette date en effet, Gaby avait organisé la pose d’une plaque commémorative de l’acte de courage des religieuses pendant les années de guerre. C’est en poursuivant sa quête pour retracer ces années-là au couvent, qu’elle poussa Sr Marie-Émilienne dans ses retranchements et lui fit briser le silence qui entourait le pacte qu’elle avait fait en 1943 avec le père Caupert. Sr Marie-Émilienne, qui – contrairement aux autres sœurs – savait l’origine juive des enfants, devait à chaque fois qu’il y avait danger les cacher. «Nous les avons protégées mais aussi nous les avons aimées », a-t-elle déclaré dans son discours de remerciement à la synagogue de Yad Vashem.
Tandis que la cérémonie d’honneur pour Mère Marie-Rose Brugeron se tiendra en France, aux côtés de Sr Marie Émilienne, le père André Almeras, reçut pour son oncle décédé en 1951, le père Caupert, à titre posthume, la reconnaissance de Juste Parmi les Nations. Quelques membres de la famille de Sr Marie- Émilienne ont fait le déplacement avec elle pour l’occasion.
Par ailleurs des membres de la communauté catholique en Israël étaient également présents à Yad Vashem. Pour le père David Neuhaus, Vicaire patriarcal pour les Catholiques hébréophones, « cette présence ecclésiale est importante. Elle montre aux juifs israéliens que de tout temps des chrétiens ont été proches des juifs, les ont aimés, ont pu risquer leur vie pour eux et que cette relation n’a pas été seulement le fait d’individus animés de spiritualité et d’élans individuels mais également une démarche d’Église, un témoignage d’Église, fait avec la bénédiction de l’Église quand bien même cela est difficile encore aujourd’hui pour certains juifs de se le figurer. »
Sr Marie-Émilienne du reste le signala elle-même dans son message à la synagogue estimant que l’Église catholique l’a soutenue dans sa démarche, et l’a aidée à transmettre son amour et ses valeurs en ces temps difficiles.
« Il est important pour nous d’être présents à une telle cérémonie, poursuivit le père David Neuhaus, car un des défis dans le dialogue entre juifs et chrétiens aujourd’hui, est de trouver ces moments où ils peuvent écrire l’histoire ensemble. »
Aujourd’hui, Gaby et Sr Marie-Émilienne continuent d’écrire une histoire ensemble. Depuis que Gaby l’a délivrée de son secret, c’est la troisième fois que Sr Marie Émilienne séjourne en Israël avec Gaby devenue Israélienne, ses enfants et ses petits-enfants ainsi que ceux d’Annie sa sœur décédée en 1962.
Les personnes qui reçoivent le titre de « Juste parmi les Nations » obtiennent une médaille, un diplôme officiel et leur nom est gravé sur un mur dans la forêt de Jérusalem, aux abords de Yad Vashem.
Selon Irena Steinfeldt, en charge de la Commission des Justes, depuis 1963 et la création de la commission, plus de 24 000 « Justes » de 44 pays différents ont été distingués, dont 3 510 Français.
zenit