Reporters sans frontières dénonce l’ouverture d’un nouveau procès à l‘encontre de Mehmet Güler, auteur du livre « Le dossier KCK : L’Etat global et les Kurdes sans Etat » et de son éditeur, Ragip Zarakolu.
Ils seront jugés le 30 septembre prochain par la 10ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul pour « publication de déclarations du PKK » (Parti des travailleurs du Kurdistan) et « propagande du PKK ». S’ils sont reconnus coupables, ils encourent un minimum de huit mois de prison. Le PKK est en lutte armée contre la Turquie depuis 1984 et placé sur la liste des organisations terroristes par le gouvernement.
L’ouvrage d’investigation journalistique « Le dossier KCK : L’Etat global et les Kurdes sans Etat », a été publié en mai dernier par les Editions Belges, sous la direction de Ragip Zarakolu. Le KCK désigne le système politique du PKK, qui a pour projet d’établir un régime de « confédéralisme démocratique » en Turquie. Le livre a été saisi par la cour d’assises d’Istanbul dès sa parution, à l’occasion de la Foire de livre, à Diyarbakir (sud-est de la Turquie).
Le procureur Hakan Karaali a réclamé la condamnation du journaliste et de l’éditeur en vertu des articles 6 et 7 de la Loi antiterroriste (LAT). C’est en vertu de ce texte que de nombreux journalistes des médias kurdes sont poursuivis et condamnés à de lourdes peines.
L’éditeur Ragip Zarakolu a affirmé que l’ouvrage avait été publié afin d’assurer « le droit à l’information des lecteurs » et de pouvoir présenter « une autre version des faits ». Mehmet Güler affirme avoir « évité d’employer un langage qui soit au profit ou au détriment de quiconque ». « Les partis politiques des Kurdes sont interdits. Des anciens ministres et maires, des intellectuels, des militants des droits de l’homme et des avocats sont incarcérés. Les citoyens ont le droit de savoir ce qui se passe. J’ai rédigé ce livre en toute objectivité », s’est défendu l’auteur.
Ragip Zarakolu et Mehmet Güler avaient récemment été jugés en raison du livre « Des décisions à prendre plus difficiles que la mort ». Le 10 juin dernier, la cour d’assises d’Istanbul avait condamné Mehmet Güler à 1 an et 3 mois de prison pour « propagande du PKK » et avait relaxé Ragip Zarakolu. Les deux hommes craignent à présent le verdict de ce nouveau procès.
Reporters sans frontières s’inquiète de la situation des médias et de la liberté de la presse en Turquie. Les pressions judiciaires et physiques sont de plus en plus fréquentes sur les professionnels des médias, et en particulier sur les médias kurdes.
L’inquiétude de Reporters sans frontières porte également sur les nouvelles résolutions, concernant la diffusion des informations à la télévision, adoptées par le gouvernement turc le 15 juillet.
Le ministre de l’Intérieur, Besir Atalay, a annoncé que le haut conseil de l’audiovisuel avait déterminé, avec l’accord des responsables des chaînes nationales, que « certains principes devaient être suivis en situation de risques terroristes et autres circonstances extraordinaires ». Selon ces « principes », les chaînes de télévision s’engagent à limiter la durée et la fréquence des flashs d’information.
Une autre résolution, qui ressemble surtout à une mise en garde à l’adresse des médias, concerne la responsabilité des chaînes dans la diffusion « d’émissions, interviews et déclarations, qui semblent donner raison aux actes terroristes, susceptibles d’être interprétées comme de la propagande des personnes à l’origine d’attentats ou encourager de futures attaques » .
Le ministre de l’Intérieur s’est félicité de ces « positions très décisives concernant le terrorisme ». L’Association contemporaine des journalistes a, elle, critiqué l’adoption de ces résolutions, « susceptibles d’entraîner des abus ».
Reporters sans frontières craint que ces formulations imprécises, qui laissent libre cours à de multiples interprétations, ne poussent les chaînes d’information à l’autocensure. Ces résolutions, qui viennent compléter la phase judiciaire de la LAT, risquent effectivement de fournir aux autorités de nouveaux prétextes pour procéder à des arrestations et engager des procès arbitraires.