De passage à Beyrouth à l'occasion de la Journée internationale de la francophonie, célébrée aujourd'hui, Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde, est allée à la rencontre de la presse pour présenter une image moderne de la chaîne francophone.
Celle-ci se lance à la conquête de nouveaux moyens de communication, pour s'adapter à un public jeune et dynamique. Mme Saragosse a ainsi présenté les services Internet que propose désormais TV5 Monde sur les interfaces de téléphonie mobile : il s'agit d'un service « langue française » qui comprend notamment un guide de conversation pratique, un dictionnaire, des leçons de français et des jeux. Elle a également évoqué le partenariat de la chaîne avec L'Orient-Le Jour et en a profité pour rappeler le rôle de la francophonie et des valeurs de pluralité que celle-ci défend dans le monde, aux côtés d'autres langues, « car parler une seule langue, dit-elle, c'est comme avoir un seul parti politique : c'est dangereux pour la liberté ». Nous l'avons rencontrée hier matin, après sa conférence de presse, pour évoquer les différents défis que la chaîne internationale tente de relever, avec ses partenaires, au nom de la langue française
Quels sont les enjeux, aujourd'hui, d'un partenariat entre TV5 Monde et L'Orient-Le Jour ?
« Il s'agit d'un échange de visibilité : nos programmes sont régulièrement présentés dans le journal, et inversement, nous diffusons des spots pour faire la promotion de L'Orient-Le Jour. TV5 Monde est une chaîne qui revendique le pluralisme des points de vue. Il est très important pour nous d'avoir des médias francophones, dans les différents pays, qui puissent être des partenaires, non seulement pour des échanges de visibilité, mais peut-être aussi pour une approche éditoriale plus poussée.
« Par exemple, le Liban est au cœur d'une région qui connaît beaucoup de conflits mais aussi de grands espoirs. Il est donc intéressant d'avoir le point de vue de journalistes qui vivent très directement cette situation, plutôt que d'avoir des commentaires qui viennent d'ailleurs. En outre, L'Orient-Le Jour regroupe des spécialistes de différents secteurs : la politique nationale et internationale, le sport, l'économie, la culture. Il est important pour nous de nous retrouver face à un média qui a une telle richesse de contenu.
« Il y a aujourd'hui ce qu'on appelle la convergence des médias : tout le monde « fait » de l'Internet. La presse écrite a besoin d'images et la télévision a besoin de contenu éditorial. Je pense que TV5 Monde doit développer ce type de partenariat et que L'Orient-Le Jour est dans ce cadre-là un partenaire intéressant.
« Il faut creuser ce sillon de la diversité, des regards croisés, pour que les téléspectateurs, qui sont avant tout des citoyens, aient la capacité d'élargir leur horizon pour avoir un point de vue personnel plus libre. Il n'y a pas de vérité avec un grand V mais avec un grand S, comme Subjectivité.
« Je voudrais aussi ajouter que L'Orient-Le Jour s'engage dans le concept de Méditerranée, qui est très important pour TV5 Monde. Nous sommes présents dans tous les pays qui entourent la « mare nostrum » : celle-ci rapproche plus qu'elle ne sépare. L'Orient-Le Jour a des projets méditerranéens et notre chaîne sent qu'elle a la vocation de promouvoir ces initiatives. C'est un autre sujet de connivence, de synergie. »
Comment percevez-vous l'avenir de TV5 Monde ? La chaîne s'engage-t-elle dans la voie d'autres grands réseaux internationaux comme CNN, qui se consacrent à l'information en continu ?
« Non, nous restons une chaîne généraliste. D'autant que la France s'est dotée d'une chaîne d'info continue, France 24. C'est une chaîne très complémentaire de TV5 Monde, puisqu'elle est française, et donne une vision française de l'actualité, en trois langues. À tout moment, on peut allumer une chaîne d'info et se mettre à jour sur l'actualité. Une chaîne généraliste vise d'autres objectifs. Bien sûr, on doit y trouver de l'information. C'est le cas toutes les deux heures, en moyenne, avec un journal – soit de TV5 Monde, soit d'un de nos partenaires. C'est intéressant : nos téléspectateurs peuvent regarder, tels quels, des journaux nationaux comme ceux de France 2, de la RTBF, etc. On entre ainsi dans l'univers mental d'autres pays et on est obligé, en quelque sorte, de sortir de soi-même. Et parallèlement, si on a envie d'un point sur l'actualité, on peut regarder France 24.
