Le Père Lombardi vient de dire que c’est justement au Moyen-Orient que l’Hébraïsme, le Christianisme et l’Islam ont vu non seulement leur naissance, mais se sont développés pendant de nombreux siècles avec un parcours de mûrissement spirituel qui a certainement favorisé un profond développement des idées, des expériences, des vies individuelles et collectives. Malheureusement, à partir surtout de la tragédie qui a changé notre passé récent(le 11 Septembre), s’est affirmée dans le monde une tendance à définir d’une manière exclusive, ou pire exclusiviste, les identités d’appartenance. Certains ont parlé, et parlent encore, de conflit entre les religions et les civilisations, de conflit entre le Christianisme et l’Islam, entre l’Islam et l’Occident. Je suis convaincu que, s’il y a un affrontement dans notre monde, c’est entre la tolérance et le dialogue d’un côté et entre l’intolérance et l’extrémisme de l’autre. Personnellement, je refuse la thèse selon laquelle est en cours aujourd’hui un affrontement insoluble entre les cultures, les religions et les civilisations, mais il est indéniable que le conflit entre la tolérance et l’extrémisme a eu une incidence particulière sur les chrétiens. Souvent, se dessine une situation qui est emblématiquement décrite en citant le titre d’une récente publication sur le sujet: Les chrétiens et le Moyen-Orient. La grande fuite (de Fulvio Scaglione, 2008, 235 pp., Éditions San Paolo, ndr). Le titre du volume donne une dramatique impression de quelque chose qui peut et qui pourrait advenir. Le Secrétaire général, S. Exc. Mgr Eterović a rappelé que le nombre de chrétiens au Moyen-Orient avait déjà diminué au siècle dernier. Aujourd’hui, il baisse de façon dramatique. Plus en général, les communautés chrétiennes risquent de réduire leur présence et leur diffusion territoriale.
Les épisodes de violence contre les minorités chrétiennes augmentent, et ceci représente un phénomène que nous devons regarder avec beaucoup de préoccupation. J’ai lu le récent rapport sur les restrictions religieuses, rapport publié par The Pew Forum on religion and public life, une institution américaine fiable. Cette enquête indique comme élément général que sur 100 morts causés par la haine et l’intolérance religieuse dans le monde, 75 sont des chrétiens. Un pourcentage qui nous terrorise. Chaque année, des dizaines de milliers de chrétiens font l’objet de persécutions, de violences personnelles, de confiscations patrimoniales, d’intimidations. Leur désir de vivre en paix et certainement en cohabitation avec les autres religions est nié, voir souvent puni pour le simple fait d’être chrétien.
Des interventions de ce congrès, émerge un cadre général concernant la situation moyen-orientale de grande souffrance des communautés chrétiennes durement touchées en Iraq, divisées au Liban, sujettes aux répercussions de l’islamisation dans de nombreux pays arabes, obligées ailleurs à résister aux abus des régimes autoritaires, de véritables dictatures qui poursuivent et frappent les chrétiens. Je crois que cela n’est pas trop fort si j’emploie l’expression de “christianophobie” pour dire qu’aujourd’hui il y a un risque croissant et toujours plus concret, risque que nous avons en quelque sorte appréhendé au cours des dernières années, mais que nous devons craindre aujourd’hui jour après jour. Les communautés chrétiennes se trouvent aujourd’hui face à un grand défi, dérivant du fait de vivre dans des pays où il y a des fractures politiques internes et des crises internationales, mais aussi dû à la présence parfois fanatique de mouvements fondamentalistes et intégristes qui tendent souvent à confondre les chrétiens, les porteurs de la foi chrétienne, comme une caractérisation culturelle de l’Occident à frapper et à contraster. Il s’agit là d’un phénomène particulièrement dangereux.
