Reporters sans frontières dénonce les nouvelles manœuvres de la justice turque à l’encontre de journaux locaux et nationaux. Six journalistes ont été ou sont sur le point d’être condamnés à verser des dommages et intérêts disproportionnés pour des articles écrits et publiés ces dernières semaines.
Pour l’organisation, ces condamnations potentielles illustrent une volonté très claire des autorités de réduire les médias critiques au silence.
L’affaire la plus préoccupante concerne le journaliste d’Emirdag (sous-préfecture de l’ouest), pour un article publié le 12 mars 2007. Accusé de diffamation en vertu de l’article 125 du code pénal, Mustafa Koyuncu risque, en plus de six années d’emprisonnement, de devoir payer 44 000 lires turques de dommages et intérêts, soit l’équivalent de 22 000 euros. Le procès se tiendra le 29 août prochain.
Dans son article, le journaliste évoquait des cas de mauvais traitements, d’harcèlement et d’agressions sexuelles. Ces abus auraient eu lieu sur des personnes interpellées par les autorités. 44 fonctionnaires de police qui se sont sentis visés par ces allégations réclament chacun 1 000 lires turques (500 euros).
Reporters sans frontières appelle le tribunal à lever les charges retenues contre le journaliste et dénonce une peine qui occasionnerait la fermeture du journal. Fondé en 1975, Emirdag est un quotidien tirant à 500 exemplaires. Il mettrait 11 ans et 8 mois pour parvenir uniquement à compenser les dommages et intérêts encourus.
Le tribunal d’Ankara a condamné, le 6 mai dernier, le quotidien Vakit (le Temps) à verser 624 000 lires turques ( 312 000 euros) à 312 généraux de l’armée qui avaient porté plainte suite à une chronique publiée le 25 août 2003. L’avocat du journal a saisi la Cour de cassation, estimant que seuls deux généraux étaient visés par l’article et non 312.
Le chroniqueur et poète Ataol Behramoglu risque, quant à lui, d’être condamné à verser 20 000 lires ( 10 000 euros) au premier ministre Erdogan. Dans une émission diffusée le 2 janvier 2010 sur CCN Türk (chaîne d’information en continu), il aurait critiqué le Parti de la justice et du développement (AKP), majoritaire au gouvernement. Le 9 juin, le tribunal d’Ankara a rejeté la demande d’abandon des poursuites qu’avait formulée l’avocate du journaliste. Seçil Özdikmenli considère en effet que les propos tenus par son client lors de l’émission de télévision (thème des débats : « Où va-t-on, vers la démocratie ou vers la dictature ? »), respectait la liberté d’expression.
Enfin, Reporters sans frontières regrette la condamnation, à nouveau par le tribunal d’Ankara, de la journaliste Nazli Ilicak. C’est la seconde fois que la journaliste du quotidien Sabah (Matin) est condamnée pour un seul et même article. Le 31 mars dernier, le tribunal l’avait condamnée à 11 mois et 20 jours de prison avec sursis en vertu de l’article 125 du code pénal. Elle était accusée d’avoir diffamé Osman Kaçmaz, le président de la 1ère chambre de la Cour d’assises dans une chronique publiée le 25 mai 2009, intitulée « L’immunité du président de la République ». Nazli Ilicak est cette fois condamnée à verser 5 000 lires turques ( 2 500 euros). Le propriétaire du quotidien, Ahmet Calik, est également condamné.