Les ONG et l'Eglise catholique s'inquiètent du rapatriement forcé en Birmanie des travailleurs clandestins kachin, rapporte « Eglises d'Asie » (EDA), l'agence des Missions étrangères de Paris.
Dans une lettre ouverte au Premier ministre thaïlandais rendue publique le 19 juillet dernier, plus d'une douzaine d'ONG locales et internationales ont demandé à la Thaïlande de stopper d'urgence les rapatriements forcés en Birmanie des travailleurs migrants kachin et d'enquêter sur les persécutions dont ils sont victimes, une fois de retour dans leur pays.
Un grand nombre d'entre eux a déjà été renvoyé dans l'Etat Kachin, frontalier avec la Thaïlande, d'où sont originaires la quasi totalité des populations kachin (kayin). Dès leur arrivée, ils y ont été dépouillés par le groupe militaire Democratic Karen Buddhist Army (DKBA), une milice karen ralliée à la cause de la junte, et bon nombre d'entre eux ont été remis entre les mains de trafiquants, dénonce, entre autres violations des droits de l'homme, le rapport des organisations humanitaires.
La déclaration de ces ONG, qui travaillent depuis longtemps avec les populations concernées, parmi lesquelles figurent Human Rights Watch, Thai Labour Solidarity ou encore State Entreprise Workers Relations Confederation of Thailand, rapporte également qu'une fois de retour en Birmanie, les femmes kachin se retrouvent piégées dans des réseaux de prostitution tandis que les hommes sont contraints de devenir porteurs dans l'armée birmane ou de travailler pour des trafiquants.
Dans un contexte tendu en raison des élections générales prévues à l'automne prochain, la répression de la junte envers les minorités et les opposants au régime ne cessent de croître. Selon l'ONU, au cours de l'année 2009, les persécutions militaires exercées dans l'Est du pays (régions shan, kachin et karen) ont provoqué le déplacement de plus de 100 000 personnes. L'Etat Kachin, où perdure une guerre civile larvée depuis les années 1990, a été particulièrement touché, la répression s'exerçant par le biais des différentes factions armées qui contrôlent la région.
Les rapatriements par Bangkok de migrants ou de réfugiés ayant fui le régime de la Birmanie se sont accélérés au cours de l'année 2010. Auparavant considérée comme une terre d'accueil privilégiée par de nombreux migrants d'Asie du Sud-Est, la Thaïlande a durci progressivement sa politique d'immigration. Par vagues successives, le pays a reconduit à la frontière, ces dernières années, de nombreux clandestins et réfugiés, dans les pays limitrophes d'où ils étaient issus.
Bangkok a notamment dû affronter la condamnation unanime de la communauté internationale il y a un an, lorsqu'elle a expulsé de force des milliers de réfugiés Hmong vers le Laos, où les attendaient les persécutions et, pour certains d'entre eux, la mort. L'opération, baptisée « grand nettoyage », avait été menée en deux jours par l'armée, qui avait vidé les camps et reconduit de force à la frontière plus de 4 000 Hmong dont la plupart étaient sur le territoire thaïlandais depuis trente ans. Les Nations Unies et de nombreuses ONG avaient demandé, en vain, l'arrêt immédiat d'une opération qu'elles dénonçaient comme étant en totale « contravention avec le droit international ».
Plus récemment, en février dernier, la Thaïlande avait rapatrié, également de force, près de 3 000 Karens qui avaient fui en 2009 les exactions de l'armée birmane. « La mise en place par le gouvernement, de mesures pour ‘purger' le pays des travailleurs clandestins n'a pas seulement échoué à réduire l'immigration irrégulière (…) mais a également eu pour conséquence de faire commettre de graves violations des droits de l'hommes par les autorités comme par les employeurs, à l'encontre des migrants, qui sont en réalité les principaux piliers de la croissance économique de la Thaïlande », constate le P. Rangsiphol Plienphan, membre du secrétariat du diocèse de Nakhon Sawan.
« Les immigrés doivent affronter le fait de risquer leur vie lors des actions menées contre eux ou encore de tomber entre les mains de trafiquants, quand il ne s'agit pas de devenir victimes de la corruption systématique des représentants du gouvernement », poursuit le prêtre, qui a été plusieurs années au service des migrants venus de Birmanie.
Des convois de camions chargés de Birmans expulsés sont devenus un spectacle familier à Mae Sot, principal poste frontière entre la Thaïlande et la Birmanie. Dans cette ville de transit, Suree Vinitchop dirige l'école Santhawamaitri Suksa tenue par les sœurs de Saint-Paul-de-Chartres. Soutenue par le diocèse de Nakhon Sawan, cette école pour les enfants de travailleurs birmans a ouvert en 2004 et accueille aujourd'hui 200 élèves. « Les migrants sont complètement au ban de la société thaïlandaise, sans accès aux services publics comme la santé ou l'éducation, et sans reconnaissance d'aucun droit, même essentiel », explique la directrice, qui lutte pour que ses élèves puissent bénéficier d'un statut reconnu par l'Etat.
Parmi les récentes manifestations de l'inimitié croissante des Thaïlandais envers les immigrés birmans, une s'est tenue le 22 juillet dernier dans la province de Ranong afin de protester contre l'autorisation accordée aux migrants de Birmanie dont la situation est régularisée, de passer leur permis de conduire. Une décision qui, selon certains en Thaïlande, ne fera qu'accroître le nombre des clandestins et nourrir les réseaux de trafiquants.
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