Dans de nombreux contextes, les communautés chrétiennes vivent d’une façon vraiment absurde une condition d’isolement également caractérisée par un sentiment d’extranéité, même si historiquement ce sont les Églises orientales qui ont été les centres de propulsion et d’irradiation du Christianisme. Ceci advient malgré le fait que les communautés chrétiennes soient présentes sur le territoire bien avant l’arrivée de l’Islam. Il s’agit là de phénomènes que nous devons regarder avec une certaine préoccupation. Dans certains cas, la participation majeure des populations à la vie politique a conduit à exaspérer aussi bien les oppositions entre les différentes communautés que l’inspiration identitaire religieuse, en confondant la religion avec l’État et en comprimant ainsi le respect de la liberté et de l’égalité des droits personnels, sociaux, civils et religieux de toutes les minorités. Et non seulement donc de la minorité chrétienne. Je crois que ce respect devrait être un indicateur de la maturité , du degré d’une démocratie.
Je suis convaincu qu’une analyse politique de la présence chrétienne au Moyen-Orient doit se diviser en trois dimensions: politico-internationale (les conflits ouverts et latents), symbolico-identitaire (les caractéristiques surtout religieuses de certains mouvements qui naissent et qui s’alimentent malheureusement dans l’extrémisme) et démocratique (celles des droits, c’est-à-dire le thème crucial de la liberté religieuse). Le grand objectif de la paix, qui est l’objectif des Patriarches, de l’Église, et qui devrait, je crois, être également celui de toutes les démocraties, doit être poursuivi en promouvant une synergie entre toutes ces dimensions. Nous devons avoir une vision d’ensemble aussi bien des défis qui nous font face que de la contribution que nous pouvons apporter. Nous devons recomposer un tissu de rapports entre les États, à l’intérieur des communautés et entre les communautés, de façon à éviter les lacérations, qu’elles soient d’origine ancienne ou récente. Tous ces noeuds sont affrontés avec une grande clairvoyance dans le Document de travail. Le document de participation et de préparation du Synode pour le Moyen-Orient touche des questions de première importance telles que la connaissance réciproque entre les trois religions monothéistes, la nécessité d’un engagement commun en faveur de la paix, de la concorde, de la promotion des valeurs spirituelles et de ce concept qui m’est tout particulièrement cher de laïcité positive comme apport des chrétiens à la promotion d’une démocratie saine, positivement laïque, qui reconnaisse cependant, et justement pour cette raison, le rôle de la religion même dans la vie publique.
J’ai été particulièrement touché par l’appel des chrétiens à ne pas se replier sur eux-mêmes, à ne pas faire marche arrière sous les coups des adversités, mais à continuer à avoir un comportement actif afin de répandre un esprit de réconciliation. J’ai été particulièrement touché par cette très belle phrase que votre document appelle “pédagogie de la paix”. Cela signifie dénoncer la violence, d’où qu’elle provienne, au nom de cette valeur que vous nous enseignez et qui est fondamentale pour notre foi de chrétiens: le pardon. Il s’agit là d’une tâche évidemment très difficile, qui demande du courage, mais qui est indispensable pour récupérer ce sens du dialogue entre les fois qui est indispensable pour obtenir la paix.
Les chrétiens devront être certainement toujours plus conscients de la valeur essentielle de leur présence au Moyen-Orient, une valeur amplement reconnue. Les chrétiens devront même être conscients qu’il leur faut rechercher avec les musulmans une entente sur comment contraster ces aspects qui, tout comme l’extrémisme, menacent la société. Je me réfère à l’athéisme, au matérialisme et au relativisme. Les chrétiens, les musulmans et les juifs peuvent travailler afin de rejoindre cet objectif commun.
Je crois qu’il faudrait un nouvel humanisme pour contraster ces phénomènes pervers, parce que seule la centralité de la personne humaine est un antidote qui prévient le fanatisme et l’intolérance. Voilà pourquoi la politique étrangère italienne voit dans la promotion de la liberté religieuse un point fondamental, s’agissant là d’un droit fondamental de chaque personne humaine. Ce n’est pas une question collective, c’est une question de la personne.
Le gouvernement italien a beaucoup oeuvré. Nous nous sommes engagés dans l’Union européenne. J’ai promu une action globale qui puisse apporter un soutien européen à la liberté religieuse, en promouvant les droits des personnes qui appartiennent aux minorités religieuses, en pensant évidemment à la minorité chrétienne qui souffre dans de nombreux pays du monde. Je considère que chaque État doit surveiller cette question afin d’éviter l’intolérance.