« Mais quand on est expatrié, ou francophone, ou francophile, regarder un film de cinéma, c'est extraordinaire. Même quand on est un fan de l'information, l'avantage d'une chaîne généraliste, c'est qu'elle a un rapport au temps différent. Une chaîne d'info continue est dans l'actualité immédiate : une info chasse l'autre. Mais quand on veut s'inscrire dans le temps « long », on a le magazine ou le documentaire, qui donnent plus de perspectives. C'est un privilège de pouvoir prendre son temps.
« Nous diffusons également des émissions pour enfants (en lançant d'ailleurs une webTV qui leur est dédiée, et qui est bien sûr flexible pour s'adapter aux différents horaires des pays que nous couvrons). Et surtout, le sport : c'est formidable, cette capacité qu'a le sport de diffuser des valeurs humanistes et de fédérer des gens. Ça, c'est ce que permet une chaîne généraliste. Et même si nous sommes la seule à l'échelle mondiale, je pense que nous devons nous consacrer à ce créneau unique. La francophonie crée souvent des choses uniques, qui ont un rapport avec l'altérité, la diversité culturelle. C'est peut-être ça le génie de la francophonie. »
Quel est le rapport de TV5 Monde avec les jeunes du monde ? Ceux-ci constituent-ils un public privilégié ?
« Plus que jamais. C'est pour eux que nous lançons une politique « média global ». La télévision classique n'est plus qu'un moyen parmi d'autres de partager des images, de les diffuser. On constate que les jeunes sont les plus gros consommateurs de ce type de support, et TV5 Monde va chercher ces téléspectateurs. Par exemple, notre émission musicale Acoustic va organiser un grand concours mondial de musiciens amateurs : ils vont pouvoir se filmer, par webcam, et envoyer leurs prestations. Il y aura un vote sur Internet et les meilleurs d'entre eux seront invités à l'émission.
« On est également fasciné de voir la fréquentation du site Apprendre.tv. Ce sont des jeunes qui viennent apprendre le français sur notre site. Il y a toutes les douze secondes un exercice fait en ligne. C'est un public d'étudiants, de lycéens. C'est très ludique : vous pouvez apprendre le français avec le cinéma, en découvrant l'Europe, en découvrant l'information. »
Vous favorisez la diversité culturelle et on débat beaucoup aujourd'hui de la discrimination positive. Est-ce une politique que vous pratiquez à TV5 Monde ?
« Je n'aime pas parler de « discrimination positive » : pour moi, ça sonne trop… négatif. Sans qu'aucune règle ne soit écrite, nous avons tenté de faire apparaître toutes les couleurs de la francophonie. Il y a plus de seize nationalités à la rédaction, et une soixantaine si on compte tous les journalistes qui interviennent. Quasiment toute la terre. »
Justement, vous couvrez des territoires secoués par de nombreux conflits. Parvenez-vous à gérer cette diversité-là en restant équitable et équilibré ?
« Il faut que vous sachiez que l'information que nous diffusons est diffusée partout, la même, dans le monde. Les journaux qu'on voit au Liban sont aussi vus aux États-Unis, en Chine, en Afrique, partout. Ce sont les mêmes journaux. Il n'y a aucune mise en forme du langage par rapport à une région donnée.
« En revanche, il y a une culture d'entreprise, une culture de la rédaction qui est celle, comme je le disais, des regards croisés. Il n'y a pas un point de vue d'un pays qui s'imposerait. On va au contraire essayer de laisser l'ensemble des points de vue présents. Il y a la conscience d'être une chaîne mondiale et donc la conscience qu'il y a des zones, à certains moments, où la moindre étincelle peut être très grave. On a une très lourde responsabilité. Quand il y a un conflit comme il y en a eu récemment autour de la bande de Gaza, nous savons que les deux parties sont meurtries, que chaque mot peut déclencher une blessure.
« Nous prenons soin d'inviter, par exemple, dans l'émission Kiosque, des Israéliens et des Palestiniens ou des Libanais, des Égyptiens. Ils ne parlent peut-être pas en même temps sur le plateau, mais nous veillons à ce qu'ils se parlent en coulisses. Il faut des gens de bonne volonté pour sortir des crises. On laisse la parole à chacun, on ne juge pas, mais c'est vrai qu'on essaie… On essaie d'être un facteur de paix.
« Il y a quelques années, nous avons diffusé l'émission « 24 heures à Jérusalem » et nous avons reçu beaucoup de courrier des pays arabes : ils avaient vu ces familles de Jérusalem et nous écrivaient « Ils nous ressemblent ». C'était une petite victoire pour nous. Chaque journaliste qui travaille à TV5 Monde n'a pas un travail, mais une mission. »
L'Orient Le Jour 20.03.2009