Au Sri Lanka, entre propagande et réhabilitation, un mariage collectif d'ex-Tigres tamouls hindous et catholiques a été célébré dans les camps tenus par l'armée, indique « Eglises d'Asie » (EDA), l'agence des Missions étrangères de Paris, dans cette dépêche parvenue aujourd'hui à Zenit.
Dimanche 13 juin, 53 couples formés d'anciens membres présumés du LTTE (Tigres de Libération de l'Eelam tamoul) se sont mariés selon les rites de leur religion, hindoue ou catholique, dans le camp de réhabilitation où ils sont détenus à Vavuniya, dans le nord du pays. La cérémonie collective, orchestrée par l'armée, a été largement commentée par la presse officielle comme le signe manifeste du retour à la paix et de la réhabilitation réussie des anciens rebelles tamouls (1).
Sur le site Internet de la Sri Lanka Army, les 106 jeunes mariés défilent deux par deux, encadrés par les soldats du camp de réhabilitation, afin d'effectuer l'enregistrement de leur union, qui, selon les autorités militaires, s'est effectué en un temps record (entre 7 h 30 et 8 h 00 du matin). La fanfare de l'armée et des groupes de militaires qui avaient répété des danses, étaient chargés d'assurer l'ambiance festive.
Cet « événement sans précédent » a été « initié et organisé par le Commissaire général pour la Réhabilitation et a reçu le soutien de l'Hindu Congress, du Council for National Unity et de Oneness Organization » nous apprend encore le site, qui souligne que ces organisations ont participé aux frais des noces, dont 10 000 roupies (71 euros) offertes à chaque couple, le banquet, ainsi que les « vêtements et parures nécessaires à un mariage ». Environ 400 personnes ont assisté à la cérémonie à laquelle chaque couple ne pouvait inviter que dix de ses proches.
Une quinzaine de prêtres hindous ainsi qu'un prêtre catholique, le P. Anthony Sebamalai, du diocèse de Mannar, l'un des diocèses les plus touchés par la guerre civile, ont unis, selon leurs rites, les 41 couples hindous et les 12 fiancés catholiques. A l'issue de la cérémonie, le P. Sebamalai a fait part à l'agence Ucanews (2) de la joie qu'il avait eue à célébrer les noces de jeunes couples chrétiens qu'il aiderait à « commencer une nouvelle vie, en accord avec la foi catholique ». Avant leur mariage, les couples ont suivi des sessions de préparation, encadrées par des prêtres et des religieuses, a expliqué également le P. Anthony Victor Sosai, vicaire général du diocèse catholique de Mannar. Le prêtre, qui a exercé son ministère dans la zone des combats, est très investi dans la réhabilitation des Tamouls et fait partie des rares ministres du culte autorisés à pénétrer dans ces camps.
Très médiatisée – y compris sur Internet où de nombreuses vidéos ont été postées par différents départements du gouvernement sri-lankais -, la célébration collective s'est tenue en présence de nombreux officiels, de ministres, ainsi que d'une star de Bollywood, Vivek Oberoi. Aux côtés de Namal Rajapaksa, député et fils du président Mahinda Rajapaksa, l'acteur a fait la promotion de la réconciliation et s'est engagé à reconstruire une école détruite par la guerre dans le nord du pays.
« Une fois de plus, l'armée a prouvé qu'elle était hautement professionnelle et qualifiée, non seulement dans l'art de la guerre mais aussi dans les défis qui suivent les combats (…) en faisant grandir un nouvel esprit de liberté, et de compréhension mutuelle », s'est félicité l'organe officiel de la Sri Lanka Army, précisant que les jeunes tamouls des centres de réhabilitation avaient désormais réalisé les crimes que le LTTE leur avait fait commettre et étaient reconnaissants à l'armée sri-lankaise de leur avoir permis de vivre au grand jour leur amour, ce qui était impossible lorsqu'ils étaient enrôlés au sein des Tigres.
Lors de la conférence de presse qui a suivi la cérémonie, Sudantha Ranasinghe, Commissaire général pour la Réhabilitation et initiateur de l'événement, a expliqué que les jeunes mariés logeraient dans des maisons provisoires près du camp appelé « le Village de la paix », afin d'y achever leur temps de réhabilitation, avant d'être « autorisés à réintégrer la société ». « Nous sommes la première nation au monde à faire de telles choses pour la réhabilitation », a-t-il conclu.
Si certains n'hésitent pas à qualifier le mariage collectif au camp de Vavuniya de propagande gouvernementale, l'événement arrive à point nommé pour redorer le blason du président Mahinda Rajapaksa, fortement écorné par les suspicions de crimes de guerre et de discrimination envers la population tamoule sur lesquelles enquêtent actuellement l'ONU, différentes ONG et certaines nations dont les Etats-Unis.
Le mardi 15 juin arrivaient justement à Colombo, Samantha Power, assistante spéciale du président Barack Obama aux Affaires multilatérales et aux Droits de l'homme, ainsi que David Pressman, directeur pour les Crimes de guerre au Conseil national de sécurité, afin de rencontrer le président sri-lankais et d'enquêter sur le processus de paix. Mercredi 16 juin, était reçu à son tour au Sri Lanka, B. Lynn Pascoe, sous-secrétaire général des Nations-Unies aux Affaires politiques, chargé de l'enquête sur la réhabilitation et la réinsertion des Tamouls depuis la fin de la guerre civile.
Officiellement quelque 12 000 ex-Tigres présumés, la plupart très jeunes (Human Rights Watch avait notamment dénoncé en février dernier la détention « arbitraire » de nombreux enfants parmi eux), sont toujours « en rééducation » dans les camps de réhabilitation contrôlés par l'armée et auxquels les ONG ont peu ou pas accès, hormis lors de visites officielles comme celles du mariage collectif du 13 juin (3). Par ailleurs, des milliers d'autres rebelles présumés – dont les liens de la plupart d'entre eux avec le LTTE n'ont toujours pas été établis – attendent de passer en jugement dans différents centres de détention.
Un an après la fin de la guerre, les déplacés sont encore plus de 80 000 à vivre dans des camps « civils », où les conditions sanitaires sont en dégradation constante selon les rares ONG encore présentes. Quant aux quelque 300 000 civils qui ont été « réinstallés », ils ont retrouvé des villages dévastés, des cultures détruites et des terrains minés, et ne peuvent survivre qu'avec le soutien des organisations humanitaires. Certaines ONG dénoncent par ailleurs une « cinghalisation » forcée des populations tamoules, comme dans la région de Vanni où tous les panneaux de signalisation écrits en tamoul ont été remplacés par leur traduction cinghalaise.
ZENIT