Au mois de septembre dernier, j’ai également agi auprès des Nations Unies. En prenant la parole au nom de l’Italie, j’ai promu une résolution à l’Assemblée générale sur la liberté religieuse et sur les droits de toutes les minorités à exprimer leur religion. J’espère que puisse arriver un ample soutien à cette hypothèse de résolution (nous sommes près de 30 pays à avoir donné notre disponibilité), et je lance donc un appel. Tous les pays de l’Union européenne n’ont pas encore fait ce pas. Je le dis avec un peu de tristesse, mais j’espère qu’à ces trente pays puissent s’en ajouter de nombreux autres et que cette résolution puisse être approuvée lors la session à l’Assemblée générale qui vient de s’ouvrir.
Nous avons également retenu important d’agir en tant que Gouvernement italien contre une sentence, que vous tous vous connaissez bien, selon laquelle la Cour de Strasbourg a interdit la présence du Crucifix dans les lieux publics. Je suis convaincu – mais c’est aussi la conviction du Gouvernement italien – que le Crucifix représente le droit à exprimer son propre credo et qu’il n’y a aucune contradiction entre ce symbole, qui est un symbole de paix et de réconciliation, et l’État laïc qui protège toutes les religions. Un État qui, par contre, protège même ma religion, et j’ai donc le droit de la professer même publiquement.
L’action de l’Italie (la première en ce genre auprès de la Cours de Strasbourg) a été soutenue par dix pays, aussi bien de petits pays comme Chypre, que de grands comme la Russie. Avec une grande douleur, je souligne que seule l’Italie, parmi les pays fondateurs de l’Union européenne, a souscrit ce recours, parce que ces mêmes nations qui ont fondé l’Europe, n’ont pas partagé avec nous cette action de liberté, qui est en plus un pilastre de la Charte des Droits que l’Union européenne a voulu construire.Nous prêtons attention à la condition des chrétiens au Moyen-Orient et nous suivons, à travers la politique étrangère italienne, la présence chrétienne au Moyen-Orient qui représente encore aujourd’hui, malgré une baisse générale en termes numériques, un élément fondamental pour ces pays. Vous connaissez parfaitement les données statistiques concernant la réduction de la présence des chrétiens, mais nous sommes préoccupés parce qu’une telle réduction est souvent générée par l’instabilité politique dans ces pays, par le manque de perspectives économiques et par la radicalisation qui se diffuse dans certains pays. La présence chrétienne est une grande richesse pour cette région et c’est pourquoi elle doit toujours être protégée. Voici donc que l’Italie concorde fortement avec l’action poursuivie par le Synode pour le Moyen-Orient pour la protection de la présence chrétienne dans les terres sur lesquelles est né le Christianisme.
Nous avons beaucoup à coeur ce témoignage que portent les chrétiens, avant tout en Terre Sainte, ainsi que les institutions catholiques actives en ce lieu. Nous retenons, par exemple, que le règlement désiré, et malheureusement tardif, de la paix dans le conflit israélo-palestinien sera certainement un élément, lorsque la paix se fera, qui améliorera fortement la condition des chrétiens en Terre Sainte, en contribuant à préserver ce caractère multi-confessionnel et multi-culturel de la ville sainte de Jérusalem. Il s’agit là d’un thème fondamental que nous avons à coeur, nous chrétiens, ainsi que les fidèles des autres religions.
Je pense certainement à l’engagement de l’Italie au Liban, un engagement qui continuera et qui ne peut faire abstraction de la spécificité, même sous cet aspect, de ce pays. Je rappelle ici la définition du Saint-Père, qui a appelé le Liban “pays message” justement en raison de son exemple de coexistence pacifique entre les religions, et je crois que l’Italie doit certainement continuer à s’engager pour aider le Liban non seulement dans les zones majoritairement chrétiennes, mais là où se trouvent tous ceux qui vivent dans ce pays (les chiites, les sunnites, les druzes et évidemment les chrétiens), justement afin que soit sauvegardé le caractère multi-confessionnel du Liban.
Je pense aux chrétiens en Iraq. J’ai visité de nombreuses fois le pays et, à chaque fois, j’ai demandé de mettre un terme aux violences et aux persécutions (je me souviens, en particulier, des massacres de Mossoul). Et toujours en ce qui concerne l’engagement du gouvernement italien, je voudrais rappeler mes récentes rencontres avec le Président du Kurdistan irakien et la mission que j’effectuerai à Bagdad dès que se sera établi un nouveau gouvernement irakien. À cette occasion, je mettrai l’accent sur le fait que la minorité chrétienne en Iraq est une composante essentielle pour l’histoire et pour la société de ce pays.
