46 personnes, et tant de visages qu’on a l’impression d’avoir déjà souvent rencontrés sans s’arrêter. Joie de ces rencontres.
La fatigue se fait sentir : qui ne s’est levé tôt, très tôt, voire n’a pas dormi. Justement, le psaume qui inspire ce pèlerinage « aux sources de la promesse » dit : « Mes yeux devancent la fin de la nuit pour méditer sur ta promesse » (Ps 118, 148).
Partir avec un sentiment d’irréel : comment toutes les circonstances ont-elles finalement été réunies ? La renonciation du pape Benoît XVI et l’élection du pape François ont fait déplacer l’inauguration du mémorial de mars à octobre.
Une certitude m’habite : cette Terre constitue, selon l’expression du père Lustiger, comme un « huitième sacrement ». Et l’on n’en repart pas sans être changé, et l’on ne repart pas sans la porter désormais partout avec soi. Ici l’on vient rencontrer l’histoire des générations, des libertés engagées dans la lutte, avec Dieu. Et l’on repart difficilement. Chacun me dit : comme vous avez de la chance, comme j’aimerais y aller : de mes collègues à la jeune vendeuse de l’aéroport, en voyant ma carte d’embarquement. Ils viendront, puisque le désir habite leur cœur.
Stéphanie Gromann nous guide dans la nuit illuminée de Tel Aviv. Ici, le soleil se couche plus tôt, et l’on a avancé nos montres d’une heure. Au volant, Adnan. Il nous conduit au dîner puis à notre hôtel dont la tour domine la ville. Jamais je n’ai dormi si haut. La ville « qui ne dort pas » – non plus – , rassemble quatre cent mille habitants (le double pour Jérusalem), mais l’agglomération, le « Gush Dan », qui regroupe plus de 250 localités abrite plus de deux millions et demi d’habitants.
Tel Aviv était, en 1909, une « ville nouvelle ». Les habitants de Jaffa, les Arabes d’abord puis les Juifs ont peu à peu voulu sortir de l’antique Jaffa. C’est aujourd’hui une grande métropole moderne, et très jeune. Et en contemplant la ville et ses gratte-ciel dans la nuit, depuis la colline de Jaffa, le vent nous enveloppe de cet marin typique de la métropole.
De la Jaffa du prophète Jonas, on contemple la mer qui lui a refusé la fuite. Et le clocher de l’église Saint-Pierre, tournée vers l’Ouest, ouverte aux païens. On est saisi par le déjà là de la Présence du maître de la mer, du ciel et de la terre, qui veut bien ici se laisser percevoir.
La révolte de la population arabe, en 1936, a empêché l’immigration juive de se poursuivre par le port de Jaffa, à l’abri du promontoire lié à la légende d’Andromède sauvée par Persée. Alors les juifs immigrés ont ouvert le port de Tel-Aviv. A partir de 1933, avec l’accession d’Hitler au pouvoir, la ville a accueilli les artistes chassés par le nazisme, notamment ceux du Bauhaus. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir marqué le paysage urbain de Tel Aviv, comme ces fous des jardins ou les architectes inspirés par la vielle Jaffa, elle-même inspirée par d’autres cultures. Au sortir d’un dîner aux saveurs d’Orient, la vision d’un balcon vénitien rappelle le Grand Canal et les échanges entre la Palestine ottomane et Venise. Au premier étage, la triple arche d’un « portego » signale un grand salon central autour duquel la maison s’organise. Tel Aviv a été, pour sa richesse architecturale, classée par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité.
Nous n’aurons pas le temps de longer le rivage à bicyclette pour remonter la promenade jusqu’au parc naturel des rives du Yarkon. Mais là, derrière la gorge muette des vieux canons qui menacent encore le fantôme des pirates, on réalise peu à peu ce que cinq heures d’avion viennent de nous faire franchir. Tant de générations ont contemplé ce rivage comme le début d’un accomplissement des promesses.
Je me souviens alors de la conférence douloureuse du cardinal Lustiger, le 25 avril 1995 au colloque sur « Le silence de Dieu » pendant la Shoah à l’université de Tel Aviv. Je n’ai jamais lu un texte où la théologie de l’histoire me bouleverse ainsi. La liberté de chacun interpellée.
Demain Adnan arrive à 7 h, messe à 8 h à l’université de Bar Ilan, oui, à l’université hébraïque, ouverte à tous les savoirs et à toutes les cultures. Les cardinaux André Vingt-Trois et Jean-Pierre Ricard la célébreront, entourés des évêques et des prêtres en marche ensemble vers Jérusalem.
Ce sera la mémoire liturgique du bienheureux Jean-Paul II qui disait : « Qui rencontre le Christ rencontre le judaïsme ». Notre marche « aux sources de la promesse » passe aussi par ces rencontres interreligieuses.
Demain, on dormira à Jérusalem. Il fait bon, trente degrés. Et la semaine sera clémente.
zenit