Je pense à l’Égypte, pays que nous aimons et qui a, avec l’Italie, une histoire importante, je dirais séculaire et millénaire. Nous encourageons de façon constante le gouvernement local à valoriser la communauté copte qui vit en Égypte, dans le cadre d’une égalité entre les religions que nos amis égyptiens ont toujours réaffirmée, sur la base de la Constitution. Je rappelle qu’au lendemain d’un événement tragique qui a porté à la mort violente de chrétiens en Égypte, je me suis rendu sur place et j’ai été reçu par le président Moubarak qui m’a exprimé encore une fois un message politique fort en me disant et en me répétant publiquement les mots suivants: “Nous vivons tous, musulmans et coptes, sous un même drapeau d’une même patrie fondée sur le principe de la citoyenneté”. Cette pensée est celle qui devrait être, je le crois, toujours répétée et confirmée en terre égyptienne.
Pensons à présent à la Turquie, pays dont l’Italie soutient avec force le parcours de rapprochement à l’Union européenne. Nous le soutenons parce que nous encourageons un processus de modernisation et de réformes dans ce pays. Nous pensons évidemment à la communauté chrétienne en Turquie, une communauté qui s’est grandement réduite, qui a souffert pour la mort violente de certains de ses pasteurs d’une extraordinaire valeur spirituelle. Notre pensée va évidemment à Mgr Padovese. Nous encourageons Ankara à accomplir des pas ultérieurs pour la protection des minorités religieuses et, en particulier, de la minorité chrétienne. Nous espérons que ce référendum constitutionnel qui a certainement fait accomplir un pas en avant à la Turquie vers l’Europe puisse apporter des bénéfices.
Mais nous pensons aussi à l’Iran, un pays avec lequel le monde essaye avec force d’ouvrir à nouveau un dialogue sur des questions délicates, mais où la communauté chrétienne représente une importante composante sociale. Dans le respect de l’autonomie et de l’indépendance de tous les pays et donc évidemment de l’Iran même, nous considérons avec une forte attention les besoins des chrétiens iraniens et la volonté de toutes les minorités qui veulent avoir un rôle dans la société.
Je conclue mes réflexions en souhaitant que les travaux du Synode pour le Moyen-Orient, l’engagement des communautés chrétiennes dans le monde et celui des gouvernements qui, comme l’Italie, sont sensibles à ces thèmes, puissent oeuvrer afin de promouvoir la coexistence. Certains pays représentent un exemple positif au Moyen-Orient. Parmi ceux-ci, la Syrie et le Royaume de Jordanie. Des pays que nous considérons avec sympathie, notamment en raison de cet élément qui les caractérise, mais n’oublions pas que, au niveau des réalités locales, aux niveaux des communautés, des jeunes et des très jeunes, les chrétiens et les musulmans ont appris depuis longtemps à vivre et à coexister en paix entre eux.
Nous nous devons d’éviter que les gouvernements et les conflits politiques divisent ce qui est souvent uni au sein des communautés, au niveau de la vie quotidienne. Merci.
SYNODE : DISCOURS DU MINISTRE ITALIEN DES AFFAIRES ETRANGERES, FRANCO FRATTINI
Nous publions ci-dessous le discours du Ministre italien des Affaires Étrangères, Franco Frattini à l’occasion du Congrès au Capitole sur le thème “Moyen-Orient. Le témoignage chrétien au service de la paix” du 19 octobre 2010.
Je voudrais vous remercier avant tout pour cette ultérieure occasion de réflexion. J’ai déjà eu l’honneur d’avoir des colloques avec les Patriarches et avec S. Exc. le Secrétaire général du Synode. Continuons donc ces réflexions en public sur un thème que les organisateurs, à bien regarder, ont bien fait de proposer ce matin à une assise aussi qualifiée. Je crois qu’il s’agit là d’un thème qui doit tous nous trouver conscients, un thème qui est crucial pour l’avenir de notre monde.